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La BD sous les ors du ministère

Le ministre Renaud Donnedieu de Vabres
Mr le Ministre Renaud Donnedieu de Vabres

Le ministre Renaud Donnedieu de Vabres s'est fait l'hôte de la deuxième édition de la Fête de la BD qui se tient jusqu'au 5 juin dans toute la France. Mardi 30 mai, presque tout le « gratin » de la profession s'était donné rendez-vous dans les salons du ministère de la Culture et de la Communication , rue de Valois à Paris. L'occasion pour les libraires d'évoquer la question du prix du livre…

Le ministre, en bon amphitryon, s'est permis quelques bons mots dans son discours d'accueil, se félicitant qu'une vingtaine de villes participaient à la Fête de la BD , pour le plus grand bonheur des «  passionnés des planches, des férus des phylactères, des amoureux des vignettes  ». Et d'évoquer l'importance du sujet, de manière assez éclectique et ma foi plutôt plaisante, dont voici un large extrait : « Des héros mangas aux super héros des comics, de Tintin au Chat du Rabbin , de Superman à Ric Hochet , les légendes de notre enfance et les nouveaux nés bientôt cultes sortent de leur cadre pour investir nos écoles, nos médiathèques, nos bibliothèques et nos rues, le temps d'une semaine exceptionnelle placée sous le signe de l'imagination. J'invite tous les professionnels, les passionnés, les curieux, à découvrir le palmarès des vingt meilleurs albums du premier semestre, sélectionnés par l'Association des critiques et journalistes de bandes dessinées [NDLR : voir l'encadré]. Je tiens à vous féliciter, vous les auteurs, les créateurs dont les personnages vivent dans nos mémoires et nos imaginaires, vous les démiurges qui faites naître sous vos plumes des héros attachants, donc nous dévorons les aventures avec dévotion. »

Louis Delas
Louis Delas, directeur général de Casterman et président du groupe BD du Syndicat national de l'édition (SNE)

Encore quelques mots et le ministre laissait la place à Louis Delas, directeur général de Casterman et président du groupe BD du Syndicat national de l'édition (SNE), qui a brossé un tableau des manifestations prévues dans le cadre de cette Fête de la BD ( programme complet sur www.fetedelabd.com ) . Puis vint le tour de l'Association des libraires de bande dessinée (ALBD). Son président, Marc Szyjowicz , après une piqûre de rappel sur l'importance des libraires indépendants, et avant de remettre le prix des libraires 2006 à Nicolas de Crécy , en a profité pour interpeller le ministre sur le prix unique du livre, lui suggérant une intervention pour un amendement à la loi du 10 août 1981 ( voir la page www.culture.gouv.fr/culture/dll/prix-livre ) : «  En fait de prix unique, il y en a deux : le prix unique, et celui pratiqué par les grandes surfaces culturelles qui accordent à chaque client une remise de 5 % directement en caisse. Nous, libraires indépendants, ne pouvons pas lutter face à cela.  » L'ALBD demande que cette réduction de 5 % ne soit plus directe, mais qu'elle soit, le cas échéant, attachée à une carte de fidélité, ce qui rétablirait, selon lui, l'équilibre. Et de dire, avec humour, que cet amendement supprimant ces 5 % autorisés par l'alinéa 4 article 1 er de la loi entrerait dans la postérité sous le nom «  amendement Donnedieu de Vabres  ».

