Entretien avec Frank Pé
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On connaissait Frank Pé pour l'univers de Broussaille qu'il anime avec Bom chez Dupuis. Après un petit tour au Pays du Soleil Levant, il nous revient avec Zoo , un superbe récit, destiné à la collection Aire Libre, qui nous plonge dans un tout autre univers avec un tout autre style graphique.
Rencontre avec cet auteur talentueux et enthousiaste.
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Comment est né Zoo?
C'est un thème qui m'est très cher. Depuis longtemps, je désirais l'aborder en bande dessinée. Je suis un visiteur assidu des zoos de par le monde et j'apprécie particulièrement ces univers naturels et créés à la fois. J'ai accumulé depuis quinze ans une importante documentation sur le sujet. Pour traiter cet univers en bande dessinée, il fallait que je sois prêt, que j'aie les outils en main. Suite au travail d'illustration pour Entre Chats chez Delcourt et à une série de calendriers sur la nature, j'ai senti que je commençais à maîtriser la technique de la "couleur directe". Mais je n'osais toujours pas aborder le thème des zoos. Le déclic a eu lieu le jour où je me suis dit que, somme toute, je ne devais pas tout mettre dans une seule histoire mais que je pouvais en faire plusieurs. Alors j'ai téléphoné à Philippe Bonifay et je lui ai proposé de réaliser un bouquin sur un zoo. Avec lui, c'est la facette vieux zoo, début de siècle, qui est développée, et celle du lieu magique.
Les éléments qui ont ensuite nourri ce récit sont innombrables. Il y a notamment un vieux bouquin d'une femme qui avait travaillé dans des zoos en Russie au début du siècle. Elle y racontait tout ce qu'elle avait fait, tout ce qu'elle avait vu. Il régnait un drôle de climat dans ce livre. Elle décrivait très bien les ambiances. C'est un récit qui m'a frappé.
Le sculpteur Rembrant Buggatti, le frère du constructeur automobile, était un sculpteur animalier extraordinaire et un des personnages de Zoo en est inspiré. Les films de Tarkovski ont aussi joué un. rôle, plus profond sans doute, mais avec une grande constance.
Pourquoi avoir choisi de travailler avec Philippe Bonifay?
Je connais Philippe depuis longtemps. Je savais ce qu'il avait envie de traiter. Je lui ai demandé de travailler avec moi sur ce projet parce que je le sentais très complémentaire. Autant de mon côté, j'allais apporter tout ce qu'il y avait dans ce lieu, la manière de le voir, de le faire passer, autant lui allait amener des personnages, des psychologies et une histoire forte. A posteriori, je peux dire que la relation a été encore plus féconde que je ne l'espérais.
Quand je travaille avec quelqu'un, c'est toujours une rencontre très forte. Si je vais vers un scénariste, c'est parce que vraiment je sens que la relation humaine va déboucher sur un travail commun, que l'on va s'entendre, qu'il va y avoir une émulation, et que nous allons pouvoir accoucher de quelque chose. Bom est le scénariste idéal pour Broussaille comme Bonifay est super pour Zoo.
![]() Manon |
Le titre "Zoo" est assez évocateur, mais de quoi parle cette histoire?
Evocateur, oui, et sans doute de quelque chose d'attrayant et de trouble à la fois. En gros, la moitié des gens, quand on leur parle d'un zoo, réagissent assez négativement. Ils pensent à l'animal en cage, le pauvre animal qui est en cage. Il y a tout ce contexte du vieux cliché des zoos poussiéreux. Ces zoos-là, je ne les aime pas non plus mais c'est une image qui ne correspond plus à la réalité. Les grands zoos modernes actuels n'ont plus rien à voir avec cela. Ce sont des choses très difficiles à juger. En général, nous projetons affectivement là-dessus en nous mettant à la place de l'animal, ce qui n'est pas une attitude correcte. Mais il y a aussi le zoo de notre enfance, ce lieu proche du paradis perdu où hommes, bêtes et plantes tropicales se côtoient paisiblement. C'est un autre mythe, positif celui-là.
En fait, notre histoire ne traite pas du tout du problème des zoos et des animaux en cage. Vous verrez que notre lieu est plutôt idéal et donc que le problème du bonheur des animaux ne se pose pas vraiment. Ils sont là et vivent en symbiose avec les gens.
