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Entretien avec Midam

"Je recherche avant tout quelque chose qui me rende heureux"

Kid Paddle a 25 ans ! Un anniversaire que célèbre la galerie Huberty & Breyne à l’occasion de l'ouverture de son nouvel espace, 33 Place du Châtelain à Ixelles (B). Midam y est mis à l’honneur pour une importante exposition qui comporte évidemment des planches des différentes séries de l’auteur, mais présente aussi des facettes moins connues de son activité. Intitulée New-Blork City, accessible jusqu’au 13 octobre, cette exposition, comme nous l’a expliqué Midam, ne se contente pas de poser un regard dans le rétroviseur mais concrétise aussi pour lui un nouveau départ.

Doit-on vous souhaiter un bon anniversaire ?

Midam : c’est plutôt à Kid Paddle que vous pouvez le faire...  Le premier dessin de Kid Paddle est apparu dans Spirou en août 1993, il s’agissait d’un tiers de page en hauteur, sorte de “teasing” pour une rubrique consacrée aux jeux vidéo. Kid y bétait représenté emberlificoté dans de nombreux câbles. Le même principe s’est appliqué les deux semaines suivantes, et la quatrième semaine, la rubrique apparaissait enfin en pleine page dans le magazine, de même qu'un gag de Kid Paddle.

Que représente aujourd’hui pour vous une telle exposition ?

Voilà plusieurs années que l’on me demandait d’exposer, mais il fallait que la bonne occasion se présente. Je ne voulais pas qu’il s’agisse uniquement d’un alignement de planches de BD. Ces 25 ans me permettaient, légitimement de marquer le coup. En fait, cette exposition résulte de la conjonction de plusieurs éléments. Premièrement, si je ne le faisais pas, personne n’allait le faire pour moi. Deuxièmement, Alain Huberty et Marc Breyne m’ont proposé d’inaugurer leur nouvelle galerie, c’était donc deux fois oui ! Et troisièmement, comme je travaille aujourd’hui sur des grands formats, ce que j’avais à montrer, à proposer correspondait davantage à l’idée que je me faisais d’une exposition.

Pourtant de nombreuses expositions d’auteurs de BD sont essentiellement constituées de planches originales...

Bien sûr, et il m’est arrivé d’aller en visiter, mais pour moi, la planche en noir et blanc ne constitue qu’une phase intermédiaire. La finalité, en BD, c’est l’album et ce que vous y voyez. Le noir et blanc offre un rendu très différent. Pour moi, par exemple, il n’y a pas grand intérêt à représenter du slime s’il n’est pas vert. Ou alors la planche doit être travaillée différemment, dans l’optique d’une publication en noir et blanc. Voilà pourquoi je n’avais pas envie d’investir cet espace avec une centaine de planches originales, bien que je sache qu’elles ont leurs collectionneurs et que le public apprécie de découvrir cette...étape.

Ce qui nous donne l’occasion de vous découvrir en gand(s) format(s)...

Oui, parce que je peux enfin me le permettre ! En 25 ans de gags, ce que je dessinais devait forcément être humoristique, comporter une idée et un mécanisme afin d’aboutir à une chute amusante. Dans un premier temps, c’est spontané, c’est votre job...ok ! Mais je me suis vitre rendu compte qu’il était pratiquement inimaginable de dessiner, par exemple, Kid Paddle se baladant en forêt... Quand vous sortez d’un schéma précis, votre éditeur vous appelle...  Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui ne va pas ? Et derrière ça il y a évidemment une forme de pression. De dictature, même...  On en arrive à ne plus pouvoir dessiner pour le plaisir du dessin. J’aime beaucoup les grands formats exposés ici, j’ai 55 ans et ils relèvent d’une démarche que je qualifierais de plus contemplative. Je découvre un monde sans limite, l’image, l’art peut vous emmener dans toutes les directions possibles. C’est très différent de la technique BD qui se résume un peu, côté couleurs, à  “ne pas dépasser”. Il y a peu, il m’est arrivé quelque chose d’interpellant. Spirou m’a contacté pour une couverture. Je leur ai fourni une illustration en couleurs directes. Ils m’ont rétorqué que l’idée était chouette, mais la réalisation “trop artistique” pour le magazine. Je n’avais plus de contact avec eux depuis des années, et ça aboutit à un refus... Finalement, je leur ai retrouvé une version noir et blanc du même dessin, ils l’ont colorié par ordinateur et voilà ! Mais vous voyez, ce genre de choses, c’est une raison supplémentaire de m’éloigner de ce monde-là !

Dans une galerie, vous rencontrez aussi un public différent de celui de la BD...

En partie, oui, mais ce qui est intéressant, tant du côté des galeristes que des clients, c’est que ce public peut considérer une oeuvre en tant que telle. En BD, la finalité est l’album, qui est commercialisable. Après deux ans de travail, vous y arrivez, vous l’avez cet album. Et puis, en faisant vos emplettes, vous rencontrez un gamin assis dans un rayon de supermarché qui, en vingt minutes, consomme ces deux ans de travail. Le métier est chronophage, mais il existe une telle disproportion entre le travail et le plaisir qui pour moi est devenue pesante. Réaliser une illustration est plus rapide, plus immédiat et me donne un peu la sensation de cuisiner, en expérimentant différentes techniques, différents ingrédients... Je travaille à l’aquarelle, au brou de noix, j’ai aussi réalisé 3 grandes toiles à l’acrylique -c’est formidable de pouvoir utiliser du blanc, d’en rajouter, alors qu’en BD le blanc est celui du papier -, ce sont chaque fois des plaisirs différents.

S’agit-il d’un pas de côté par rapport à la BD ?

Non, je vais de l’avant ! Je pense avoir fait le tour de ce qu’il y a moyen de faire en BD. Des albums continuent à sortir, j’ai des assistants, on m’envoie des scénarios par mail, j’ai mon petit réseau... Mais aborder les galeries et le monde de l’Art est aussi un pari, un défi car je ne connais pas cet univers. Quelque part, je triche un peu avec ma notoriété car j’ai tout de même vendu 8 millions d’albums, mais je recherche avant tout quelque chose qui me rende heureux. Passer d’un éditeur à l’autre, s’auto-éditer, gérer, se voir vieillir...il faut assumer. En BD, c’est un peu comme si vous faisiez du vélo en regardant la roue de devant, pas la route. L’éditeur vous dit de le faire, le directeur commercial aussi et l’attachée de presse vous le rappelle. Mais à un moment, c’est nécessaire de regarder la route, et même l’horizon. C’est aussi con que cela !

Mais dans la thématique de vos oeuvres, vous restez fidèle à votre univers...

Je ne m’accorde pas la légitimité pour entreprendre des monochromes bleus, et puis..d’autres l’ont fait (rires) ! Par contre je comprends de mieux en mieux qu’Hergé, arrivé à un certain stade de sa carrière et de sa vie, ait manifesté un tel intérêt pour la peinture abstraite. On peut aisément imaginer qu’il ait, lui aussi, du faire face à une sorte de “trop-plein”. Je vais au plus simple, je peins des trucs que j’aime et qui m’amusent. J’aime bien l’Amérique, et j’aime les blorks, difformes ou multiformes, c’est selon. Et comme les deux se prêtent bien à mes envies d’expérimentation, je m’amuse !

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Pierre Burssens
24/09/2018