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Entretien avec Alex Alice

« Quand on veut que ce soit crédible, il faut faire des efforts. »

Alex Alice © Marc Carlot

Alex Alice © Marc Carlot / Auracan.com

Avec Le Château des Étoiles, Alex Alice nous emmène dans un univers scientifique fantaisiste dans la lignée des récits de Jules Verne. Fin du XIXe siècle, une femme cherche à percer le mystère de l’éther en s’envolant au-delà des 13000 mètres à bord d’un ballon à hélium. Hélas, elle ne reviendra jamais !

Pourtant, quelque part en Bavière, un illustre personnage retrouve le carnet de notes de cette aventurière. Ainsi son fils et son mari reprennent les recherches pour poursuivre cette expérience hors du commun. Mais celle-ci semble également intéresser un proche voisin du Royaume de Bavière…

Le récit est très différent de ce que vous avez produit jusqu’à présent. Comment en êtes-vous arrivé à imaginer cet univers proche de ceux de Jules Verne ?

La base de ma fascination pour cet univers, c’est la lecture de De la Terre à la Lune et de Autour de la Lune. Ces histoires étaient pour moi à la fois un grand plaisir et une grande frustration parce que dans Autour de la Lune, ils n'atterrissent pas sur la Lune et moi je n’attendais que ça ! Je voulais aller plus loin. J’avais envie qu’ils explorent cette Lune du XIXe siècle et ses possibilités.

Séraphin © Alex Alice / Rue de Sèvres

Séraphin © Alex Alice / Rue de Sèvres

Le Roi Ludwig est un personnage historique, il s’agit de Ludwig II de Bavière, qui vécut de 1845 à 1886. Un homme fantasque qui termina sa vie dans la folie… Pourquoi avoir choisi de le mettre en scène ?

Le Roi Ludwig est à la base du récit. À partir du moment où je l’ai intégré dans l’histoire tout s’est débloqué. J’ai visité les châteaux de Bavière quand j’avais l’âge de Séraphin. Un des château du Roi Ludwig, le Château de Neuschwanstein - qui est représenté dans les albums - est probablement celui qui m’a le plus marqué. De l’extérieur, il ressemble à un château médiéval, mais derrière cette apparence se cache une technologie assez sophistiquée pour l’époque, avec notamment un ascenseur à vapeur et une structure métallique. C’est une vision qui correspondait bien à ce que je voulais pour mon Château des Étoiles. Un mélange d’esthétisme et de modernité.

L'Ethernef s'envole du Château du Roi Ludwig © Alex Alice / Rue de Sèvres

L'Ethernef s'envole du château du Roi Ludwig
© Alex Alice / Rue de Sèvres

Avez-vous une certaine nostalgie pour cette époque ?

À la fin du XIXe siècle, on sort de la génération romantique des scientifiques. Beaucoup de ceux-ci écrivent des poèmes. D’autre part, les artistes ont des solides bases de la réalité physique du monde, de l’étude de la lumière, de celle des formes, de la morphologie. Ce sont des espèces d’hommes universels pour qui les beaux-arts, les sciences humaines, la science et la physique font partie de ce qu’il faut connaître. L’esthétique des machines de cette époque est encore particulière. Le dernier cri de la technologie est ornementé d’oeuvres d’art, de bas-reliefs… Regardez la Tour Eiffel de près, elle est à la pointe de la technologie, mais ce n’est pas qu’un assemblage de tôle et de boulons, elle est ornementée de partout ! Il y avait une certaine poésie à cette période, j’avais envie de la retrouver en imaginant ce récit.

N’est-ce pas difficile d’imaginer une aventure avec une technologie et des bases scientifiques de la fin des années 1800 tout en ayant des connaissances du XXIe siècle ? On sait par exemple que certaines théories de l’époque - comme celle liée à l’éther - sont fausses.

Effectivement, ça m’a longtemps freiné. En fait, le secret c’est d’y croire au moment où on écrit. Si on y croit, les personnages y croient, le lecteur y croit. C’est le principe de toute fiction. Cela fait très longtemps que je voulais faire cette sorte de récit et je désespérais un peu du genre en voyant ce qui avaient été fait. Souvent, les univers ne servaient qu’à se moquer de ces personnages rigolos qui imaginaient des machines invraisemblables avec de gros engrenages partout. Un peu comme dans les films de Blake Edwards. Évidemment, cela peut être très marrant mais on n’y croit pas une seconde. Puis finalement, je suis revenu sur cette idée en me disant qu’il suffit d’y croire, de se replonger dans l’esprit de l’époque et de se persuader de la crédibilité de ce qu’on écrit. Bref de prendre son univers au sérieux. Des oeuvres comme les films de Miyazaki traitent d’univers très fantasmatiques et très fantastiques et pourtant, ce réalisateur les prend très sérieusement. Cela demande un esprit de sérieux certain pour avoir une espèce de foi totale en ce qui se passe dans le récit.

