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Entretien avec Maryse et Jean-François Charles

Si l’histoire s’est installée dans le 1er tome de China Li, le deuxième épisode dévoile de nombreux chamboulements dans les vies de Li et de l’honorable Monsieur Zhang. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Maryse Charles : L’album commence quand Li arrive en Europe, à Paris. Pourquoi Paris, parce que son professeur était français. Elle quitte Shanghai compte tenu des événements, son protecteur a envie de la savoir en sécurité en l’envoyant loin de la Chine. En outre, les grandes familles chinoises envoyaient leurs enfants en Europe pour leurs études.

Votre amour pour l’histoire avec un grand H est indéniable et cette fois encore, le lecteur prend plaisir à trouver une belle intrigue dans un contexte historique des plus fouillés. Comment parvenez-vous à mêler ainsi la fiction à l’Histoire au point de se demander si l’ensemble n’a pas existé ?

MC : Jean-François a quand même un sixième sens, car quand on commence unrécit, on connaît généralement très peu de choses du contexte historique authentique et de la géographie des lieux. On n'en connaît pas plus et on se documente. Ça s’étoffe et puis les personnages se détachent et au bout d’un moment, ils ont une vie à eux. On a bientôt l’impression qu’on n'a plus qu’à les suivre, ils existent déjà.

Et je sais que Jean-François voulait assez tôt parler d’un eunuque lettré et devenu chef de mafia. En lisant, en se documentant, on a appris qu’à la Cité interdite, les eunuques volaient les œuvres d’art. Qu’à un moment même, ils ont été expulsés. Afin que l’on ne connaisse pas leurs rapines ils ont même été jusqu’à mettre le feu à la pièce qui contenait les œuvres dérobées.

Donc, souvent Jean-François pressent une certaine vérité, c’est vrai ?

Jean-François Charles : oui, Je pense qu'en même temps, on dit toujours que la fiction dépasse la réalité mais c'est plutôt le contraire. On rentre dans une période historique et si on laisse aller les personnages, quelque part, il me semble qu’il y a une certaine logique.

Ils agissent comme ça. Les éléments se regroupent, se rejoignent, un peu comme dans un film. C’est aussi un peu comme si, nous, nous vivions l’événement. D'une certaine manière, cela se produit naturellement, il n’y a pas de plan particulier défini.

Eu égard à la période où se déroule le récit, dans une Chine déjà devenue très secrète, avez-vous eu des difficultés à vous documenter, tant pour le scénario que pour le dessin ?

J-F C : Au départ, quand on commence une histoire, et j’aime bien le dire, on regarde ce dont on dispose à la maison. On avait ainsi acheté des livres avec de très belles photos de la Chine à cette époque. En 1930, la photo était en plein essor. Et puis, il y a les témoignages des coloniaux qui sont allés en Chine, qui photographiaient, qui filmaient. Il existe de très beaux films muets sur cette période et tout cela est passionnant. Au début, on n’y comprend pas grand-chose, tant il y a des noms que l’on ne connaît pas et puis on finit par s’imprégner progressivement du sujet. Les personnages qui ont existé deviennent alors davantage familiers.

Pour le tome 3, dont le scénario est terminé, on a trouvé beaucoup de documentation. Mais au départ, il faut se lancer. Au tout début de l’aventure, des journalistes nous vous avaient dit : il vous faut rencontrer untel ou untel qui va répondre à toutes vos questions. Mais le problème, c’est que les gens nous demandent ce que l’on veut savoir et nous on ne le sait pas encore ! Du coup, c'est un peu un dialogue de sourds...  Sur la période de Mao, on a lu beaucoup de choses mais après, il faut s’en faire une vision, une idée. On ne travaille pas sur un bouquin d’histoire, mais sur une intrigue qui prend place dans un contexte historique. On doit donc aborder le sujet avec humilité.

A ce stade, alors que vous évoquez le scénario du tome 3, disposez-vous du dénouement de l’histoire ou celui-ci est-il susceptible d’être encore modifié ? On a appris que la série ne s’arrêterait pas au 3ème tome...

J-F C : Au bout du premier album, on s’est dit, on raconte l’histoire de Li, elle couvre le siècle chinois et la raconter en 3 albums nous aurait obligé à avoir recours à des ellipses énormes même si, dans une vie, tout ne marque pas. Nos parents ont été marqués par la guerre et ça a duré cinq ans. Après, il y a une période de 20-30 ans où il ne s’est pas passé grand-chose de marquant. La vie de Li, c’est la même chose. Mais, ç’aurait été dommage de la compresser d’autant plus que nous savons très bien que l’on ne reviendra plus sur la Chine ultérieurement. On a décidé, en accord avec l’éditeur, de réaliser cette série en quatre ou cinq albums. Il y a eu cette période où les séries BD ont été décriées et ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les séries télé, dont nous sommes très, très adeptes tous les deux, permettent d’installer les personnages qui deviennent familiers. si j’avais fait cette série en trois albums, je n’aurais pas pu non plus me permettre ces grandes pages que j’affectionne tout particulièrement. On se plaît beaucoup dans cette histoire, et il y a tellement de choses à raconter sur la période de Mao...

Entre des décors somptueux et la sublimation de la femme, toutes les cases sont des œuvres d’art. Comment réussissez-vous le tour de force de réaliser un album d'un tel niveau chaque année ?

J-F C: C’est du boulot, en moyenne 10 heures par jour, week-ends compris... Mais c’est une passion que nous avons et on a la chance de pouvoir la vivre à deux. Il n’y a qu’une chose qui est dommage, c’est que l’on ne voit pas le temps passer !


Depuis Sagamore, en 1988, vous travaillez main dans la main. Votre manière d’aborder la création d’un album à tous les deux a-t-elle changé en 30 ans ?

J-F C: Le fait de travailler ensemble avec Maryse, a féminisé mon dessin. Elle apporte toute cette part féminine qu'il y a dans le dessin et dans l’histoire. La manière d’aborder  la condition féminine, ne serait pas la même si Maryse n’était pas là.

M : je trouve que ça se fait inconsciemment, évidemment. On a chacun sa personnalité et c’est une fusion de nos deux personnalités.

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Bernard Launois
03/03/2020