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Entretien avec Marc Jailloux


Marc Jailloux
© Brieg Haslé-Le Gall / Auracan.com

« J’ai envie de montrer par mon dessin une autre facette de ma personnalité, de ma sensibilité artistique. »

Depuis sa fameuse victoire à Marignan, François Ier n’a plus quitté ses rêves de conquête italienne. Le 24 février 1525, le roi de France est en Lombardie, aux portes de Pavie et il s’apprête à faire une erreur stratégique qui le mènera jusqu’aux prisons de Charles Quint. Il est relâché l’année suivante, mais cette libération se fait au prix d’un échange douloureux : ses deux fils sont envoyés en Espagne et y seront retenus jusqu’en 1530. Le jour de leur retour, le hasard les place sur la route d’un homme, Louis Tassin, qui les sauve in extremis d’une mort accidentelle. Cette rencontre bouleversera pour des générations le destin des Tassin et de la famille royale…


Le Sang des Valois T1 : L'Homme du fleuve - extrait
© Clément - Decoin - Jailloux / Glénat

Ambitieuse saga de fiction historique écrite par l’écrivain Didier Decoin, président de l’Académie Goncourt, Le Sang des Valois suit, sur plusieurs générations, l’histoire de deux familles que tout semble opposer : les Tassin, des gens simples mais valeureux, et les Valois, issus de la dynastie des Capétiens. Un récit riche et érudit, vibrant de réalisme tenu par une intrigue faite de complots, d’alliances et de trahisons. Le début d’une grande saga historique !

Retour sur notre coup de cœur de l’année 2021 en compagnie du dessinateur Marc Jailloux, déjà remarqué pour sa remarquable reprise de la mythique série Alix d’après l’œuvre de Jacques Martin… Et, en exclusivité pour Auracan.com, quelques extraits du tome 2 à paraître à l’automne 2022 et des nouvelles du jeune Alix !...


Le Sang des Valois T1 : L'Homme du fleuve - extrait
© Clément - Decoin - Jailloux / Glénat

Votre nouvelle série bédesinée Le Sang des Valois, dont le premier tome est paru fin septembre 2021, a failli être une série télévisuelle me semble-t-il ?

Oui, c’est un projet porté par Jérôme Clément – le créateur de la chaîne Arte – qui est à l’origine du concept. Il voulait développer une grande saga sur les Valois comme les Britanniques en avaient fait une sur les Tudor.

Car, en effet, la matière est là… C’est une histoire assez extraordinaire !

Effectivement, tout le monde connaît les châteaux de la Loire – même les Japonais ou les Américains ! Mais le public connaît moins le vrai parcours de François Ier – sans parler de ceux de Henri II et de Henri III ! Qui étaient réellement ces rois de France ? Le grand public connaît très mal l’histoire de cette famille… Jérôme Clément a donc eu l’idée de travailler sur cette période. Très rapidement, il a demandé à Didier Decoin de le seconder pour concevoir une série qu’ils ont proposé à plusieurs chaînes – dont Netflix, pour ne pas la nommer. Malheureusement, le projet n’a pas abouti… pour l’heure.


Le Sang des Valois T1 : L'Homme du fleuve - extrait
© Clément - Decoin - Jailloux / Glénat

Précisons qu’une série télévisuelle historique coûte une fortune !

Certes, mais Jérôme Clément a de très nombreuses entrées. Il a notamment travaillé pour le Centre National de la Cinématographie, et surtout pour la chaîne Arte qu’il a co-créée… Quand à Didier Decoin, c’est un immense scénariste de télévision et de cinéma, en plus d’être un très grand écrivain. Si l’idée première était destinée pour la télévision, cela ne s’est pas fait. Mais il s’avère que Jérôme Clément connaît bien Jacques Glénat – ils avaient même organisé ensemble un Prix Arte de la bande dessinée. Il lui a naturellement parlé de ce projet autour de la dynastie des Valois. Suite à mon album sur le pape Saint-Pierre dans la collection « Un pape dans l’Histoire », qui semble lui avoir beaucoup plu, Jacques Glénat m’a proposé de travailler sur Le Sang des Valois.


