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Entretien avec Christophe Cazenove

"Mes autres séries sont comme un beau gâteau, et Boule et Bill est la savoureuse cerise qui vient le compléter..."

Début novembre sortira Bill à facettes, le 40e album de Boule et Bill (Dargaud). Une publication qui revêt une importance particulière en cette année où l’on célèbre les 60 ans de la série et pour laquelle les éditeurs originaux de cette inusable série familiale ont mis les petits plats dans les grands. En effet, alors que Dupuis rassemble dans L’Avis de chien 32 histoires inédites en album imaginées par Roba et Yvan Delporte et réédite les 24 premiers albums de Boule et Bill sous leurs couvertures originales, Dargaud nous a proposé en avril une compilation hors-série de gags parcourant 60 ans de création sous le titre Bon Anniversaaah ! et édite un somptueux ouvrage consacré à l’Art de Roba. Enfin, le Centre Belge de la Bande Dessinée (CBBD) accueille jusqu’au 31 décembre l’exposition 60 ans de bonheur au quotidien.

Il y a quatre ans, Jean Bastide et Christophe Cazenove reprenaient la série des mains de Laurent Verron, qui la tenait lui-même de Roba. Nous avons rencontré Christophe Cazenove, actuel scénariste de cette charmante chronique familiale construite autour de l’éternelle complicité entre un petit garçon et son cocker. Il évoque pour nous cette véritable madeleine de Proust ainsi que ses multiples séries humoristiques aux éditions Bamboo dont il est un des piliers.

Vous scénarisez, depuis des années, de nombreuses séries humoristiques aux éditions Bamboo, mais que représente, par rapport à celles-ci, la reprise d’une série aussi emblématique que Boule et Bill ?

Christophe Cazenove : J’ai d’abord été très surpris, et honoré, qu’on me le propose, et après un temps de réflexion j’ai réalisé que ça pouvait me correspondre. Je connaissais bien Boule et Bill, en tant que lecteur, je connais le public auquel la série s’adresse et je me suis décidé à tenter l’aventure en envoyant une dizaine de gags à l’éditeur. Aujourd’hui, travailler sur Boule et Bill ne représente pas vraiment pour moi de pression particulière, mais je suis particulièrement attentif au respect de l’œuvre de Roba et de mes prédécesseurs. Je ne veux pas abîmer le merveilleux jouet qui m’a été confié, et je ne veux décevoir ni Luce Roba, ni Jean Bastide, le dessinateur, ni les lecteurs, évidemment ! Si à un moment donné endosser ce rôle pouvait peut-être entraîner une forme de pression, celle-ci s’est rapidement muée en motivation et en plaisir…

Vous approprier cet univers vous posait-il une difficulté particulière ?

CC : Il s’agit d’une reprise, sur laquelle Jean Bastide et moi sommes arrivés pour le 37e album, et là j’ai commencé à travailler sur tome 41. Donc un des défis que je dois relever est de ne pas répéter ce qui a déjà été fait. Gérer cet aspect-là est plus simple quand on est soi-même à l’origine de la série. J’y suis donc particulièrement attentif. Si j’ai un doute quant à un gag, je ne vais pas plus loin, je le supprime. Et puis, je le répète, je ne suis peut-être que de passage, et je ne veux en aucun cas laisser une empreinte négative par rapport à tout ce que Boule et Bill peut représenter pour son public.

On peut trouver une forme de nostalgie, à la lecture de Boule et Bill. N’avez-vous pas été tenté d’actualiser ou de moderniser cet univers ?

CC : Non. Je ne parlerais pas de nostalgie mais plutôt d’images ou de valeurs intemporelles. Dans Boule et Bill, il n’y a pas de problèmes de couple, il y a des parents, un enfant, son chien, la tortue Caroline…  Je veux conserver cet axe-là, parce qu’il participe à ce qui nous a fait aimer la série. Ce serait une erreur d’y amener ce qui ne s’y trouve pas. Cette famille, sa maison, son jardin, des fleurs…tout ça me plaît beaucoup.

