Le chalet bleu

Scénario et dessins : Jean-Claude Servais
Couleurs : Guy Raives

Dupuis, collection Aire Libre

La vallée aux loups

La petite Alice n'a que faire des imprécations religieuses des membres de sa famille, de leurs ambitions sociales et de leur quotidien triste à mourir. Ses frères sont des bêtas et ses parents, aveugles à ce qu'elle souhaite par-dessus tout : vivre dans la vallée aux Loups. Depuis l'enfance, elle est bercée par les contes de son grand-père et les légendes autour de la déesse Cybèle, qui s'éprit un jour d'un humble berger... Une histoire à l'issue tragique qui scellera le destin de la fillette : là où la forêt côtoie les rêves, là où la magie rassemble les êtres, Alice sera reine. Loin des règlements domestiques, dans le chalet de son aïeul, la jeune fille grandira au coeur d'une nature sauvage et enchanteresse.

Jean-Claude Servais fait une pause sur ses Chemins de Compostelle le temps d'un album sous le label Aire Libre et, avouons-le, on ne va pas s'en plaindre. En effet, l'auteur gaumais revient au format one-shot et nous replonge dans un univers qui lui est familier, dans une nature luxuriante au sein de laquelle les frontières entre le rêve, la réalité et les légendes semblent se dissiper. 

Un auteur dans son univers

Ainsi, toute l'histoire d'Alice et du Chalet bleu se déroule sur cette limite ténue qui, in fine, sépare notre monde contemporain de croyances et valeurs fondamentales et intemporelles. Dans un récit doucement fantastique, un rien féérique et surtout initiatique, Alice représente une sorte d'intermédiaire entre un univers traditionnel qui s'exprime à qui veut l'entrendre, et une société trop construite sur ses principes et ses illusions qui lui est sourde. 

Douceur, magie, nature, Servais nous invite à parcourir un itinéraire empreint d'harmonie et de sensualité tout au long de quatre saisons, quatre périodes de la vie d'Alice, et plus largement quatre périodes d'une vie. La pause décidée sur les Chemins de Compostelle a permis à l'auteur de réaliser cet album mais a également été marquée pour lui par la naissance de ses deux petites-filles. On peut donc aussi trouver dans le Chalet bleu une dimension introspective, une réflexion sur le temps qui passe et les richesses des âges de la vie pour ce nouveau grand-père.

Assez paradoxalement, ce projet que l'on pouvait imaginer être à la base très personnel, par la richesse de son développement, a de quoi toucher de nombreux lecteurs. Graphiquement, Jean-Claude Servais se surpasse et signe des planches de toute beauté qui constituent, en quatre saisons, une véritable ode à la forêt, à sa flore et à sa faune (légendaire, parfois...).

Jamais les couleurs de Guy Raives n'ont paru autant en adéquation avec le dessin. S'ouvrant sur une préface de l'auteur, l'album est complété d'une postface de Cécile Bolly traitant de la beauté mais aussi de l'importance de la forêt en tant que milieu naturel.

A noter que parallèlement au Chalet bleu, Aire Libre réédite en un volume Déesse blanche, déesse noire, une histoire initialement publiée en deux albums en 2001 et 2002. Un récit plus âpre, mais dont le contexte n'est pas très éloigné du Chalet bleu, qu'il est intéressant et agréable de (re)découvrir en une fois, et qui permet aussi de mesurer l'évolution du trait de Servais depuis.