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Entretien avec Kan Takahama

La lecture de votre adaptation de L'amant donne envie de se replonger dans le roman. Etait-ce une de vos intentions ?

Kan Takahama : Oui, comme cela a été, pour moi, l’occasion de le relire. Je l’avais lu une première fois quand j’étais très jeune, je l’avais lu d’une traite avec mon regard d'alors et encore peu d’expérience. 23 ans plus tard, retravailler, relire, le roman avec une expérience différente était important. Moi aussi, j’ai eu différents passages difficiles dans ma vie, avec un moment de dépendance à l’alcool. Avec aussi un moment  teenager et l' envie de créer quelque chose mais ne pas pouvoir y arriver, ne pas savoir dans quel sens aller... Puis, petit à petit, je suis arrivée à être reconnue et notamment à obtenir des prix au Japon. Les gens se sont intéressés un peu plus à moi. Au cours de ces 23 années, mon histoire personnelle m’a permis, en quelque sorte, de me rapprocher de Marguerite Duras et de mieux comprendre ce qu'elle exprimait.

Comment avez-vous appréhendé son écriture ?

Il y a un peu d’une vision de l’intérieur. Elle dit « elle » mais c’est « je ». C’est donc un récit autobiographique, en tout cas, basé sur son vécu, avec beaucoup d’éléments personnels qu’elle injecte dans ce « elle » qui est « je ». Je ne pouvais pas réaliser la BD en incluant trop de passages écrits du roman, ça aurait été trop littéraire. J'’ai donc tenté, par le dessin, de faire ressentir ce qui se passe.

Dans le scénario, on trouve une forme de fluidité...

J'’ai eu envie de travailler beaucoup sur l’environnement, le paysage, tout ce que voit l'héroïne, ce qui l'entoure, et je pense que ce choix, en renforçant l'ambiance du récit, le rend aussi plus vivant.

Une des particularités de l' album est de comporter peu de cases par page (5 maxi.) en parvenant cependant à tirer toute la quintessence de l'histoire...Pourquoi avoir opté pour cete approche ?

Quand j’ai commencé à dessiner, j’adorais dessiner vite et ça, ça me plaisait. Souvent, je dessinais sans même effacer le crayonné. Petit à petit, mon dessin a évolué. J’ai pris conscience de la manière dont les auteurs de BD s’attardaient à dessiner plus précisément chaque case et je m’en suis inspirée aussi.

Comme avez-vous travaillé avec votre éditrice, Nadia Gibet,  pour la réalisation de cet album?

Avec Nadia Gilbert, mon éditrice, nous avons une longue histoire ensemble puisqu’elle a été la première à m’éditer, à mes débuts, chez Casterman. Elle s’intéresse à la littérature, et donc de travailler sur l'adaptation d'une œuvre littéraire a été très agréable. Quand nous échangeons, quand nous parlons de nos goûts littéraires, on évoque les mêmes ouvrages. Nous avons des points communs : elle aime bien Bukowski par exemple, et moi aussi.

Si vous aviez pu rencontrer Marguerite Duras, quelle aurait été la première question que vous lui auriez posée ?

Tout d’abord, le style de Duras, c’est d’inclure des éléments autobiographiques à une fiction. C’était sans doute quelque chose dont elle tirait plaisir mais qui, en même temps devait sûrement être compliqué pour elle. J’aurais aimé lui demander quelle était la part de plaisir et celle de difficulté dans ce qu’elle faisait en mélangeant l’autobiographie à la fiction.

Enfin, j’ai eu, moi aussi, une période assez longue de dépendance à l’alcool que j’ai pu arrêter totalement. Il y a, après le sevrage, cette période de sérénité dont on parle quand on a été alcoolique. Marguerite Duras avait du mal à arrêter l’alcool... Suite à un accident elle a été plongée dans le coma puis a entamé l'écrire du roman, et j’aurais voulu lui demander, même si ce temps a été court, comment elle avait vécu ce temps de sérénité.

A la lumière de vos réponses on mesure que cette période de dépendance a été particulièrement traumatique pour vous...

Avec l’alcool, mais aussi avec une dépendance psychologique... oui c'était une période difficile.

On en ressort, paraît-il plus fort

Oui, tout à fait !

Avez-vous l’intention de vous lancer, à nouveau, dans l’adaptation d’un roman ? 

Pas L’amant de la Chine du Nord, en tout cas. Fondamentalement, je préfère créer mes propres histoires. Mais, par exemple, j’ai un ami qui m’a conseillé d’adapter Houellebecq. J’ai fais des études d’art et  il y a un roman (La carte et le territoire) dans lequel Houellebecq traite de l’art. Cet ami me dit que ça l’intéresserait beaucoup de voir ce que je ferais avec ce roman mais ce n’est pas en projet actuellement.

Dans un premier temps, la notoriété et le succès vous sont venus de l’Europe plutôt que de votre pays, le Japon. Cela vous a-t-il interpellé, voire peiné ?

Alors que je n’avais qu’un seul livre publié au Japon j’ai pu travailler en France avec un grand éditeur, Casterman, sans mesurer l’ampleur que cela pourrait prendre...et pendant un certain temps, oui, je me suis posée des questions là-dessus. Ensuite, il y a eu un moment où je n’arrivais plus vraiment à dessiner et là j’ai commencé à me toiurner vers le scénario. Finalement, j’ai continué à à travailler et à développer ce que je pouvais créer... Mais il y a aussi des livres qui se sont mieux vendus au Japon !

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Bernard Launois
24/02/2020