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Entretien avec Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat

"Il faut viser haut pour atteindre ce que l’on veut"

En 1040, les armées de Byzance tentent de reconquérir la Sicile, alors aux mains des Arabes. Alors que la ville de Taormine résiste à Harald, le terrible chef varègues à la tête des troupes byzantines, un Normand nommé Tancrède et un jeune moine, Étienne, légat du pape proposent les services de leur petite troupe de mercenaires. À la demande d'Étienne, Tancrède se rapproche d'Harald et lui propose un marché : il fera tomber Taormine en trois jours, en échange de quoi il recevra les richesses de la cité. Même s'il comprend que Tancrède est en mesure de réaliser ce prodige, Harald se méfie de cet homme dont les yeux révèlent qu'il a « traversé les Enfers »…

Après Le Roy des Ribauds (Akileos), Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat abordent une autre période du moyen-âge dans l’Or des Caïds, premier tome de leur nouvelle série Ira Dei. Porté par un véritable souffle épique, l’Or des Caïds nous emmène dans un contexte étonnant et peu connu, au cœur d’un brassage de rivalités, de peuples et d’intérêts. Action, aventure, grands espaces, ce tome 1 se révèle particulièrement impressionnant et attise déjà notre curiosité pour la suite. Vincent Brugeas (scénario) et Ronan Toulhoat (dessin) nous en disent plus à propos de cette BD à grand spectacle.


Ronan Toulhoat et Vincent Brugeas au FIBD d'Angoulême

Vincent Brugeas : Nous ne voulions surtout pas faire une resucée du Roy des Ribauds, donc  l’idéal était de sortir d’un cadre urbain et de se tourner vers de grands espaces, de beaux paysages. Or qui voyageait le plus à cette période ? Les Normands. A l’époque, la Méditerranée était un lieu d’échanges exceptionnel, avec une mixité d’ethnies beaucoup plus étendue qu’on l’imagine, et la présence normande en Sicile s’est étendue sur 200 ans. J’ai trouvé de la documentation intéressante sur tout ce contexte, et ça m’a donné l’idée d’Ira Dei et des aventures de Tancrède. Certains scénaristes ont une idée et se documentent ensuite sur le sujet, pour moi c’est souvent l’inverse. Ce que je découvre m’inspire, et puis j’essaye de creuser plus avant. Mais dans ce cas précis, la documentation est souvent fragmentaire, nous brodons à partir de ce que nous avons, mais notre priorité est donc d’être le plus crédibles possible. Ici, par exemple, la manière dont est prise la ville de Taormine s’inspire d'une saga islandaise. Cela ne s’est très probablement pas déroulé ainsi, mais ça reste vraisemblable et nous plongeons nos lecteurs au premier rang de ce siège. Si, en plus, nous donnons envie aux gens de s’intéresser, à travers l’un de nos récits, à la période historique ou aux faits qui y sont relatés, pour nous le contrat est rempli !

Pour vous Ronan, en tant que dessinateur, un tel changement constituait-il un challenge ?

Ronan Toulhoat : Oui, mais une envie aussi. Ira Dei me permettra d’aborder une grande diversité de lieux, de lumières…  La documentation est évidemment essentielle, et dans L’Or des Caïds, elle s’imposait pour donner vie à la myriade de peuples présents en méditerranée. En fouillant, on se trouve confronté à certaines zones de flous, qui procurent une certaine liberté, mais il est absolument nécessaire de s’attacher à certaines lignes directrices. Je n’ai rien trouvé de précis quant à la ville de Taormine, par exemple, et donc ma représentation est basée sur des suppositions. Parfois certaines sources de documentation se contredisent, et là on doit opérer des choix, on adapte en fonction de ce qui nous plaît. Pour les costumes et les armes, j’ai évidemment trouvé beaucoup plus d’infos sur les Normands et les Vikings que sur les ethnies d’origine arabe ou byzantine…  Je mixe, j’adapte…  Je ne voulais pas non plus reproduire des gravures de livres d’histoire. Je voulais qu’on sente que ces habits, les personnages avaient passé du temps dedans ! Tout n’est peut-être pas totalement exact, mais comme vous l’a dit Vincent, notre objectif est d’être crédibles dans ce que nous proposons au lecteur.

