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Entretien avec Fred Vignaux

"Thorgal, c'est la BD de mon enfance..."

La nouvelle en a surpris plus d'un, mais après quarante années sur les traces de l'enfant des étoiles, Grzegorz Rosinski a choisi d'arrêter Thorgal. Ceci ne signifie pas la fin de la série. En effet, le dessinateur a désigné son successeur pour poursuivre l'aventure entamée en 2001 alors en compagnie de jean Van Hamme. Frédéric Vignaux vient de signer Le maître de justice (Le Lombard) ultime album du spin-off consacré à Kriss de Valnor avant de relever ce défi aussi exigeant qu'enthousiasmant. Certaines rencontres se produisent, comme l'on dit, entre deux portes. Pour notre part, nous avons rencontré Fred Vignaux entre deux albums et deux personnages mythiques, Kriss de Valnor et Thorgal !

Le tome 8 du spin-off Kriss de Valnor est le dernier, comment le vivez-vous ?

Paradoxalement, la fin de cette série est aussi, pour moi un autre commencement. Travailler sur Le maître de justice a été un vrai plaisir et l'album clôt un beau diptyque pour une histoire très cinématographique. Avec Mathieu Mariolle et Xavier Dorison au scénario, il ne pouvait qu'en être ainsi.

Je m’en suis vraiment rendu compte à la fin car il y a eu des choses esquissées dans le tome précédent qui aboutissent ici. Au final, je trouve que ça se rapproche un peu des  Archers, dans la série-mère, qui constitue en soi un petit film. Et puis, comme cet album-ci s'inscrit dans la continuité de l'univers Thorgal, ce n’est pas vraiment une fin...

Le maître de justice est fluide dans sa narration, mais n’en est pas moins dense. Certaines planches comportent beaucoup de cases et beaucoup de texte...

Effectivement, mais ces dialogues permettent de caractériser la psychologie des personnages et il y a aussi des pages beaucoup moins denses. Je trouve que Neige était, de ce point de vue,  beaucoup plus contraignant. Je pouvais néanmoins utiliser les fonds perdus, il y avait des panoramiques... Là, la charte  de Thorgal est plus stricte mais néanmoins créative. C'était aussi un challenge qui ne m'a pas vraiment mis en difficulté. La densité peut aussi représenter un "plus". Il ne faut que la BD soit lue en 20 minutes, pour moi, c’est important ! Quand on regarde les Thorgal, Van Hamme dit que la série comporte des albums de scénariste et des albums de dessinateur. Donc, quand il présentait un scénario à Rosinski, il lui disait « Tu vois Grzegorz, celui-ci sera un album de scénariste, ce qui veut dire qu’il y aura plus de cases mais la prochaine fois, je te ferai plaisir en te faisant un album de dessinateur ».

Vous êtes le dernier arrivé dans l’équipe Thorgal et, on l'a appris, vous avez la charge et l’honneur de reprendre la série principale. Cela représente-t-il une grande pression ?

Même si ça ne fait pas beaucoup, j'ai déjà posé le pied dans cet univers avec les deux albums de Kriss de Valnor. La bande dessinée est un métier solitaire, on est chez soi, on se bat contre soi, ses propres réflexions... Par contre, lors de séances de dédicaces avec les lecteurs de Thorgal qui sont parfois de véritables fans, incollables sur la série, là on se dit qu'effectivement avec Thorgal il faut se mettre un petit peu la pression.

Comment cette reprise a-t-elle été décidée avec Rosinski ?

Comme il l’a expliqué en conférence de presse, il retrouvait un peu de lui dans mon dessin. Je pense que c’est surtout cette énergie que l'on essaye de retranscrire. J'aime bien, même dans les paysages, que ça vive et je sais que lui, avec ses personnages, quand on lit un Thorgal, on lit dans le dessin  le reflet de ses émotions tout au long d’une année, tout au long de la création. Le personnage bouge beaucoup et n’est pas forcément constant, c’est ça qui est intéressant. En bande dessinée, on ne fait pas d’illustration, ni de dessin animé. J'estime, et c’est ce à quoi ils parviennent dans les mangas, toute proportion gardée, que le personnage doit vivre en fonction des cases, en fonction de ce qui se passe. Il n’est pas obligatoire qu’il soit toujours pareil, toujours constant. Le dessin des personnages est un peu le reflet de notre humeur du moment, sans que cela varie trop non plus.

