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Entretien avec Thierry Martin

"Je voulais rentrer dans ce côté un peu 'old school' de la bande dessinée..."

Avec Mickey et les Mille Pat, Thierry Martin et Jean-Luc Cornette rejoignent une série d'auteurs prestigieux au sein de la collection "Disney by Glénat". Le dessinateur a répondu à nos questions...

Comment avez-vous été approché pour intégrer cette belle collection Disney by Glénat ?

C’est nous qui avons fait la démarche. On est allé voir Glénat, mais ça été un peu alambiqué comme parcours. Quand la série a commencé, je n’étais pas dans l’idée de vouloir absolument faire un Mickey. D’abord, je ne m’en sentais pas forcément légitime. Je ne suis pas un auteur très connu, qui vend beaucoup. Et puis, un soir au festival d’Angoulême, un confrère me dit que j’en ferais bien un, de Mickey... Ça m’a trotté dans la tête et j’ai commencé à en dessiner. Je me suis aperçu que ça venait plutôt facilement et j'ai pensé qu’il y avait peut-être quelque chose à faire... Mais si je dessinais un Mickey, il devait impérativement se dérouler au Moyen-Âge. J'ai effectué un travail sur le Roman de Renart et pourquoi ne pas aller plus loin dans cette démarche ? C'était aussi l’occasion de rendre hommage à ce qui m’a donné envie de faire de la bd, les Johan et Pirlouit de Peyo. J’ai posté quelques dessins sur le net et les réactions ont été positives. Entre temps, j'ai sympathisé avec Jean-Luc Cornette lors d'un festival en Guyane. En rentrant, Jean-Luc me contactait pour me dire qu’il avait dormi chez l’éditeur qui s’occupe de la collection et qu'il avait envie de tenter l'aventure. L’éditeur n'était pas fermé à cette idée, à condition de trouver un dessinateur à la hauteur...  On a donc décidé de tenter le truc à deux, avec une histoire située au Moyen-Âge. Et petit à petit ça s'est concrétisé.

Vous rejoignez une série d'auteurs prestigieux, avec un personnage emblématique...

J’en suis très content ! En même temps, c’était l’occasion d’avoir un coup de projecteur sur mon travail car il y a quand même 5 à 7 000 albums par an et les chances sont assez minces d’être un petit peu vu. On fait aussi un peu ça pour ça. Là, il y avait le deux en un, le plaisir de signer un Mickey, au Moyen-Âge et un coup de projecteur sur mon travail. L'oeuvre de Disney est incontournable. Dans un autre registre, j’avais déjà dessiné un Batman. Sauf que là, ce n’était pas calculé !

Quel est votre rapport avec Mickey et plus généralement avec l’œuvre de Disney ?

En fait, je n’ai pas a priori d'attache particulière avec Mickey. Je ne lisais pas forcément Mickey magazine quand j’étais petit. Je connaissais Mickey, j’en feuilletais mais j'étais davantage tourné vers Spirou ou Tintin. Par contre, ayant travaillé dans l’animation, c'est dans ce domaine que je me suis attaché au travail de Disney, notamment un épisode de Mickey visible sur le net, Mickey, le brave petit tailleur qui m'a particulièrement touché.  15’ d’animation hyper joyeuse et dans lesquelles je retrouve un lien avec Johan et Pirlouit. C’est donc plutôt un rapport avec l’animation qu’avec la BD.

Il existe un petit côté Fantasia dans votre album, avec ces multiplications des balais que l’on pourrait rapprocher de la multiplication des Pat Hibulaire, des Minnies…

C’est aussi un clin d’œil aux Schtroumpfs et on revient encore à Johan et Pirlouit. Je retombe toujours sur mes pattes, sur mes mille pattes (rires). Une fois notre synopsis mis en place, j’ai beaucoup échangé avec Jean-Luc qui a été très à l’écoute. Puis, une fois que tout a été établi, il a écrit la version définitive du scénario. J’ai découvert la multiplication des Minnie, clin d’œil à Fantasia.

Même le début de l’histoire est un clin d’œil à Blanche Neige. C'est d'ailleurs la seule remarque que nous avons eu de Disney : Minnie qui arrive dans une maison et qui décide de faire ménage en cette période Metoo, c’est pas terrible ! Nous avons dû modifier quelques passages, au niveau du scénario. Donc, ce n’est pas dans la maison d’un inconnu et pour le coup, ça passe mieux.

Ça ne vous a pas inquiété, lorsque vous avez reçu le scénario, d’avoir à dessiner un nombre incommensurable de Minnie(s)?

Non, au contraire, il fallait que ça bouge, que ça fourmille. Mais j’ai dit à l’éditeur que je n’en ferais qu’un, car je pensais sortir épuisé de ce truc. Je voulais faire quelque chose de très généreux. 

Je voulais aussi rentrer dans ce côté un peu old school de la bande dessinée et jouer avec cette dynamique-là. Développer des scènes, se rapprocher de l’animation. Il y a des scènes là-dedans où le personnage, on le voit rarement bouger, presque. Après qu’il y ait un maximum de personnages, j’aurais pu en mettre plus mais à un moment donné, je me suis dit qu’il fallait peut-être tout de même un peu se calmer !

Comment s'est établie votre collaboration avec Jean-Luc Cornette ?

Un vrai plaisir ! Comme je papillonnais sur d’autres projets aussi en même temps, j’ai pris un peu de retard sur mon story-board que je voulais réaliser d’une seule traite. Il y avait quatre chapitres et j’ai finalement établi un story-board complet pour chaque chapitre. Comme pas mal de temps s'était écoulé entre le moment où Jean-Luc avait écrit son histoire et ce que je lui envoyais, il avait presque oublié certaines choses et il était d'autant plus content de découvrir que l'ensemble fonctionnait bien, y compris ses vannes. Je ne me souviens pas d'avoir du changer grand-chose à sa demande.