Le Sang des Valois T2 à paraître à l'automne 2022 - extrait en exclusivité
© Clément - Decoin - Jailloux / Glénat

La maison Glénat est bien connue pour ses grandes sagas familiales, à l’image des Maîtres de l’Orge, Flor de luna ou Les Chasseurs d’écume. Sauf qu’ici, il s’agit de la rencontre entre une famille royale et une famille d’artisans bien plus modeste… Et leurs destinées vont se croiser par le plus grand des hasards.

Tout à fait. L’idée de base est très simple, dans la lignée de certains romans d’Alexandre Dumas. Le cadre de la Renaissance m’a également tout de suite séduit. Pour beaucoup, on croit qu’il s’agit d’une époque moderne, renouant avec les fastes de l’Antiquité, plaçant l’homme dans sa destinée, de la découverture de l’architecture et de l’art italien, mais le peuple de l’époque – tels les Tassin, héros de notre histoire, vivaient toujours dans le Moyen-Âge. J’ai adoré ce décalage ! C’est ce qu’on a voulu montré, comme l’illustre la dualité du visuel de couverture signé Ugo Pinson avec le roi François Ier, ses châteaux et son armée, et en contraste les gueux qui le servent dans un décor bien moins flamboyant !


Le Sang des Valois T2 à paraître à l'automne 2022 - extrait en exclusivité
© Clément - Decoin - Jailloux / Glénat

Et comment s’est passé la rencontre avec Didier Decoin, qui je me permets de le rappeler, n’est pas n’importe qui : Prix Goncourt 1977 pour son roman John l’Enfer, président du prestigieux corps des Écrivains de Marine, nouveau président de l’Académie Goncourt, grand scénariste de télévision et de cinéma…

Cela s’est très bien déroulé. Comme vous le savez pour bien le connaître, c’est un homme excessivement charmant, très cultivé, qui est un vrai romancier qui n’est jamais à court d’idées.

Mais il n’avait jusqu’ici jamais écrit de bande dessinée…

Il a pris le pli du scénario propre à la bande dessinée très rapidement. Je lui ai montré des exemples de scénarios, notamment d’Alix ou de mon album sur Saint-Pierre, avec les scènes découpées, les passages narratifs et les dialogues. Il a tout de suite compris comment cela fonctionne. Et il m’a vite soumis des pages de découpages dialogués où tout était parfaitement mis en place. Comme il est romancier, certaines de ses phrases me nourrissent, me donnent à voir et me permettent d’imaginer l’image finale présente dans l’album. En revanche, il a eu l’élégance de me laisser libre de revoir si besoin son découpage et de me laisser composer librement ma mise en scène. Si je n’ai pas touché une ligne au scénario de Didier Decoin, je suis beaucoup intervenu sur la mise en scène – ayant déjà écrit plusieurs albums : un épisode d’Orion et trois d’Alix avec Mathieu Breda. Ainsi, le voyage de Guillaume Tassin à Constantinople devait être traité de façon réaliste. J’ai opté pour un rendu totalement différent en m’inspirant d’anciennes miniatures ottomanes qui vient créer une respiration graphique et narrative au cours de l’album.


Le Sang des Valois T2 à paraître à l'automne 2022 - extrait en exclusivité
© Clément - Decoin - Jailloux / Glénat

Le public éclairé vous a découvert quand vous étiez l’assistant du regretté Gilles Chaillet, et vous vous êtes surtout fait connaître en devenant l’un des repreneurs officiels de la série Alix de Jacques Martin. On vous considère d’ailleurs comme son meilleur successeur… Avec Saint-Pierre. Une menace pour l’Empire romain, et maintenant Le Sang des Valois, votre style graphique est beaucoup moins martinien : est-ce là votre style personnel ?

