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Entretien avec Stephen Desberg et Henri Reculé

Un agent (vraiment) très spécial...

Si Disney, dans les années 60’, créait un espion aux pattes de velours, le nouveau héros de Stephen Desberg et Henri Reculé se déplace lui…à pas de loup. En effet, Jack Wolfgang est un loup, agent…un peu plus spécial que les autres au service de la CIA, avec pour couverture un job de critique gastronomique raffiné. L’Entrée du Loup, son premier album, nous fait découvrir un monde dans lequel se côtoient, dans une paix relative, humains et animaux particulièrement évolués. Un univers original et parfois déconcertant que nous explorons en compagnie de ses créateurs, le scénariste Stephen Desberg et le dessinateur Henri Reculé.

Comment est né Jack Wolfgang ?

Stephen Desberg : Tout est parti d’une réflexion de mon épouse. « Pourquoi ne créeriez-vous pas une série avec des animaux ? ». Et c’est ce qui a fait démarrer ma réflexion. J’avais trouvé le traitement de Blacksad intéressant, mais je ne me voyais pas aller vers un polar animalier. Pourquoi pas un thriller, qui me tentait davantage ? Il y a eu pas mal de versions du scénario pour arriver à ce que les lecteurs découvrent dans l’Entrée du Loup. Au départ, cet univers était beaucoup plus sombre. Jack était un loup, recueilli tout jeune et manipulé par la CIA. Mais ce n’était pas très logique, et comment faire agir un loup dans une société humaine ? Ensuite, avec Henri, nous avons opté pour une société dans laquelle humains et animaux pourraient se côtoyer, mais nous devions trouver le moyen de faire accepter et admettre cela au lecteur, dans un monde moderne et assez réaliste. Il y existe une forme de paix sociale, fragile, certes, et au-delà, un accord qui permet aux carnivores et aux herbivores de se tolérer plutôt que de se dévorer… Mais il s’agit aussi d’un système hypocrite qui peut aisément être mis à mal par les puissants…

Henri, quelle a été votre réaction quand Stephen vous a proposé cette idée ?

Henri Reculé : J’ai été enthousiasmé dès le départ. J’ai longuement discuté avec Stephen pour savoir ce qu’il avait envie de voir, et vu les caractéristiques de cet univers et de l’intrigue, je me suis attaché à les nourrir graphiquement d’influences comics et mangas. Mais, comme il vous l’a dit, le scénario a connu plusieurs versions, et, logiquement, les personnages en ont connu presque autant. Je pense que nous en avons discuté pour la première fois en juillet 2015 et que Stephen m’a transmis le scénario définitif en février 2016. Graphiquement, j’avais envie de revenir à quelque chose de plus spontané, plus dynamique. J’ai notamment changé de technique d’encrage, mais il fallait aussi trouver un équilibre pour que les personnages, traités de cette manière, puissent s’inscrire dans des décors plus détaillés, puisqu’on voyage beaucoup dans ce premier album…

Vous intéressiez-vous particulièrement à la BD dite animalière ou semi-animalière auparavant ?

HR : Pas vraiment, non. J’apprécie Blacksad, mais ça se limitait à cela. Je ne cours pas en librairie pour me procurer une BD de ce type quand elle sort. Ceci dit, j’ai mesuré progressivement en travaillant sur Jack Wolfgang qu’il s’agissait d’un véritable challenge. Si on désire être cohérent, il ne suffit pas de se dire qu’on dessine des animaux avec des costumes. On doit les rapprocher des humains mais ils doivent conserver une physionomie qui les caractérise. Comment peuvent-ils marcher ? Doivent-ils conserver des « pattes » ou possèdent-ils des mains « humaines » ?  Portent-ils des chaussures ? Jusqu’à quel point peut-on « féminiser » un personnage animal ? Autant de questions qui déterminent des choix et que j’ai été amené à me poser.

Vous évoquez les chaussures, ceci nous ramène au dessin, très accrocheur, au dos de la couverture de L’Entrée du Loup…

HR : Il s’agit d’un dessin réalisé pour la présentation du projet au Lombard et qui avait alors beaucoup plu. Nous avons décidé de le conserver. Même chose pour le texte de Stephen en préambule, qui introduit l’album et décrit les grandes caractéristiques de son univers. Je pense que c’est important pour le lecteur de situer ce dans quoi il entre. Essayer de lui présenter cela progressivement tout en lui faisant suivre l’action, l’intrigue, est, selon moi, une erreur. Plus encore si les explications viennent après les planches…

Votre collaboration avec Stephen Desberg ne date pas d’hier, comment s’organise-t-elle ?