L'Ethernef © Alex Alice / Rue de Sèvres

L'Ethernef © Alex Alice / Rue de Sèvres

C’est une ouverture sur l’imagination. C’est de l’imaginaire mais on essaye de construire quelque chose de cohérent...

Oui. On se construit son monde complètement ou en partie imaginaire. Cela demande de penser à des tas de choses qu’on ne voit pas dans le récit. Mais c’est comme cela que ça marche. Tolkien a inventé les langues de tous ses personnages avant d’écrire ses histoires. Quand on veut que ce soit crédible, il faut faire des efforts.

Cela veut aussi dire qu’il y a une grosse recherche documentaire derrière tout cela…

J’ai lu Jules Verne, en partie pour la documentation, mais surtout pour l’esprit. Pour les personnages historiques, des biographies, des lettres. Cela permet de rentrer un peu plus dans les personnages. Visuellement, j’ai des piles et des piles de journaux d’époque qui sont richement illustrés. Tantôt de manière très réaliste, tantôt de manière très stylisée et caricaturale. C’est super intéressant car cela donne en plus de la réalité des choses, la manière dont c’était perçu à l’époque. Il y a déjà des photos aussi. Du coup, on arrive à se faire une très bonne idée de la réalité de l’époque. Plein de lieux existent encore. Dans ces cas-là, je suis allé voir et j’ai pris des photos. Le château du Roi Ludwig, je l’ai mitraillé !

Il y a aussi des maquettes de l’Ethernef et du scaphandre…

J’en avais une idée générale quand je les ai conçus. Et j’ai demandé à des artisans de les créer en “vrai” pendant que je réalisais la bande dessinée. Ils m’ont bombardé de questions ! Ce qui fait qu’on a adapté ensemble le design pour faire quelque chose qui soit réaliste. Du coup, j’ai moi-même modifié mes dessins en fonction des maquettes.

Le Château des Etoiles - T2

Le Château des Étoiles T2

Pour cette série, vous utilisez la technique de la couleur directe. C’est dû à une envie de changer de technique ou trouviez-vous que cela allait particulièrement bien à ce récit ?

J’avais une idée assez précise de ce que je voulais en termes de tons et de rendu. Et j’ai cherché la technique qui permettait d’obtenir ça. J’ai assez vite décidé de me passer du noir. Car ça ne donnait pas les atmosphères que j’avais envie de faire. Techniquement, c’est intéressant parce que comme il n’y a pas de noir, ce qu’il a de le plus foncé c’est du crayon qui est assez clair. Toutes les couleurs doivent être plus claires. Donc, ça fait complètement changer les palettes. Ça m’a fait trouver des harmonies qui sont très différentes de ce que je faisais avant. Ça me rafraîchit beaucoup et ça me fait composer des pages par le blanc, là où avant je composais par le noir.

Les albums ont un look ancien très beau, à l’image des premières éditions Hetzel des Jules Verne. Ce n’est pas courant pour une édition “normale” d’album. Comment ça s’est passé avec votre éditeur pour avoir cette forme-là ?

Je suis arrivé avec plein d’idées. On en a réalisé l’essentiel. Mon éditeur était très ouvert. C’est une chance d’avoir un éditeur qui prend le temps de peaufiner les albums. J’étais content d’avoir un album objet. Personnelment, j’ai envie de lire du papier et de donner à lire du papier aux adultes, mais aussi aux enfants. Parce que la série s’adresse aussi à eux. Je veux que ce soit quelque chose qui donne envie. Ce qui est marrant, c’est que ça fonctionne alors que ce ne sont pas les enfants qui connaissent les éditions Hetzel, celles de premières éditions de Jules Verne.

Pour la suite, c’est un diptyque vers/sur Mars ?

C’est le plan par défaut. C’est un format que j’aime beaucoup. C’était un peu mon idée de départ. Maintenant, je vais écrire et voir si l’histoire me dicte ce format-là ou un autre.

Ce sera aussi chapitré comme les précédents ?

Encore une fois, j’aime bien cette formule gazettes et albums. Je trouve que c’est très adapté à l’univers. Donc si l’histoire s’y prête, ce sera dans la continuité. Mais je ne m’interdis pas de changer de format et faire encore des choses différentes.

L'histoire publiée en album est d'abord éditée sous forme de gazettes © Alex Alice / Rue de Sèvres

L'histoire publiée en album est d'abord éditée en chapitres
sous forme de gazettes © Alex Alice / Rue de Sèvres

Vous avez déjà commencé à écrire ?

Non, j’ai un synopsis et un cahier où je commence à noter des idées. Là, je suis en train de terminer l’écriture du dernier Troisième Testament pour Timothée Montaigne. J’en ai jusqu’à la fin 2015 et puis hop vers Mars !

Alex Alice, prix Diagonale du Meilleur Album en septembre 2015 © Marc Carlot

Alex Alice, prix Diagonale du Meilleur Album en septembre 2015
à Louvain-la-Neuve © Marc Carlot

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Marc Carlot
12/11/2015