Interrogé par Auracan.com, Marc Szyjowicz précise ce sujet «  évoqué pour la première fois officiellement et publiquement  » : «  Tous les albums que nous avons primés reflètent la spécificité des indépendants. Il est important de garder un réseau dense. Ce ne sont pas les grandes surfaces qui vont lancer et vendre l'album de Nicolas de Crécy , mais bien les indépendants. Si ces petits libraires disparaissent, ces albums vont disparaître. Cette réflexion vient après plus de vingt ans d'application de la loi, parce que les clients pensent que le livre coûte moins cher dans les grandes surfaces culturelles. Nous ne pouvons pas lutter.  » Quant à savoir si son intervention aura un effet, il avoue : «  Je ne sais pas. Cela dit, la loi sur le prix unique du livre est née de la même façon. En fait, nous demandons juste de pouvoir nous battre à armes égales.  » En tout cas, le ministre était pris de court, mais, comme il l'a dit plus tard en guise de réponse à chaud, il avait déjà une loi sur les droits d'auteur sur le feu, et il sait qu'il a dorénavant ce sujet pendant. Du côté du SNE, c'est aussi la surprise. Louis Delas se fait évasif : «  S'il y a une loi remarquable, c'est bien la loi sur le prix unique du livre, parce qu'il garantit la librairie, qui représente tout de même 65 % du chiffre d'affaires des éditeurs. Maintenant, la revendication de l'ALBD est une surprise. Cela demande réflexion, mais ce n'est pas de mon ressort.  » Il est vrai que ce point ne concerne pas uniquement le groupe bande dessinée du SNE, mais bien l'ensemble de l'édition en général.

Marc Szyjowicz
Marc Szyjowicz

Nous avons souhaité approfondir la question et avons pour cela interrogé Daniel Coyne, délégué du réseau des librairies Canal BD. Voici la position développée par les librairies du réseau de l'ALBD : «  La loi du 10 août 1981, dite loi sur le prix unique du livre, manque de lisibilité, car en réalité le livre n'a pas un prix unique, mais deux prix : le prix éditeur et le prix moins 5%. Cela perturbe l'acheteur de livres qui voit des livres avec le prix éditeur et d'autres avec le prix éditeur barré et réétiquetté avec un prix inférieur.  » Daniel Coyne souligne donc qu'il faudrait arriver à un prix réellement unique. A défaut de modifier la loi en supprimant la remise de 5%, «  nous savons que le Ministère des Finances serait bien évidemment opposé à toute mesure ayant des répercutions sur l'indice des prix  ». Le délégué des libraires poursuit : «  une autre possibilité serait que les libraires fassent comme les grandes surfaces automatiquement 5% de remise. Mais le discours de la grande distribution totalement axé depuis des années sur les notions de "prix cassés", discount, remises... a été tellement martelé que dans l'esprit du consommateur, un produit vendu en grande surface est forcément moins cher. Au point que nous nous sommes aperçu qu'un libraire faisant lui aussi directement 5% de remise était quand même perçu comme plus cher que la grande surface. Cette perception est habilement accentuée par la phrase utilisée sur tous les catalogues de la grande distribution : "Prix public éditeur. La loi ne nous permet pas de communiquer notre propre prix hors du lieu de vente". Cette formule ne mentionne surtout pas qu'il s'agit d'une remise de 5% seulement et laisse croire au consommateur qu'il bénéficiera d'un prix "cassé".  » Vient donc la revendication formulée par les libraires BD indépendants : «  La seule possibilité respectant la notion de prix unique tout en permettant au consommateur de bénéficier comme actuellement de la remise de 5% est donc de "désolidariser" l'acte d'achat du livre de l'acte de "rabais". Pour cela il suffit d'aménager la loi pour que la remise de 5% ne puisse plus être faite directement, mais soit faite uniquement sous forme de carte de fidélité, par exemple au bout de 10 achats comme cela est couramment pratiqué. Le consommateur verrait ainsi dans n'importe quel lieu de vente du livre sur tout le territoire, un même livre avec un même prix, le prix éditeur. Cette mesure permettrait pour le livre de "casser l'image" qu'il est moins cher en grande distribution alors que ce n'est pas vrai.  » Et Daniel Coyne de conclure : «  Financièrement elle ne change rien pour l'éditeur et ne coûte rien à l'Etat. Pour le consommateur, elle décale légèrement l'octroi de la remise. Globalement le consommateur devrait s'y retrouver car il est à parier que la carte de fidélité se développera même dans les librairies ne la faisant pas actuellement.  » Précisons que le délégué du réseau des librairies Canal BD nous a bien indiqué que les libraires qu'il représente n'ont absolument rien contre les grandes surfaces, «  qui sont utiles pour une diffusion de masse et que nous considérons comme complémentaires des librairies. La concurrence continuerait bien évidemment d'exister, mais elle ne serait plus inéquitable. De plus cet aménagement participerait au "recrutement" de nouveaux lecteurs, en incitant les acheteurs de la grande distribution, notamment ceux qui achètent épisodiquement des livres, à aller au bout de leur carte de fidélité et nous sommes persuadés que la grande distribution saurait trouver les arguments adéquats.  »