HR : Stephen me soumet le scénario complet, je peux y apporter mes critiques et on en discute. J’effectue un premier découpage, on en parle et on le modifie si nécessaire, même chose ensuite pour les crayonnés et même une fois l’encrage effectué. On pourrait parler d’échange perpétuel, ce qui est enrichissant et permet ensuite, si tel ou tel petit truc ne nous satisfait pas à 100 %, de n’avoir pas trop de regrets. Notre collaboration a évidemment évolué au cours des ans, on sait à peu près chacun la manière dont l’autre fonctionne, mais je suis toujours prudent quant à cet aspect dans le travail. Il peut amener un excès de confiance. On ne peut pas se contenter de se dire « on se connaît, on fait comme ça, ça va aller ! » Je préfère remettre les choses à plat et me demander comment faire mieux.

Stephen, en inventant ce super-tofu qui constitue, finalement, la clé de l’équilibre du monde de Jack Wolfgang, désiriez-vous, d’une certaine manière, caricaturer les « gueguerres » bio  ou non, vegans ou traditionnels qui agitent l’industrie alimentaire et nos modes de consommation ?

SD : Pas particulièrement, parce que dans Jack Wolfgang, pour moi, la question sociale domine, mais elle est en partie conditionnée par l’aspect alimentaire. Mais n’oublions pas que Jack Wolfgang est un agent secret et que nous sommes avant tout dans le domaine du thriller !

Un de vos genres de prédilection…

SD : Oui, mais un genre qui a ses codes, ses recettes, et qu’il est difficilement imaginable de réinventer. Par contre, on peut l’associer à un autre élément et cela offre un nouvel angle d’attaque. J’ai eu un peu le même sentiment en créant IRS, qui combine thriller et enquête financière. On enquête sur des personnages, pas uniquement sur des meurtres et ça apporte aux histoires un parfum différent.  Sous cet aspect Jack Wolgang va dans le même sens, et la présence des animaux ouvre de nombreuses possibilités, comme des tueurs oiseaux, guépards, lézards, qui peuvent atteindre une victime de bien des manières et en des lieux différents.

Il y a également beaucoup d’humour chez Jack Wolfgang, un aspect que vous aviez mis entre parenthèses…

SD : C’est vrai, ça me ramène à mes débuts. Chemin faisant, au cours des années, mes histoires ont pris une direction réaliste, à la demande des dessinateurs et des éditeurs. Une tendance totalement inverse de mes débuts puisque chez Dupuis on comptait une majorité de séries humoristiques et tous publics. Pour Jack Wolfgang, et d’ailleurs plus généralement aujourd’hui, j’avais envie d’aborder les choses de manière plus légère même si cela reste un thriller. Je pense que l’époque le permet. Au cinéma, des films comme Kingsmen ou, dans un autre registre, Iron man prouvent qu’il est possible de créer une vraie histoire, un vrai suspense tout en gardant un ton décalé et souriant. J’ai déjà tenté cela il y a quelques années avec John Tiffany, mais comme les albums ont été publiés dans la collection Troisième Vague, les lecteurs ont été désarçonnés. Ils se demandaient pourquoi une série qu’ils considéraient, eux, comme humoristique, se retrouvait publiée sous ce label consacré au polar et au thriller. Je crois que ce serait moins problématique actuellement.

L’Entrée du Loup constitue une histoire complète, garderez-vous cette forme pour les prochains albums ?

SD : Oui, car il y a beaucoup de sorties BD et on se rend compte qu’il existe une forme de concurrence des séries télé. En télé, le spectateur peut apprécier une saison complète sur un laps de temps limité. En BD, on en est généralement à un album par an…  Les lecteurs n’ont plus la patience d’attendre cela si on ne leur en donne pas un maximum. Nous devrons donc nous montrer à la hauteur pour la suite. Henri travaille sur les planches du tome 2 et si tout va bien celui-ci devrait être publié en juin 2018. A plus long terme on aimerait pouvoir sortir deux aventures de Jack Wolfgang en 2019. J’ai pas mal d’idées et il restera encore beaucoup de choses à explorer après le deuxième album !

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Pierre Burssens
29/06/2017