La période de réalisation de Mickey et les Mille Pat est-elle aussi celle du Dernier souffle, pendant laquelle vous avez quotidiennement publié un dessin sur Instagram ?

Eh oui ! Le dernier souffle est né d’une réaction aux contraintes (acceptées) de Disney. Nous avions en effet convenu avec l’éditeur de leur envoyer une bonne partie des crayonnés. En attente de leurs réponses, je voulais avancer sur autre chose. J'aime bien dessiner et encrer tout de suite, ne serait-ce que pour ne pas avoir de routine. Comme c’était difficile pour moi, cette attente, cette frustration-là, après avoir fait du crayonné toute la journée, je voulais m'atteler à quelque chose que je pouvais encrer tout de suite.

C'était un contraste total avec le travail accompli juste avant ?

Non, je crois qu’il existe deux sortes de dessinateurs : celui qui travaille jusqu’à dix-huit heures puis oublie totalement ce qu’il a fait pour passer à autre chose et puis, il y a le dessinateur compulsif qui n’arrête jamais. Je pense me situer dans la deuxième catégorie. En fait, j’avais besoin de me lâcher dans une  autre exigence graphique et narrative.

On est toujours assez surpris de la capacité de certains dessinateurs de changer radicalement de style comme de passer de l’univers de Mickey à celui du Dernier souffle...

Personnellement, le travail dans l’animation m'a servi car on y apprend à s'adapter pour, justement, pouvoir travailler dans différents styles. Ensuite, ce ne sont que des volumes. Mickey m’est venu assez naturellement. Le dernier souffle, c’était un défi, voir où ça pouvait m’amener... Mais il existe un point commun entre tout ce que je fais dans ces différents styles, et auquel j’attache beaucoup d’importance : la narration. Quand je parlais de Peyo, quand j’étais enfant, je ne lisais pas les albums de Johan et Pirlouit, je les regardais et c’est comme ça que je rentrai dans l’histoire. C’est quelque chose qui m’a énormément marqué. Je regardais également les films de Chaplin, les films noir et blanc, les films muets et j’aimais ça... Buster Keaton aussi... Le rapport à l’image sans dialogue ou sans texte est quelque chose qui me passionne vraiment parce que c’est la première approche visuelle d’une histoire. Ensuite le texte, les dialogues sont des informations supplémentaires qui précisent et enrichissent l’histoire, lui donnent du fond.

En animation, quand on réalise des story-boards pour les enfants, on apprend à être très clair parce que l’enfant voit l’image en une seconde. Il faut qu’en une seconde il ait capté qui est qui et qui va où. Cette expérience me permet de visualiser rapidement une scène pour la mettre en image. Après, effectivement le dessin, c’est du travail : on fait, on refait, on recommence. Et là, sur Le dernier souffle, j'ai choisi de me concentrer sur un premier jet et un jet unique. Cela peut éventuellement constituer un choix de mode de travail pour un  futur projet. Ill y a encore beaucoup de choses à explorer dans le medium BD.

Si vous deviez choisir parmi les dessinateurs emblématiques de chez Disney, tels que Floyd Gottfredson, Romano Scarpa, Carl Barks ou autres?

Le premier, Floyd Gottfredson, dont je me sens le plus proche.

Après Mickey, Batman, the world collectif, verrons-nous d'autres collaborations de votre part autour de personnages connus ? 

Je ne peux rien dire (rires) ! Sinon, j’ai actuellement un projet pour Fluide Glacial autour d’un cow-boy qui s’appelle Jerry Alone qui est un peu mon alter ego et où je raconte mon rapport à la paternité, de façon plus ou moins humoristique.

J’aurai voulu revenir sur vos diversions sur les enveloppes qui ont donné lieu à de forts belles expos, à commencer par celles de Quai des Bulles en 2019, qui a remporté un franc succès. Continuez-vous toujours à vous adonner à cette activité ?

C’est Vince qui a commencé à faire des pin-up sur des enveloppes et j’ai trouvé ça trop génial ! La première fois que j’ai rencontré Vince dans un festival, j’étais venu avec une enveloppe pour qu’il m’en dessine une et de là, je me suis amusé à en faire. J’ai trouvé que c’était intéressant de travailler sur des objets que l’on jette à la poubelle et auxquels on accorde une autre valeur par le dessin. Progressivement j'ai découvert que l'on pouvait exploiter différemment les enveloppes avec fenêtre. Le soir quand j’étais un peu fatigué de ma journée, je me disais : Tiens, je vais me défouler avec une petite pin-up. Parfois c’est inspiré par le style d’enveloppe, d'autres fois c’est totalement gratuit, simplement un désir de dessin. C’est au festival d’Amiens que l’on a organisé une exposition où une vingtaine d’auteurs devaient raconter une histoire sur trois enveloppes et de là, a germé l’idée d’aller plus loin...

Mais avec tout ça, vous arrivez à avoir une vie de famille ?

Bah oui, ce qui est rassurant pour mes enfants, c’est qu’ils savent toujours où je suis ! Ils rentrent dans mon bureau, je suis là ! C’est parfois un peu pourri pour les vacances mais je prends le temps de jouer avec les enfants, de les emmener à l’école. Quand j’étais en studio, je n’ai pas vu grandir mon ainé et j’ai décidé, pour les jumeaux, de travailler à la maison pour en profiter. On n’est pas parti souvent en vacances, mais on est quand même souvent ensemble !

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Bernard Launois
06/12/2021