Mais n’est-ce pas, par moments, trop limitatif ?

CC : Je ne pense pas, car cela suffit à raconter beaucoup de choses. Et certaines thématiques n’ont pas encore été abordées. J’ai constaté qu’on voyait rarement Boule et des jouets, des jeux, j’ai fait de la place pour ça dans le T. 37, dans Symphonie en Bill majeur (T38) on a abordé la musique, et dans Y’a de la promenade dans l’air, on a accordé plus d’espace aux amis chiens de Bill… De plus, j’ai un chien et je mesure la place qu’il occupe dans ma vie et tout ce qu’il génère. J’aimerais donc resserrer encore le lien qui existe entre Boule et Bill, et peut-être accorder davantage d'importance aux sentiments qui en découlent.

On célèbre cette année les 60 ans de la série. Etes-vous sensible à cet aspect historique ou…patrimonial ?

CC : Je pense avoir beaucoup de chance. Je vis en faisant de la BD, c’est déjà formidable. Et là le tome 40 sort l’année des 60 ans de Boule et Bill, et mon nom se trouve sur la couverture…  Je n’aurais jamais osé imaginer cela voici quelques années. Mes autres séries, chez Bamboo, sont comme un beau gâteau, et Boule et Bill est la savoureuse cerise qui vient le compléter.

Au fil des ans, vous êtes devenu incontournable dans le domaine de l’humour chez cet éditeur et on retrouve votre signature sur plus de 200 albums de son catalogue. Comment cela a-t-il démarré  ?

CC : J’ai proposé mes premiers scénarios chez Bamboo vers 2000-2001, et ma vision de l’humour correspondait à celle d’Olivier Sulpice qui avait créé sa maison d’éditions trois ans plus tôt. J’ai travaillé avec lui sur Les gendarmes, ensuite les autres projets se sont rapidement enchaînés. Olivier désirait développer le catalogue de Bamboo mais recevait assez peu de propositions de scénaristes dans le domaine humoristique. Et moi, c’est ce que je voulais faire.

 

Pourquoi avoir choisi le gag ?

CC : Quand j’ai envisagé de faire de la BD, c’était de cette manière, du gag, de l’humour... J’ai grandi en lisant des séries humoristiques, Les tuniques bleues, les femmes en blanc, puis seulement les classiques comme Tintin et Astérix. Sans doute est-ce ce qui a conditionné ce choix. Ceci dit, je ne crée pas du gag en rafale. J’aborde chaque série différemment, en essayant que les lecteurs puissent se retrouver ou s’identifier aux personnages ou à leurs comportements. Quand cela m’est confirmé lors de rencontres ou de séances de dédicaces, j’ai le sentiment d’avoir atteint mon objectif. Certaines séries présentent d’autres aspects, comme celles consacrées aux animaux marins ou aux insectes, pour lesquelles je compose avec une base scientifique. Dans les P’tits mythos, je traduis ma passion pour la Grèce et sa Culture, là plutôt avec un aspect pédagogique. Cette diversité me permet aussi d’aborder des univers que je ne connais pas, et d’apprendre à travers la passion des autres, comme pour Les fondus de la moto ou Triple galop.

Comment assurez-vous une production aussi abondante ?

CC : Il s’agit d’une sorte de gymnastique quotidienne. Je suis venu en avion à Bruxelles, et au cours du trajet j’ai eu des idées pour 7 ou 8 gags. Mais elles ne sont peut-être pas toutes bonnes. Je les note en 2 ou 3 lignes, puis j’y reviens pour les développer sur 10 ou 12 lignes et je les envoie à l’éditeur qui effectue sa sélection. Une fois son choix opéré, je passe au découpage, avec toujours pour objectif de motiver le dessinateur afin qu’il puisse exprimer sa passion et son talent et de réaliser, au final, le meilleur album possible.

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Pierre Burssens
23/10/2019