Au début du récit, nous faisons la connaissance d'Anna, dans un petit village très primitif de Sibérie. Dans ce village, les gens sont persuadés que l'âme des animaux et celle des gens se trouvent dans leur nez
C'est d'ailleurs un fait authentique. Beaucoup de peuples animistes pensent cela. Je n'ai pas lu d'explication là-dessus. C'est sans doute lié à la respiration. Dans les religions asiatiques, la respiration est fort importante. Je suppose que le nez est associé à la respiration, à l'air, et au sens de l'odorat.
Toujours est-il que dans ce petit village le nez est très important. Quand les chasseurs reviennent de la chasse, ils coupent le nez de l'animal et le gardent comme trophée. Cette femme que l'on découvre au début de l'histoire, en une nuit, va vivre une tragédie: elle va perdre son nez -un terrible coup de crosse-, son mari et, plus anecdotiquement, son ours apprivoisé. Comme les gens -et elle aussi d'ailleurs- sont persuadés qu'elle a perdu son âme, elle est rejetée du village. Ainsi commence pour elle une vie errante. Fin de l'introduction.
Nous la retrouvons ensuite grâce à des tziganes qui l'ont emmenée sur les chemins, en Normandie. Elle y croise la route des trois autres personnages principaux du récit. Ceux-ci vivent dans un zoo. Se sentant bien dans ce lieu, elle est adoptée par les trois personnages. Et elle s'établit dans cet endroit. Désormais, elle ne quittera plus ce zoo. Toute l'histoire montre comment cette femme, physiquement et psychiquement mutilée, va retrouver petit à petit confiance en elle grâce à toute une série d'événements internes et externes (entre autres, la guerre 1418). Elle retrouvera foi en elle par une série de coups de magie, grâce à ce lieu formidable et à notre trio exceptionnel. Elle aura à nouveau un contact avec les choses physiques, puis avec elle-même, retrouvant sa substance, son identité, son âme.
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Sur quelles périodes se déroule cette histoire?
Le premier volume s'entendra sur les années 1912 à 1914. Le second commencera en 1914 pour se terminer à la fin de la guerre.
Qui sont les autres personnages?
Il y a d'abord Célestin, qui est le directeur -ou plutôt le propriétaire- du zoo. C'est un médecin, une espèce de bon-papa humaniste, très attachant. Il y a Manon, sa fille adoptive. Elle a 16 ans. Elle est comme un petit animal sauvage. Elle est la vie même. Elle va mettre les pieds dans le plat, bousculer Anna et lui apporter ce qu'elle n'a plus. Enfin, il y a Buggy, le sculpteur animalier. A partir d'une matière inerte de terre mouillée, il est capable de créer un animal quasi vivant. C'est dans ce milieu qu'Anna va suivre ce parcours initiatique.
Quelle a été la part de chacun dans l'ébauche du récit?
Nous avons travaillé tous les deux sur le synopsis. Puis sur base de ce travail commun, Bonifay m'a fourni pour chaque séquence une sorte de texte résumé de quelques pages. Nous le commentions de nouveau ensemble. Une fois d'accord sur le contenu des séquences (ce qui a demandé parfois de nombreux échanges de vues), il m'a fourni un texte sous forme d'un roman dialogué de la séquence, avec, de temps à autre, des apartés d'intention. Ce n'est pas, à proprement parler, un vrai roman, que l'on pourrait lire tel quel car il y a beaucoup de notes comme s'il me parlait en direct. Du style: "Attention, à cet endroit, n'oublie pas que dans 10 pages on doit exprimer ça, et donc qu'ici..." C'est là que son travail s'arrête. Il me laisse un texte en continu dialogué. A partir de cela, je réalise un découpage que je lui envoie. Il le commente de nouveau, fait des remarques s'il y a des choses qui clochent mais normalement nous sommes d'accord sur ce que nous racontons. Vient alors le passage à la réalisation graphique. Je mets ce découpage en dessins, puis en couleurs. Bonifay ne participe pas au découpage. Il est le narrateur. Je me réserve le passage du texte au découpage BD car je trouve que pour bien dessiner quelque chose, il faut vraiment se faire son cinéma. Ceci dit quand il a des propositions, il me les soumet et j'en ai repris quelques fois. Je suis très avide de ses remarques, c'est mon premier lecteur. C'est très important. Nous avons beaucoup discuté du découpage, comme de tout d'ailleurs. C'est inimaginable les tonnes de fax -et de notes de téléphone- sur Zoo!
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Vous avez dû changer votre style pour réaliser ce récit...