Alors que nous sommes confrontés aujourd’hui à différentes formes de radicalisation, le fait de retrouver autant de peuples différents qui se côtoient, s’allient...ou s’affrontent dans ce premier album est vraiment surprenant…

VB : Le moyen-âge était une époque plus pragmatique qu’on l’imagine. La religion avait certes son importance, mais les intérêts passaient en premier. On le voit notamment dans la relation qui existe entre Etienne et Tancrède…   Dans ce cadre-là, il est difficile de caractériser, dans un schéma classique de BD, tel personnage de « méchant » ou tel autre de « gentil ». Je vais vous citer un fait authentique : en 1090, le Pape est chassé de Rome. Il demande l’aide du Roi de Sicile. Celui-ci reprend Rome et réinstalle le Pape…grâce à une armée constituée à 90 % de…Musulmans !  Ca paraît inimaginable, et pourtant il s’agit bien de la réalité historique…qui dépasse dans ce cas la fiction !

De quelle manière envisagez-vous Ira Dei ? Une série au long cours ou un format plus limité ?

RT : Une série au long cours, articulée en 6 cycles de 2 tomes chacun. Chaque diptyque se déroulera dans un endroit différent. Le premier en Sicile, le second en Italie du Sud , puis à Constantinople, Novgorod, la Norvège et enfin l’Espagne avec pour ces derniers albums, un ton très crépusculaire. Les personnages vont évoluer, vieillir. Pour moi chaque cycle représentera une sorte de remise en question graphique, pour éviter les redites. Mais je voulais sortir de ma zone de confort et me frotter aux grands espaces ! Ce n’est pas pour rien que je suis un admirateur d’Hermann, de Christian Rossi et de Mathieu Bonhomme…entre autres !

Douze albums prévus dès le départ…  Un projet ambitieux dans le climat actuel de la BD…

VB : Nous en sommes conscients, mais je pense qu'il faut viser haut pour atteindre ce que l'on veut. En tant que scénariste, j’aborde cela de manière très différente des projets précédents.  Nous sommes dans des albums classiques de 54 pages, donc la manière de raconter est différente, tout doit pouvoir fonctionner dans une pagination limitée. Il s’agit d’une contrainte mais celle-ci permet de progresser.

A quelle cadence est prévue la publication d’Ira Dei ?

RT : Les deux premiers tomes sont programmés pour 2018, et ensuite ce sera à raison d’un album par an, afin que nous puissions aussi travailler à d’autres projets, notamment sur l’adaptation d’une nouvelle de Conan de Robert E. Howard. Glénat va y consacrer une collection thématique et nous sommes de cette aventure aussi.

Le personnage de Tancrède présente pas mal de mystères, notamment son identité réelle. Allez-vous les dévoiler progressivement ?

VB : On y voit déjà plus clair à la fin de l’Or des Caïds, et le tome 2 évoquera davantage les motivations réelles du personnage. Tancrède va progressivement se rendre compte qu’il doit tourner le dos à sa vie d’avant, et faire face aux événements comme un homme neuf.

Disposez-vous déjà du scénario complet de la série ?

VB : L’écriture du tome 2 est bouclée, celles des épisodes 3  et 4 est en cours de finalisation et je connais la fin de l’histoire. Pour le reste, je vois ça comme un chemin de randonnée dont je connais la destination. Je peux choisir d’emprunter des raccourcis ou des chemins de traverse, en sachant cependant par où je dois passer. Ca me laisse une certaine liberté et une marge de manœuvre sas cependant pouvoir faire n’importe quoi.

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Pierre Burssens
31/01/2018