Reno
Reno

Pour en revenir au déroulement de la soirée inaugurale de la 2 e Fête de la BD , quelques auteurs étaient aussi présents, auxquels le ministre de la Culture s'est adressé en les sollicitant pour enrichir les cases blanches présentes sur des tableaux : «  Comme l'an dernier, n'hésitez pas à laisser libre cours à votre inspiration sur ces quelques pages blanches. Le Fonds national d'art contemporain est toujours content d'enrichir ses collections.  » Premier à user de son crayon, Reno , édité chez Pika, se dit «  le premier étonné d'être là  » : «  J'étais étudiant et j'ai répondu à un mél en envoyant quelques dessins de Dreamland. J'avais travaillé sur un projet pro et ça ne marchait pas. Et là, sur ce projet détente, plus personnel, tout de suite ça marche.  » A peine lancé, déjà remarqué par le ministre, qui le voit dessinant et s'intéresse à la question créative : «  Combien de temps faut-il pour faire un album ?  »… Bref, l'ambiance était plutôt bon enfant.

Enfin, clore le sujet sans évoquer un événement de première serait une erreur. En effet, le ministre de la Culture a remis au « Marseillais » Tibet , de son vrai nom Gilbert Gascard, les insignes d'officier des arts et des lettres. L'occasion pour Renaud Donnedieu de Vabres de retracer la carrière du papa de Ric Hochet (avec André-Paul Duchâteau) , de Dave O'Flynn et autres Chick Bill . Et ledit médaillé de presque s'excuser de la longueur du discours ministériel : «  C'est parce que j'ai commencé ma carrière il y a longtemps, en 1948.  » Nous n'en doutons pas…

Le Ministre de la Culture et Tibet
Le Ministre de la Culture et Tibet

La sélection de l'ACBD

A l'occasion de la 2 e Fête de la BD , les membres de l'ACBD ont sélectionné 20 albums incontournables parus entre novembre 2005 et mai 2006 :

  • Jack Palmer T. 13 : L'Affaire du voile de Pétillon, Albin Michel
  • Lupus T. 4 de Peeters, Atrabile
  • Paris Liberté : Le Parfum de l'espoir de Ribera, Bamboo
  • Pedro & moi de Winick, çà et là
  • Magasin général T. 1 : Marie de Loisel et Tripp, Casterman
  • Le Sommeil du Monstre T. 3 : Rendez-vous à Paris de Bilal, Casterman
  • Le Combat ordinaire T. 3 : Ce qui est précieux de Larcenet, Dargaud
  • La Vengeance du comte Skarbek T. 2 : Un cœur de bronze de Rosinski et Sente, Dargaud
  • Noir Métal : au cœur de Metaleurop de Loyer et Bétaucourt, Delcourt
  • Le Photographe T. 3 de Guibert, Lefèvre et Lemercier, Dupuis
  • Quintett T. 3 : L'Histoire d'Elias Cohen de Cuzor et Giroud, Dupuis
  • L'Enragé T. 2 de Baru, Dupuis
  • Les 3 petits cochons de Morinière et Tarek, Emmanuel Proust
  • Lucille de Debeurme, Futuropolis
  • Abdallahi T1 : Dans l'intimité des terres de Pendanx et Dabitch, Futuropolis
  • Le Ciel au-dessus de Bruxelles T. 1 : Avant… de Yslaire, Futuropolis
  • Les Petits Ruisseaux de Rabaté, Futuropolis
  • Aya de Yopougon T. 1 d'Oubrerie et Abouet, Gallimard
  • Le Pays des cerisiers de Kouno, Kana
  • Erminio le Milanais de Surcouf, Béhé et Laprun, Vents d'Ouest
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Mickael du Gouret

Photos © Laurent Mélikian

02/06/2006 - source : auracan.com