En effet, le style est plutôt réaliste. Sachant ce qu'il y avait dans Zoo, j'ai réfléchi à la technique la plus adéquate pour rendre au mieux l'atmosphère du récit. Il faut se donner les moyens nécessaires pour ce que l'on a à raconter. La lumière me semblait être un élément important. J'ai donc joué sur les zones d'ombres, sur des effets de lumière un peu irradiée, sur des dégradés pastel. J'ai opté logiquement pour la technique de la couleur directe. Mais j'ai voulu garder du trait pour les contours, parce que sans trait, cela devient de la peinture, de la recherche graphique. Et je crois que, si en lisant une bande dessinée, on ne parvient pas à oublier le dessin, cela devient fort hasardeux. Tout doit toujours rester lisible au premier coup d'œil.
N'avez-vous pas éprouvé trop de difficultés à changer de technique?
La couleur directe est une technique lente et exigeante. Et plus on est lent dans la technique de réalisation d'une bande dessinée, plus il est difficile de bien raconter. On n'est plus dans le temps de la narration comme le lecteur. On se retrouve dans un temps de plus en plus étiré. Par exemple, imaginons que, dans une première case, un personnage voit une porte qui s'ouvre et un gars qui vient vers lui et qu'à la case suivante, il dise "Oh!". Si entre les deux plans, il y a un délai d'une semaine au niveau de la réalisation, il y a des chances que vous perdiez la vie qu'il y a dans l'enchaînement des deux actions. C'est ce qui a été le plus difficile pour moi. En trois ans, il a fallu se remotiver sans cesse, revenir à la case départ. J'ai recommencé certaines choses, je ne sais combien de fois. Avec le recul, quand je vois le résultat, ça ne s'enchaîne pas trop mal, mais quand on est en plein dedans, on s'arrache les cheveux!
Zoo a été l'occasion d'utiliser l'abondante documentation que vous avez recueillie...
J'ai des tonnes de photos et de documentation sur les zoos. Mais bizarrement, je n'en ai pas utilisé beaucoup en travaillant. Je l'avais assimilée. Pour raconter une histoire, un sujet, on se rend compte qu'à chaque séquence, il faut tel style de décor, telle ambiance. Donc, on est obligé de construire, d'imaginer. Il n'y a quasi rien, dans les décors, que j'ai repris de documents. J'ai dû tout composer parce que l'histoire est tellement précise que je n'aurais jamais pu avoir le bon document au bon moment. Et puis, c'est plus intéressant de créer en partant de la réalité. Cela fait partie du plaisir. J'adore travailler ainsi. C'est amusant de se construire son petit zoo... sans débourser un franc! Par contre, j'ai utilisé beaucoup de documents pour le travail de la lumière et des matières. Là, le sujet importe peu. D'une photo de pommes au four découpée dans Marie-Claire, j'ai pu sortir l'éclairage de la bagarre des Russes saouls et hargneux! J'ai ainsi des fardes pleines de couleurs, d'ambiances, d'effets lumineux...
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Vous semblez fort impliqué dans l'histoire...
Au début, c'est nous, auteurs, qui la mettons en place. Ensuite les personnages commencent à vivre, nous nous y attachons. Il m'est arrivé d'être vraiment ému jusqu'aux larmes en dessinant une scène de l'histoire. J'étais en contact avec l'émotion qu'il y avait dans le récit. C'est arrivé à Bonifay aussi. C'est presque normal, c'est ce qu'il faudrait tout le temps.
Pour préparer ce nouveau projet, vous avez dû abandonner un peu Broussaille...
Oui. Cela a été compliqué. Pas du tout parce que j'en avais marre de Broussaille ou parce que les possibilités dans Broussaille étaient limitées. Rien de tout cela. Broussaille se portait très bien. Bom et moi, nous le sentions de mieux en mieux et les ventes montaient très régulièrement. Ce n'était pas du tout un problème par rapport à cette série, que Dupuis soutenait d'ailleurs. En fait, j'ai eu ce déclic pour Zoo et je n'ai pas voulu repousser ce projet car j'avais envie de le mettre en chantier à ce moment-là, quand je le sentais au plus fort. Je me suis lancé et j'ai mis Broussaille entre parenthèses. C'est un choix. Cela a été difficile à faire comprendre, à l'éditeur notamment. Mais comme pour Broussaille, il m'a fait confiance.
![]() Broussaille |
Croyez-vous que vos lecteurs vont vous reconnaître?
