Entretien avec Henscher et Tarumbana
Henscher et Tarumbana © Manuel F. Picaud / Auracan.com
« Notre but est vraiment de privilégier la qualité. »

Le Banni est une nouvelle série d’heroïc fantasy publiée au Lombard et annoncée en trois tomes.
À Angoulême, le stand du Lombard était paré d’une grande bannière réalisée pour l’occasion par le dessinateur Tarumbana, preuve de l’intérêt porté par l’éditeur pour ce lancement. Cette fresque de dix mètres de long a été réalisée par informatique et a pris trois semaines pour le jeune dessinateur bourré de talents dont c’est le premier album publié écrit par Henscher.
Auracan.com s’est donc précipité pour rencontrer ce nouveau tandem assurément promis à un bel avenir dans l’univers de la bande dessinée. Entretien découverte illustré de quelques extraits du T2 en exclusivité...
Faisons connaissance et découvrons ensemble vos parcours respectifs…
Tarumbana : J’ai commencé à dessiner tout petit. Comme j’ai voulu devenir dessinateur de BD, j’ai suivi des études artistiques à Saint-Ghislain près de Mons en Belgique et des cours de BD une fois par semaine pendant neuf ans. J’ai ensuite fait une année à La Cambre [l’École nationale supérieure des arts visuels à Bruxelles, ndlr] en peinture et une année en philosophie. Je me suis alors lancé dans un projet de bande dessinée sur lequel j’ai travaillé plus de deux ans. Comme cela ne s’est pas concrétisé, j’ai été tellement déçu que j’ai voulu prendre du recul et j’ai arrêté le dessin en 2003. Jusqu’en 2006, j’ai accepté des boulots d’intérimaire en usine. J’ai finalement retrouvé ma motivation en partant en vacances en Inde. J’avais pris mon carnet de croquis sans réfléchir et là-bas j’ai eu envie de croquer les gens. J’ai repris plaisir au dessin. Au retour, ma copine et moi avons décidé de nous installer ensemble et j’ai réfléchi à prendre un métier sérieux. Je ne sais pas si la BD l’est mais c’est ce que je savais faire de moins mal [rires]. Je me suis lancé dans le numérique et c’est là que j’ai rencontré Henscher ! Et nous avons lancé le Banni…
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Quels sont les éditeurs que vous avez sollicités ?
Henscher : Nous n’avons pas sollicité tous les éditeurs. On pensait que certains ne regarderaient même pas. On l’a proposé à Casterman qui nous a dit qu’on le vendrait mais n’en a pas voulu, et à Soleil qui l’aurait bien voulu. On a presque adressé le dossier au Lombard par hasard en pensant qu’ils ne répondraient jamais puisqu’ils ont déjà Thorgal. Mais Gauthier Van Meerbeeck a eu un coup de foudre pour le projet, et a souhaité nous rencontrer. Puis nous avons reçu un mail d’acceptation de Pôl Scorteccia [nouveau directeur éditorial du Lombard, ndlr]. On a préféré Le Lombard à Soleil. On n’a pas eu à nous en plaindre : nous y avons eu un véritable accompagnement.
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Tarumbana : Je n’ai pas appris à dessiner avec le numérique mais avec les matériaux traditionnels. J’avais déjà des bases avec l’acrylique, le papier, le crayon, l’encre de Chine... J’ai eu l’impression que le numérique était intéressant et ouvrait de nouvelles perspectives. J’ai découvert un médium à la fois malléable et agréable à utiliser. Je m’y suis donc mis rapidement. J’ai vite lâché les matériaux traditionnels et pu dessiner entièrement en numérique. Au tout début, j’ai participé à des séances de « speed painting », des sortes de défis qui ont lieu sur des forums comme Café Salé : là je pouvais me livrer à des expériences de peintures ultra rapides qui me permettaient de tester des techniques et les outils. J’ai fait cela pendant plusieurs mois, y compris à mes débuts du Banni et j’ai beaucoup appris de mes erreurs, des ratés et parfois de mes réussites. Pour le Banni, je n’incruste pas de photo, n’utilise pas de filtre Photoshop, mais uniquement des pinceaux que j’ai créés moi-même et qui ressemblent aux matériaux traditionnels. Je n'incruste pas de photos dans mon dessin, mais je m'inspire souvent de photos (pour les poses des personnages, par exemple) lorsque je travaille. Parfois, j’utilise de vraies peintures acryliques que je scanne et qui me donnent de la matière. Souvent les gens sont étonnés que ce soit du numérique.
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Tarumbana : Je commence par un story-board très rough, directement réalisé sur l’ordinateur. Après, je précise le dessin comme je le ferais en traditionnel. Je décalque mon dessin de manière un peu plus précise et je rentre davantage dans les détails. Et quand le dessin est fini, je le mets en couleurs.
Quelle est l’intervention du scénariste dans cette phase du dessin ?