Rosinski est-il intervenu sur votre dessin pour Kriss de Valnor ?

Il est intervenu sur le premier album, alors que je lui avais envoyé les dix premières pages.  Il a redessiné certaines cases en me montrant les émotions, les intentions, qu’il fallait faire passer, notamment sur le visage de Kriss.  C’était davantage didactique qu’autre chose. Ensuite, il m’a laissé poursuivre l’album. Quand je réalise une planche, je fonctionne en transparence, je l’envoie à Rosinski, aux scénaristes et à l’éditeur, je la soumets à tout le monde...

De qui sera le scénario du prochain Thorgal ?

De Yann, je suis  en train de travailler sur les premières planches. Un bon dialogue s’est instauré entre nous et, c'est assez amusant,  il propose des versions alternatives sur son synopsis. J'ai assez  souvent choisi celles-ci. Yann fait ensuite en sorte  de réajuster.  Une fois les ajustements effectués, il procède au découpage de l’album, ce que j’apprécie particulièrement car ça permet à chacun de tenir sa place. Ceci dit, je me suis demandé s'il ne s'agissait pas de perches qu’il me tendait pour voir comment je réagirais...

Votre charge de travail, de dix à douze heures par jour ?

Oui, d’autant plus cette année que j’avais aussi un Neige à réaliser ! Je m’étais engagé auprès des deux éditeurs, Glénat pour Neige et Le Lombard pour Kriss de Valnor, à respecter les délais de chacun. Maintenant, le challenge est de me consacrer entièrement à Thorgal pour les deux à trois années à venir, et aux couvertures de Mythologie car c’est un vrai plaisir de les dessiner... L’objectif étant de faire un album de Thorgal par an, sachant que je ne m'occuperai pas des couleurs. Je m'attacherai plutôt à travailler l'encrage, en pensant au sens des lumières et à ce qui va incomber au coloriste lors de l'étape suivante. J'essaye donc de lui fournir le maximum d'indications, de lui décrire au maximum mes intentions afin qu’il puisse ajuster son travail.

 

Dans une interview accordée à un confrère,  Rosinski annonçait qu'il continuerait à réaliser les couvertures de Thorgal. Est-il prévu que vous puissiez assurer cette partie du travail plus tard ?

En fait, ça me fait extrêmement plaisir que ce soit Grzegorz qui les réalise. Thorgal, c’est la bande dessinée de mon enfance et j’ai toujours vu les couvertures de Rosinski et comme j’ai la casquette de « cover artist » pour la collection Mythologie (Glenat), cela ne me gêne pas que quelqu’un s'en charge à ma place. Au contraire, je trouve important qu’il y ait une homogénéisation des couvertures pour une série. De plus, cetraines de ses couvertures sont quand même devenues quasi-mythiques. Pour moi, c'est plutôt un énorme cadeau. Par ailleurs, je sais que s'il arrête la bande dessinée, c’est qu’il a envie de se faire plaisir en se consacrant à la peinture.

Vos albums de Kriss de Valnor étaient réalisés  en numérique. Rosinski a-t-il apprécié cette technique et qu'en sera-t-il pour Thorgal ?   

En fait, Rosinski est sensible à la nouveauté, il s’est toujours renouvelé au cours de sa carrière et je pense qu’il était un peu intrigué par cette technique. Mais on ne parle pas trop de ça entre nous. Par contre, les originaux revêtent une grande importance car pour ma part, j’ai appris la bande dessinée en allant voir des originaux, en regardant comment les coups de pinceaux étaient donnés,  avec quels outils le dessin avait été réalisé etc. A mes débuts, il n’y avait que la technique traditionnelle, papier, crayon et encre. Aujourd'hui je pense qu'il est très important d'y revenir pour continuer à montrer cela aux jeunes qui nous succèderont. Le traditionnel, le numérique, ne sont que des techniques qui ont pour finalité la création d'une BD. Je ne pense pas qu’aujourd’hui le lecteur se pose de question quant au choix de l'une ou l'autre, mais par contre il me semble important que l'on puisse continuer à voir et regarder des originaux pour Thorgal.

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Bernard Launois
14/11/2018