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Entretien avec Wauter Mannaert

 "Il y a de moins en moins de résistance face aux OGM et je trouve ça inquiétant"

Reprendre le contrôle de ce qui se trouve dans nos assiettes, un enjeu qui peut sembler tout simple et qui constitue finalement le moteur de Yasmina et les mangeurs de patates (Dargaud), écrit et dessiné par Wauter Mannaert. Une volonté qui se transforme en une aventure de plus de 140 pages dans laquelle l' attachante héroïne a fort à faire face à l'industrie agro-alimentaire, ses pratiques et ses ramifications. Avec humour, l'auteur aborde nombre de sujets d'actualité qui, d'une manière ou d'une autre, nous concernent tous. Yasmina fait sourire, mais aussi réfléchir. Wauter Mannaert partage sa démarche avec nous pour Auracan.com.

OGM, pesticides, fast-food…qu’est-ce qui vous a amené à aborder de tels sujets en BD ?

Wauter Mannaert : J’habite Bruxelles, et depuis pas mal d’années maintenant on voit se (re)créer des jardins en ville, parfois même sur les toits de certains immeubles, des potagers communautaires… J’ai été travailleur social, et j’essayais de développer de tels projets avec des jeunes sur le site de Tour & Taxis qui, à l’époque, constituait une sorte de jungle urbaine. J’ai découvert qu’il existait des livres consacrés au jardinage urbain, et finalement, si cette dynamique a un côté charmant, elle a aussi quelque chose de fascinant car elle répond à une vraie préoccupation des gens.

Voici quelques années, la Belgique a connu ce que l’on a appelé la guerre des patates. Avec la menace des OGM, les citoyens ont commencé à s’inquiéter au sujet de leur nourriture et ont voulu reprendre le contrôle de ce qui se trouvait dans leur assiette.

Pourquoi dès lors ne pas produire soi-même ses légumes quand c’est possible ? Ces sujets sont très actuels et les gens se posent de plus en plus de questions par rapport à cela. L’enjeu, à mon sens, est de ne pas laisser uniquement les magnats de l’industrie agro-alimentaire y répondre ! Cyrille et Marco, les deux amis jardiniers mis en scène dans l’album, illustrent le débat qui, selon moi, doit avoir lieu entre les personnes. L’un jardine en tout bio, l’autre pulvérise des produits. Des tensions existent entre les deux, mais chacun a des arguments qu’il peut défendre. La discussion doit d’abord avoir lieu à ce niveau et elle ne doit pas s’arrêter. Il me semble qu’aujourd’hui, il y a de moins en moins de résistance de nos décideurs politiques face aux OGM et je trouve ça inquiétant. On ne doit pas arrêter d’en parler, dans notre intérêt et celui de nos enfants. De plus ces phénomènes, ces décisions peuvent, plus largement, avoir d’autres impacts, comme sur le climat. Ce serait grave de perdre cela de vue !

Vous évoquez Cyrille et Marco, mais entre Yasmina, passionnée de cuisine végétarienne, et son père qui travaille dans une friterie, vous montrez aussi un important contraste…

Mais qui existe, aujourd’hui dans notre société. Je suis moi-même végétarien, et les réflexions des collègues du papa de Yasmina, quand il déballe les plats qu’elle lui prépare, je les ai déjà entendues et je continue à les entendre régulièrement. Mais il est important d’être tolérant, de parler, de partager…sans imposer. Ca m’amusait vraiment d’aborder toutes ces facettes par le biais de l’humour et d’une aventure à la Roald Dahl ou Spirou.

Par rapport à El Mesias et Weegee, vos albums précédents vous changez de type de dessin et abordez la couleur dans Yasmina et les mangeurs de patates

Oui, parce que je voulais approcher le sujet de manière plus humoristique, plus caricaturale, plus joyeuse aussi… Les thèmes traités dans l’album sont sérieux, mais je voulais construire une véritable aventure, amusante, autour de ceux-ci. Cette évolution est venue de manière assez naturelle. J’ai été influencé par les cartoons et par Franquin, dont je suis un admirateur. Les fans de Spirou devraient aussi retrouver dans l’album un clin d’œil au Rayon noir de Tome et Janry.

Dans les décors de certaines cases de Yasmina et les mangeurs de patates, la nature est toute proche de zones industrielles

On l’oublie parfois, mais c’était le cas pour certains espaces bruxellois, Tour & Taxis, notamment. Quand la nature y reprend ses droits, les enfants y jouent, mais toute une vie se développe alors et parfois la biodiversité se révèle plus large que dans des zones rurales. Ce sont parfois des endroits minuscules, mais souvent très riches dans leur nature et toujours en transformation.

A qui destinez-vous cet album ?

Je pense qu’il s’agit vraiment d’un album tous publics. Des enfants de 7 ou 8 ans pourront apprécier l’aventure au premier degré. Ca bouge beaucoup, il y a des gags et du suspense et d’après les premiers retours, ce jeune public aime bien. Mais à un autre niveau, par rapport au sujet, aux références, à l’actualité, l’album est également destiné à des lecteurs ados ou adultes, sous un aspect humoristique, amusant, mais qui peut ouvrir à la réflexion.

Avec 144 pages, on pourrait presque parler de roman graphique humoristique…

Au départ, je n’imaginais pas une telle pagination. Je suis devenu papa et ça m’a donné envie de faire un petit truc pour les enfants . J’ai commencé à écrire et je me voyais arriver à une soixantaine de pages. Mais d’une part Dargaud s’est montré intéressé, ce qui a constitué pour moi une excellente surprise, et puis j’ai eu envie de laisser parler davantage le dessin, comme sur  la séquence d’ouverture qui compte une quinzaine de planches sans texte… Même si le nombre de pages est important, Yasmina et les mangeurs de patates se lit tout de même assez rapidement !

Mais grâce à de nombreux détails et certaines trouvailles, vos dessins demandent à ce que l’on s’y attarde…

Là on voit l’influence des cartoons. Le dessin doit comporter suffisamment d’éléments pour être parlant, mais il ne doit pas être surchargé. Il y a un équilibre à respecter. Je continue d’ailleurs à réaliser des cartoons pour certains médias.

Yasmina est une petite fille issue de l’immigration, un choix qui s’imposait ?

D’une certaine manière, oui, car je croise beaucoup de Yasmina sans mon quartier, et comme travailleur social, j’en ai côtoyé beaucoup aussi ! (rires). Le déclic est venu en travaillant sur le récit, en fait, et comme il existe dans le milieu BD une demande pour plus de diversité, je n’avais vraiment aucune raison de ne pas faire ce choix.

Pourrait-elle vivre d’autres aventures ?

Il est tôt pour en parler mais pourquoi pas ? Le personnage est chouette, semble bien reçu, et elle pourrait explorer d’autres thématiques sous forme d’aventures qui constitueraient, comme celle-ci, des métaphores de notre société. Ce n’est pas impossible. Mais je réfléchis aussi à d’autres projets et on verra quand viendra l’heure des choix…

Vous êtes publié pour la première fois chez un grand éditeur. Quels changements cela entraîne-t-il pour vous ?

L’équipe bruxelloise de Dargaud est assez réduite et les contacts sont aisés et plaisants, donc je n’ai pas vraiment l’impression de me retrouver dans une grande boîte, une grande machine. Mais il est clair que mon album, potentiellement, pourra toucher un public nettement plus large, du moins je l’espère. Par contre, pour la promo, comme aujourd’hui avec cette journée presse, là je ressens une grande différence, positive évidemment !

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Pierre Burssens
22/01/2019