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Entretien avec Catel

"Dans un monde très masculin, il me semblait plus naturel, plus logique de représenter des filles et de leur donner le premier rôle."

Artiste majeure du roman graphique, Catel s’est imposée dans le paysage de la BD franco-belge grâce à de remarquables portraits de femmes, de Kiki de Montparnasse à Benoîte Groult. Elle a aussi illustré de nombreux romans et albums pour enfants avant de dessiner ses premières biographies romancées. Sa rencontre avec le scénariste-écrivain José-Louis Bocquet sera déterminante pour la suite de son oeuvre. Ils entament leur collaboration avec un album consacré à Edith Piaf suivi des romans graphiques Kiki de Montparnasse , Olympe de Gouges  et Joséphine Baker . Seule, elle est allée à la rencontre de Benoîte Groult – l’auteure de Ainsi soit-elle  - tandis qu’avec la dessinatrice Claire Bouilhac, elle va évoquer le destin méconnu de Rose Valland puis de Mylène Demongeot dans  Adieu Karkhov . Aujourd’hui, elle travaille avec Anne Goscinny au Roman des Goscinny . Un parcours jalonné de prix prestigieux, dont le dernier en date, le prix Diagonale, lui a été décerné en mai. Le Centre Belge de la Bande Dessinée (CBBD) lui consacre une vaste exposition rétrospective, rassemblant plus de 300 originaux. Héroïnes au bout du crayon est accessible jusqu’au 25 novembre. Nous y avons rencontré Catel au lendemain du vernissage.

Votre exposition a été inaugurée hier, elle est accessible au public à partir d’aujourd’hui, quel regard portez-vous dessus ?

Catel : D’une part, il y a un véritable éblouissement, car la scénographie est belle, et elle prend place dans un écrin fabuleux. Le CBBD est un endroit magnifique et c’est un véritable honneur de recevoir un tel accueil. D’autre part, comme il s’agit d’une rétrospective, j’ai la sensation de regarder dans le rétroviseur et  je mesure que 30 ans de métier ce n’est pas rien. Mais ça m’inspire une certaine sérénité, et je trouve une logique, une cohérence dans la présentation des différentes étapes de mon travail, quelque chose que je ne percevais pas vraiment jusque-là…  J’avais plutôt, au contraire, l’impression que ça partait dans des directions différentes. Les concepteurs de l’exposition ont effectué un très gros travail sur mon parcours, de mon enfance à aujourd’hui. Les 300 originaux exposés ne sont peut-être pas mes plus belles planches, certaines ont été vendues, mais elles sont significatives de mon cheminement, et, quelque part, ça a réveillé en moi de la tendresse, ou du moins davantage de compréhension pour des choses qui traînaient parfois dans des cartons.

Davantage de compréhension ? Pourquoi ? Vous jugez sévèrement certaines de vos œuvres ?

Je suis comme ça. Pour moi c’est toujours le prochain album qui sera le meilleur. Quand un livre sort, j’ai tendance à en voir d’abord les imperfections. Ici, il y a certains travaux anciens qui n’étaient pas destinés à être montrés, mais les exposer, c’est aussi les faire vivre, et ils font partie de mon histoire.

Comme l’indique le titre de l’exposition, Héroïnes au bout du crayon, votre univers est essentiellement féminin…

Oui, avec des héroïnes de fiction, émancipées, pour en arriver à des femmes réelles, à des héroïnes au(x) rôle(s) historique(s) dont nous avons réalisé les biographies avec José-Louis Bocquet. Dans un monde très masculin, il me semblait plus naturel, plus logique de représenter des filles et de leur donner le premier rôle. Je ressentais plus d’empathie pour ces personnages, et elles se sont succédées sur ma table à dessin. Le gros chantier actuel, Le roman des Goscinny, auquel je travaille avec Anne Goscinny, fait un peu figure d’exception, mais c’est René Goscinny, juste après Hergé, qui m’a fait aimer la BD. Mais avec Anne nous développons  aussi  la série Jeunesse Le monde de Lucrèce.  Et côté projets, il y a aussi deux biographies en préparation avec José-Louis Bocquet, l’une consacrée à Nico, du Velvet Underground, et l’autre à Alice Guy, première réalisatrice à l’origine de la société Gaumont.