Henscher : Dans mon script, je fais une proposition de découpage jusqu’au strip avec la numérotation des cases. Parfois, je précise l’intention, l’angle de la vue, la taille de la case. Je suis incapable de dessiner. C’est donc entièrement écrit. Ensuite je lui envoie ; il essaye de comprendre comment je vois la scène, teste ma proposition et valide ou pas si ça marche. Comme je ne pense pas graphiquement, il y a des points à modifier parce qu’il trouve que ça ne passe pas narrativement ou qu’il y a trop de cases par exemple. Derrière, je fais des contre-propositions et on discute jusqu’à ce qu’on tombe d’accord. Généralement, l’échange est rapidement concluant. C’est vraiment une mise en scène commune. Pour moi, le scénario n’est qu’une étape. Le dessinateur va imposer le produit fini. Le scénariste doit accepter que ce qu’il a en tête ne sera pas sur la planche. L’important est que le produit transformé soit de bonne qualité et que l’intention de la scène soit conservée. Il faut vraiment que le dessinateur soit convaincu. Mon boulot consiste à alimenter son inspiration.
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Henscher : C’est d’abord une réflexion sur le mythe. Selon moi, plus une légende est belle, plus la réalité qu’elle cache est inavouable. Je trouve intéressant d’avoir ce personnage qui a survécu à sa propre légende. Une de mes idées de départ était Roland qui avait survécu à Roncevaux, qui se brouillerait avec Charlemagne et que Charlemagne rappellerait 30 ans plus tard. C’est un peu comme si Roland avait dû survivre à sa propre légende. Normalement, le mythe vient de la mort d’un personnage. On accède à la légende qu’au moment où l’on meurt. Son problème est qu’il a survécu. Il doit vivre avec un mensonge énorme sur les épaules. Il a recherché et obtenu la gloire quand il était jeune avec tout un groupe. In fine, 30 ans plus tard, qu’en reste–t-il ? Qu’est-ce que cela leur a apporté ? Cela valait-il tous les sacrifices, trahisons, reniements et renoncements auxquels ils ont dû se plier ? Le Banni est donc aussi une réflexion sur la quête de la gloire à tout prix.
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Henscher : Il y a en effet aussi un troisième axe, une sorte de guerre entre les anciens et les modernes. Se confrontent deux générations dont l’une élevée avec cette légende sur les anciens. Et il se produit une espèce de parallèle entre cette nouvelle génération et le Banni qui sait ce qui se cache derrière ces heures de gloire. Pour lui, l’histoire est un éternel recommencement. La question est de savoir s’il va accepter de revivre cela. Il est en permanence partagé entre l’impérieuse nécessité de réagir face à la situation présente du Royaume qu’il a contribué à créer et un refus catégorique de revivre cela. Il y a une espèce de fatalité inscrite dans le personnage qui fait qu’il est un héros, mais seulement au travers de la légende qu’on a écrit sur lui. En bref, c’est un type qui est passé à côté de sa vie. Il n’a finalement rien accompli. En écrivant cette histoire, je me suis aperçu que j’ai refait du pur Tristan et Iseut que j’avais lu dans mon enfance. J’ai aussi été influencé par la chanson de geste…
Comment s’est fait le choix de code graphique avec la ville tentaculaire très haute par exemple à mi chemin entre une atmosphère médiévale et un univers futuriste ?
Henscher : Le design est de Tarumbana !
Tarumbana : C’est vrai, mais Henscher avait insisté sur le fait que la ville serait construite en hauteur ! Avant de devenir la capitale du royaume, Myrmirrine était un joyau architectural. Elle avait une particularité : elle s’est construite au fur et à mesure sur les ruines des vestiges des villes précédentes. Elle est donc en permanent changement et les différentes strates ont fait que la ville a naturellement poussé vers le haut. Cela donne une sorte de parallèle soit avec Babel, soit avec l’histoire du Banni. Cela correspond au principe qu’on est des nains juchés sur des épaules de géants. Autrement dit : on construit l’Histoire sur les générations qui se sont succédées. La ville reflète ce qui se passe entre le Banni et la nouvelle génération, le passé et le présent. C’est pour cela qu’elle est étagée. Et de façon plus anecdotique, je voulais qu’elle marque les différences sociales : plus on descend dans la ville, plus on descend dans les quartiers populaires, les bas-fonds. C’est aussi une métaphore de la quête de certains personnages qui veulent accéder à la gloire, au statut de légende et donc à la hauteur.
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Quel est le format prévu de cette série ?
Tarumbana : On a signé pour trois tomes à raison d’un album par an.
Henscher : Pour le moment… Il y a la possibilité de faire plus. Je pense que l’univers que nous avons construit dispose de suffisamment de richesses pour tenir davantage. Mais cela dépendra de l’accueil du public et donc de la décision de l’éditeur.
Tarumbana : En tant qu’auteurs, nous ne maîtrisons pas vraiment cela.
Henscher : En même temps, nous veillons à ne pas tomber dans la rallonge gratuite. Nous n’avons pas envisagé de faire des spin-offs sur les personnages. En revanche, dès le départ, j’ai eu l’idée d’une seconde série qui raconterait vraiment ce qui s’est passé il y a 30 ans. Mais, en même temps, Tarumbana n’aurait pas pu mener les deux séries en parallèle. Notre but est vraiment de privilégier la qualité.
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Quels sont vos projets ?
Tarumbana : Finir le deuxième tome du Banni bien sûr.
Henscher : Je suis en train de finir le Seigneur des Couteaux avec Fabien Rondet. On sortira d’ailleurs l’intégrale du diptyque avec un cahier graphique. Fabien a vraiment réalisé de très belles planches pour un second tome d’une soixantaine de pages ! Il y a d’autres projets en cours dans une veine plus satirique, plus politique, plus radicale, mais aucun de signé pour le moment.
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