Merci pour la question : c’est du Marc Jailloux à 100 % ! Quand j’ai eu la chance de reprendre la série Alix, j’ai cherché à réaliser l’album que j’aurai aimé lire quand j’étais jeune lecteur de Jacques Martin. Un nouveau Dernier Spartiate par exemple… Même s’il est impossible d’égaler l’œuvre de Martin, je tente de m’en approcher. C’est mon moteur, j’ai envie de faire plaisir à l’enfant que j’ai été. De plus, le style de Martin est tellement intemporel qu’il n’est point besoin de le modifier. En revanche, après cinq albums d’Alix, précédés par un épisode d’Orion, j’avais aussi envie de faire du Marc Jailloux. Je pense qu’un dessinateur qui aime son métier ne peut pas se cantonner à un seul style au fil des années – c’était le cas de Martin et de Chaillet dont les graphismes n’ont jamais cessé d’évoluer. Et n’oublions pas qu’en bande dessinée, le style est avant tout au service de la narration. Au début du premier tome du Sang des Valois, lors de la bataille de Pavie, le style est très noir, inspiré par les gravures médiévales, avec des ambiances lourdes et sombres. J’aime bien penser que le graphisme peut et doit évoluer en fonction de l’avancée du récit. Et c’est vrai, j’ai aussi envie de montrer par mon dessin une autre facette de ma personnalité, de ma sensibilité artistique. J’ai de plus en plus le besoin de me livrer, de montrer mes goûts artistiques, ce que j’aime notamment en matière de peinture ou d’architecture.


Le Sang des Valois T2 à paraître à l'automne 2022
Extrait en exclusivité pour Auracan.com
© Clément - Decoin - Jailloux / Glénat

Et précisons que vous bénéficiez sur Le Sang des Valois d’une excellente coloriste en la personne de Florence Fantini…

Absolument. C’est mon éditeur Hervé Langlois qui me l’avait proposé pour l’album Saint-Pierre. Une menace pour l’Empire romain. Elle avait fait un travail formidable. Si elle est travaille en numérique, elle a une approche de peintre. Contrairement à Alix où la mise en couleurs relève de la technique du vitrail comme me l’avait joliment dit Benoît Mouchart, avec des aplats sur les arrière-plans, ici les couleurs picturales de Florence Fantini viennent rogner le trait de mon dessin. Et elle est notamment très douée pour rendre les textures des étoffes des vêtements. Pour le prochain album qui évoquera le règne d’Henri II, je vais encore plus pousser les noirs au crayon car je ressens le besoin d’aller encore plus dans la matière. Et je suis impatient de voir ses mises en couleurs !

L’Homme du fleuve inaugure la saga du Sang des Valois, un premier opus qui montre les côtés les plus sombres de François Ier. J’imagine que nous allons suivre le parcours de ses héritiers dans les prochains opus dont le tome 2 annoncé pour l’automne 2022…

Tout à fait. L’histoire de Didier Decoin est aussi l’occasion de rétablir une certaine vérité historique. François Ier a été excessivement magnifié par l’Histoire de France, alors que son règne était plus gris qu’il n’y paraît. A contrario, Henri III a laissé une image détestable, alors que c’était un monarque qui avait d’immenses qualités… Pour l’heure, nous sommes partis sur trois tomes, peut-être plus selon l’inspiration du scénariste et le retour des lecteurs. Et si on suit l’authentique histoire, il va nous falloir parler également de Charles IX, en sus de ses frères Henri II et Henri III. Quoi qu’il en soit, la matière est là et Didier Decoin a de très nombreuses idées !


Marc Jailloux en octobre 2021
© Brieg Haslé-Le Gall / Auracan.com

Bien évidemment, notamment pour nos amis martiniens, je ne saurai clore cette rencontre sans vous demander si vous allez continuer, en alternance avec Le Sang des Valois, à imaginer de nouvelles aventures d’Alix ?...

Absolument. Je viens de signer avec Casterman et le comité Martin le contrat d’un nouvel épisode. Et c’est un double scoop : cet album s'intitule Le Bouclier d’Achille sur un scénario de Roger Seiter – qui signera là son premier scénario de la série Alix, après avoir écrit plusieurs épisodes de Lefranc. Et nous nous rendrons du côté de la Grèce antique…

Orion n’est pas loin… une boucle va ainsi se boucler.

Exactement. Je commencerai à le dessiner après le tome 3 du Sang des Valois. Je suis déjà impatient de retrouver notre cher Alix…

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Brieg Haslé-Le Gall
03/01/2022