De plus, dans mon parcours, j’ai dû surmonter pas mal d’obstacles en tant que femme. Je suis sortie de l’école en même temps que Blutch, nous avons intégré Fluide Glacial, mais j’y étais une sorte d’ovni, seule fille parmi une vingtaine de mecs. Je me suis dirigée vers l’illustration jeunesse, et puis j’ai annoncé à mon éditeur que je voulais tenter la BD. Il m’a dit que c’était trop tard, que je n’étais pas tombée dedans…  Une réaction qui m’a heurtée, puis boostée. Pourquoi ne pas essayer ? J’ai avancé avec mes petites héroïnes volontaires, libres, et moi je me sentais libre de faire ce que j’avais envie de faire, avec un certain succès public à l’arrivée.  Puis, je crois que Le sang des Valentines, réalisé avec Christian De Metter et Prix du public à Angoulême en 2004 m’a tout doucement amené à m’intéresser à l’Histoire et a peut-être déclenché cette envie de revisiter l’histoire des modèles féminins, de mes modèles féminins plutôt, en BD. Ma rencontre avec José-Louis Bocquet n’a certainement pas été un hasard sur ce plan, nous avions des choses à raconter ensemble !

Kiki de Montparnasse, Olympe de Gouges, Joséphine Baker…  Qu’est-ce qui guide votre choix vers tel ou tel portrait ?

Ces femmes ont  marqué l’Histoire à leur manière, mais on en a généralement retenu un fait, un aspect, alors que l’histoire de chacune d’entre elles est relativement peu connue. Nous ne pouvons pas nous limiter à une évocation de type Oncle Paul, donc nous menons, en amont, un énorme travail de recherche. De plus, les combats  de  ces femmes illustrent des valeurs universelles, la liberté, l’égalité, la fraternité. Autour de chacune, nous évoquons aussi un moment du monde. Nous ne pouvons pas nous tromper dans nos choix, car une biographie de ce type représente pour environ 3 ans de travail, avec une année de recherches où nous lisons les bios existantes, rassemblons l’iconographie…  Pour ma part j’ai toujours un carnet dans mon sac pour prendre des notes, des références, dessiner aussi…pour me reposer (rires).


Projet en cours, Le roman des Goscinny...

D’un point de vue purement graphique aussi, on imagine qu’il s’agit d’un travail titanesque…

J’ai un dessin ouvert, qui se situe quelque part entre les grands classiques de la BD et l’école de Paris actuelle, un style assez enlevé qui me permet d’avancer assez rapidement, et puis, pratiquement, je mène toujours plusieurs projets de front…

Vous êtes amenée à vous approprier par le dessin des personnages authentiques. Comment procédez-vous ?

Il s’agit d’une étape très intéressante. Le dessin doit à la fois être le plus juste possible, mais comme mon dessin n’est pas totalement  réaliste, il y a un travail de simplification à mener. Je dois trouver une forme d’équilibre, tant pour les personnages féminins que masculins. Quand Jean-Claude Bouillon-Baker m’a contacté au sujet de sa mère, Joséphine Baker, il la voyait, en BD, comme une sorte de Tintin en Joséphine. Benoîte Groult n’aimait pas la BD, mais elle a apprécié son image…qui m’avait demandé des dizaines si pas des centaines de recherches !

 Et vous dites mener plusieurs projets simultanément ?

Au moins cinq, oui. J’ai besoin de grands et petits chantiers, de construire des choses différentes. Cela me permet de me poser, de ne pas m’ennuyer ou m’enfermer. Cette exposition, les livres Jeunesse, le scénario, le dessin de presse, tout récemment une animation sur Colette pour Arte… toutes ces expériences différentes nourrissent mon travail, et chacune me permet, en quelque sorte, de me ressourcer par rapport aux autres. J’ai la chance d’avoir aujourd’hui deux ateliers, l’un à Paris et l’autre en Normandie. Je ne pars pas en vacances, mais chaque jour je m’accorde un petit plaisir, comme un petit café - moment non négociable – qui représente pour moi quelques minutes de vacances, et le changement de maison renforce cette impression agréable. Et, comme je vous l’ai dit, quand je veux me reposer, je sors mon carnet et…je dessine !

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Pierre Burssens
16/07/2018