Ce n'est pas quelque chose qui me préoccupe. J'ai réalisé Zoo du mieux que j'ai pu et il n'y a aucune raison de toujours repartir de son premier lecteur. Il faut élargir son public. Le tirage de ce nouvel album est bien plus important que celui de Broussaille. Et donc, il y a des gens qui ne connaissent pas Broussaille et qui vont avoir le bouquin en main. Peut-être feront-ils le chemin inverse?
Et Broussaille dans tout cela? A quand son retour?
Lors de mon voyage au Japon, j'ai réalisé un récit de Broussaille de 23 pages qui a été publié dans Spirou l'année passée. J'ai dessiné ces pages dans ma chambré d'hôtel. Je faisais une planche par jour. Le scénario se déroulait au fil de mes rencontres avec ce pays. J'y mettais presque ce qui m'arrivait, ce que je voyais, au jour le jour. Certains ont trouvé l'histoire un peu mince. Je ne leur donne pas tort, mais en fait, il faut voir ce récit plutôt comme un journal de voyage. Je n'ai pas pu travailler le scénario de la même manière qu'une histoire normale. Il y a par contre ce tour de force d'essayer de réaliser une BD "en direct", plus proche des choses vécues, et non tellement décalée dans le temps comme le sont presque tous les albums. Je ne vois que Moebius qui ait pu dessiner ainsi ses émotions sans ce recul terrible de la BD. J'ai voulu, à son instar, combattre cette malédiction qui nous pousse, nous dessinateurs, à vivre toujours hors du monde. C'était un défi. Je regrette un peu que Spirou ne l'ait pas présenté comme tel et que cela soit passé inaperçu. On fera mieux la prochaine fois.
Pour le prochain album de Broussaille, le projet est d'ajouter ce récit à deux autres, en restant dans le même esprit. J'ai un voyage en Afrique que j'aimerais mettre en forme. Je voudrais dessiner ces deux autres voyages de sorte que l'album sorte entre les deux tomes de Zoo. Sinon cela risque de nous mener trop loin dans le temps, et la série Broussaille risquerait de se perdre.
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Comment est née l'envie de dessiner cette histoire de Broussaille au Japon?
Quand on a un crayon en main, tout ce qu'on vit qui a l'air intéressant, que l'on pourrait communiquer, on a envie d'en faire quelque chose. Un photographe n'imagine pas faire un grand voyage ou vivre une expérience forte sans avoir son appareil. Il serait frustré. J'avais commencé à faire des croquis lors de mes voyages, mais c'est difficile parce qu'il faut prendre du temps. Dans des pays comme en Afrique où le rythme est lent, cela n'a pas beaucoup d'importance. Mais au Japon où on court toute la journée, il est hors de question de faire des croquis. J'avais d'ailleurs emmené une caméra pour capturer toutes ces choses qui bougent. Après ma visite, je me suis retrouvé coincé dix jours à l'hôtel. J'en ai profité pour prendre du papier et raconter ce que je voyais.
Broussaille a perdu ses lunettes dans l'aventure. Pourquoi?
Broussaille a été créé dans un style très humoristique au départ. Il avait des énormes roues de vélo autour du nez. Quand il est devenu un peu plus réaliste, ces lunettes étaient énormes et tiraient le personnage vers l'humoristique. Bom et moi avions décidé que dans la prochaine histoire, il porterait des lentilles et que nous expliquerions ce nouvel élément au lecteur en imaginant un gag ou l'autre. J'ai gardé cela en tête et je me suis retrouvé à faire une histoire tout seul. Et je n'avais plus envie de dessiner ses foutues lunettes. Finalement, je les ai supprimées sans rien dire en me disant que l'explication viendrait plus tard. Peu de gens le voient. Ce n'est pas très important. Le principal est qu'il reste le même personnage. Je lui ai coupé les cheveux entre le deuxième et le troisième album. Finalement, ça passe. Il a toujours un pétard mais ce ne sont pas des cheveux "baba".
Que vous a apporté cette expérience qui vous a permis de travailler avec un éditeur japonais?
