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Entretien avec Lou

"Le récit doit pouvoir aider les lecteurs à surmonter une difficulté"

Dans une précédente interview, Christian Darasse, dessinateur de Tamara, nous avait déclaré avec le sourire, avoir sur le travail de sa fille Louise "le regard d'un dessinateur chiant sur ce que lui propose une jeune scénariste". Par petites touches, progressivement, Lou a en effet enrichi et actualisé l'univers de la ronde héroïne. Depuis deux tomes, son nom figure en couverture et pour le prochain album, adoubée par Zidou, la jeune scénariste volera de ses propres ailes. Lou nous a fait partager sa vision de Tamara.

Comment avez-vous démarré cette expérience de scénariste ?

Ca s'est fait progressivement, à la fin de l'adolescence. J'étudiais à St Luc en section BD et, de loin ou de près, je m'intéressais à Tamara, série dessinée par mon père. Je trouvais que la série, animée par deux hommes matures, s'éloignait un peu des préoccupations d'une adolescente. On en a parlé, j'ai commencé à donner quelques idées que Zidrou adaptait, et ça s'est amplifié peu à peu...

 Mais la BD vous êtes née dedans...

Oui, ça aide ! Je crois que dès que j'ai su tenir un crayon j'ai commencé à essayer de raconter des petites histoires, avec des chats, des chiens, mon petit monde à moi à cette époque...

 Quand cette collaboration s'est-elle officialisée ? Et qu'aimeriez-vous apporter à Tamara ?

Officiellement à partir du tome 14, Amies pour la vie, et c'était la première fois que mon nom apparaissait en couverture. Mais avant...oui, ça a démarré à partir du tome 7, La première fois. Ce que j'ai apporté ou que j'aimerais apporter à la série ? Un côté comédie dramatique, plus proche de l'univers des séries TV, et qui permet de développer des histoires plus complexes que la formule du gag... Mais encore une fois ça s'est construit peu à peu, et de temps en temps la demande venait de Christian Darasse et Zidrou qui avaient envie d'aborder des thèmes différents, de se renouveler.

 Les selfies en couverture du tome 14, les réseaux sociaux sur celle de #Grosse, dernier album en date...vous introduisez des préoccupations et thématiques très actuelles pour nos ados...

Les réseaux sociaux sont apparus à la fin de mon adolescence. J'ai donc connu l'« avant » et la situation actuelle. Or on constate aujourd'hui un besoin très fort d'approbation chez les enfants et les adolescents. Une recherche d'approbation qui passe par les réseaux sociaux mais qui peut entraîner des dérives assez malsaines. Quand je vois ce que postent certaines de mes élèves de cours de danse orientale sur Facebook, je suis effrayée. Il s'agit parfois de gamines de 11 ou 12 ans mais qui, avec la coiffure, le maquillage, le costume de danse et des artifices photo parviennent à en paraître 15 ou 16. Elles postent leurs photos et recueillent parfois des commentaires pour le moins déplacés, que l'on imagine venir d'adultes ! C'est inquiétant et j'essaye de les mettre en garde, on en parle... Dans #Grosse, Tamara bascule dans cette recherche d'approbation, mais qui devient aussi une sorte de dépendance !

 On a aussi l'impression que vous amenez à la série une dimension plus féminine...

Il est difficile pour moi de juger de cela, mais oui, ce serait logique ! Ce sont toujours des mecs qui ont travaillé à Tamara, donc c'est possible ! Et puis il y a une différence de génération. Les relations, en elles-mêmes, évoluent très vite entre les ados aujourd'hui. Elles sont différentes d'il y a 15 ou 20 ans, je crois que je peux apporter quelque chose de plus réaliste et actuel, mais en veillant toujours à garder un équilibre avec la « dimension BD », l'humour, une forme d'exagération, les caractères bien définis des personnages etc.

 Comment construisez-vous un album de Tamara ? Chacun comporte des gags, des histoires courtes mais l'ensemble illustre une thématique...

C'est compliqué, en effet. Pour #Grosse, on disposait de l'idée du thème en amont et on a décliné celui-ci de différentes manières, avec, si possible, une « chute » en fin de page. On doit penser à conserver le fil rouge. On connaît aussi la thématique du prochain album, et on la complète, on l'enrichit avec les histoires de nos différents personnages...en suivant le fil rouge !

 Comment s'organise votre travail avec Zidrou ?

Zidrou s'est, aujourd'hui, retiré de la série. Nous avons tr'availlé ensemble, il m'a épaulé, conseillé, appris beaucoup de choses au fil du temps. Il m'a formé à l'écriture de gags, insisté sur la nécessité d'un résultat marrant...mais je sais qu'il est toujours présent et qu'en cas de difficulté je peux faire appel à lui.

 Et avec votre papa dessinateur ?


Lou et Christian Darasse

Tamara a la frite !

Ca ne change pas grand-chose. On discute via Skype, je lui envoie les pages de scénario, généralement il aime et émet peu de commentaires, et il procède au découpage. On s'accorde vraiment à partir de là. Ensuite on présente le travail à notre éditeur, Benoît Fripiat, on écoute ses remarques et on finalise. Je ne pense pas que le lien père-fille intervienne vraiment à ce niveau, le travail c'est le travail...

 Quel est le « cahier des charges » d'un album de Tamara, quelles doivent en être les constantes ?

Rien ne le définit officiellement, mais j'en ai pas mal discuté avec Zidrou. Un album de Tamara doit être drôle, actuel. Les lecteurs doivent pouvoir s'y reconnaître et, idéalement, le récit doit pouvoir les aider à surmonterr une difficulté, notamment les jeunes filles rondes. On y a glissé une histoire d'amour, et de mon côté j'essaye d'y amener un maximum d'éléments qui composent le quotidien, et qui peuvent servir et enrichir son univers.

 Vous adressez-vous à un public précis lorsque vous écrivez ?

Pas du tout, je crois que si je le faisais mon travail serait, quelque part faussé. On peut imaginer que Tamara s'adresse davantage à un public féminin, mais je pense sincèrement que la série peut intéresser les garçons. Après tout, eux aussi peuvent rigoler !

Tamara qui pratique la danse orientale, c'était une manière de relier vos deux univers ?

Oui, évidemment. Ca me semblait original et je ne crois pas avoir déjà vu ça en BD. En plus, je constate parfois que des élèves n'ont pas toujours, au départ, une image positive de leur corps de femme, et que la perception de cette danse par un certain public est également, parfois assez...particulière. Il était intéressant d'amener ces éléments parmi les thématiques de Tamara ! Certaines de mes élèves en danse sont d'ailleurs fans de la BD, c'est très sympa !

 Outre Tamara, aimeriez-vous développer d'autres scénarios ?

Oui, j'ai beaucoup d'idées, de notes pour d'éventuels projets, pas forcément dans le domaine de la BD humoristique, d'ailleurs, et j'ai hâte de pouvoir présenter quelque chose. Mais avec la danse, ça me fait déjà deux boulots, et un projet caritatif que nous avons développé autour de la danse avec trois autres filles (www.dance4children.be). Tout ça exige beaucoup d'investissement, et les journées ne sont pas extensibles !

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Pierre Burssens
09/05/2017