Cette expérience a été très courte puisque je n'ai publié que 6 pages dans Morning , un des grands magazines de BD qui tire à 1.200.000 exemplaires chaque semaine. Ce sont eux qui sont venus me chercher, même si, physiquement, c'est moi qui suis allé chez eux! L'histoire était conçue comme le démarrage d'une série. Finalement, je n'ai pas continué parce qu'ils m'ont demandé de lancer cela à la manière japonaise, c'est-à-dire dessiner des centaines de pages avant d'entrer dans le vif du sujet. lis voulaient mettre en place l'univers du personnage de manière très, très sage. De mon côté, j'ai accepté de travailler pour eux à condition que le projet soit enthousiasmant, que cela soit un plaisir, car je ne pouvais "faire des heures supplémentaires" à ma table à dessin que pour une gâterie. Zoo et Broussaille, plus des illustrations, etc., cela fait déjà beaucoup, même quand on a la santé. Au fil des mois qui passaient et des difficultés de compréhensions, c'est devenu très lourd. Et cela ne m'amusait plus. Et j'ai décidé d'arrêter là. Peut-être reprendra t-on? Ils aimeraient poursuivre, mais il faudrait trouver un projet qui m'emballe beaucoup et qu'ils soient prêts à lancer tel quel. Le problème avec eux, c'est qu'il faut produire beaucoup. Si on n'a pas de boulot en Europe, on peut choisir de travailler pour le Japon. Dans ce cas, on peut faire de la qualité et de la quantité. Mais prendre cela en plus, c'est quasi impossible. Je sais que quelques auteurs le font mais je n'y arrive pas. Ou alors il faudrait carrément travailler en studio.
Ce que j'ai principalement retenu de cette expérience, c'est d'être en contact par l'intérieur avec un éditeur japonais et qu'il m'explique comment il travaille là-bas. Cela m'a complètement guéri de cette bête maladie de la BD européenne où l'on parle tout le temps de la crise, qu'on ne sait plus faire des journaux, que les éditeurs ont un discours triomphant mais ne sont pas créatifs du tout, qu'il n'y a plus de place pour les jeunes. Tous ces bêtes problèmes que l'on traîne depuis je ne sais combien de temps et où on s'englue sans en voir la solution. Bon dieu! Un petit plongeon au Japon, ça fait du bien! (Rires). De retour en Europe, on voit les choses un peu différemment. De mon premier voyage en 1993, j'en suis revenu tout feu tout flamme. La meilleure chose qui puisse nous arriver c'est la rencontre de deux cultures. Même si ce média japonais n'est pas le même que le nôtre.
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Les éditeurs japonais travaillent-ils de manière si différente?
Ils savent travailler avec le grand public. Je ne suis vraiment pas pro-BD japonaises, il y a peut-être 5% de bon dans leur production, mais l'approche est différente. Les éditeurs y font vraiment un travail que les européens n'assument plus. Ceux-ci ne mettent même plus les dessinateurs et les scénaristes en contact. Les auteurs doivent tout faire. Alors que là-bas, ils font des études approfondies du marché, de la société, de l'actualité, des fantasmes des gens. Puis d'une manière plus ou moins créative, ils étudient la possibilité d'en faire une histoire, proposent l'idée à tel auteur, mettent un tel sur le coup, etc... Ils prévoient ensuite la couverture commerciale du lancement de la série. Ils font une véritable étude comme on le ferait avec d'autres produits de consommation.
Là-bas, il y a une BD pour chaque sujet, chaque classe d'âge, homme, femme, écolier, les joueurs de tennis. Chacun a sa BD. Et ça marche. Là-bas, la BD est plus forte que la télé.
C'est surtout sur ce plan-là que le Japon m'a intéressé.
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Quel est votre programme pour la suite de Zoo, à présent?
Il a fallu 5 ans pour concrétiser ce projet et 3 ans pour le dessiner. Le premier tome de Zoo sort en novembre. J'ai mis beaucoup de temps pour cette première partie car j'ai dû mettre au point mon style, les personnages, les deux univers (celui du village russe des 15 premières pages et le zoo proprement dit). Maintenant, je suis rodé et je pense que le second tome devrait sortir d'ici un an et demi. Dans l'immédiat, je prends un temps pour faire des "belles images", sérigraphies, portfolios, etc., pour la sortie du tome 1 en novembre, puis je me rendrai disponible pour ce lancement. Chez Dupuis, on pense que ça va cartonner. On verra. Moi, je tremble un peu de voir tout ce boulot sortir d'un coup et faire sa vie dans le vaste monde.
Propos recueillis par Marc Carlot en juillet 1994. Entretien publié dans Auracan n°7 - septembre-octobre 1994 Copyright © Marc Carlot / Graphic Strip 1994 / Auracan.com 2006 Droits réservés. Reproduction, même partielle, interdite sans autorisation préalable. Photo de Frank Pé © Laurent Melikian 2004 / DR Visuels © Frank, Dupuis |
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