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Entretien avec Régis Hautière et Hardoc

« Le centenaire nous semblait fort lointain »

On peut imaginer que les albums traitant de 14-18 ne manqueront pas en cette année qui marque le centenaire du début de la Première Guerre mondiale. L’évoquer à travers les yeux d’un groupe d’enfants constitue l’approche originale choisie par Régis Hautière et Hardoc dans La Guerre des Lulus.

Lucien, Lucas, Luigi et Ludwig, rejoints par Luce, traversent, à leur manière, le conflit comme une aventure mais aussi comme une part de leur enfance. À l’image du premier tome sorti l’an dernier, Hans, le deuxième album récemment publié chez Casterman, conjugue un savant dosage de suspense, d’humour et d’émotion. Régis Hautière et Hardoc répondent à nos questions.

Hans, le tome 2 de La Guerre des Lulus vient de sortir, votre volonté était de signer une série tous publics. Quel a été l’accueil du premier épisode de ce point de vue ?

Régis Hautière : Globalement, l’accueil a été bon. Les critiques ont été positives et  les ventes plutôt encourageantes pour un premier tome d’une nouvelle série. On espère que Hans continuera à creuser ce sillon, puis le tome 3… (rires) et dites aux lecteurs belges que les Lulus feront un crochet par la Belgique dans le suivant ! Lors de séances de dédicaces, nous rencontrons des parents, mais aussi des enfants. Nous avons répondu aux invitations de nombreuses écoles, et ce premier album a reçu plusieurs prix, dont certains prix jeunesse ou décernés par des lycéens, donc, de ce côté, je pense que nous atteignons notre objectif.

Lucas, au brou de noix

Lucas, au brou de noix

Hardoc : Les plus jeunes sont plus sensibles à l’aspect aventure de La Guerre des Lulus, aux chamailleries des personnages, à la cabane dans la forêt… Au sein d’une même famille, des gens se sont prêtés l’album ou se le sont offerts l’un à l’autre. On pourrait même parler de série familiale.

Régis Hautière et Hardoc

Régis Hautière et Hardoc

Ce tome 2 paraît en 2014, au début des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale. Cela lui confère-t-il une importance particulière ?

Hardoc : Non, car il n’y a eu aucun calcul de notre part par rapport à cela. L’idée date de 2009, et nous avons commencé à travailler sur ce projet en 2010, en imaginant probablement avoir terminé en 2014. Le centenaire nous semblait alors fort lointain !

Régis Hautière : Aujourd’hui, nous sommes sollicités grâce ou à cause du centenaire. Une partie du festival d’Amiens sera consacrée à 14-18 et les Lulus y auront leur place, de plus il s’agit de notre région… Certains journaux et magazines présentent des sélections de livres ayant pour thème 14-18, on y retrouve les Lulus, il s’agit d’une vitrine dont nous n’aurions pas bénéficié à une autre période, c’est clair, mais on ne va pas rejeter cette visibilité !

Vers une affiche rétro...

Vers une affiche rétro...

Chaque album correspond à une année du conflit. Les Lulus grandissent, vieillissent, de quelle manière abordez-vous cet aspect ?

Hardoc : Leur vieillissement n’est pas facile à transcrire en un nombre d’albums aussi limité, et leur évolution physique a représenté un challenge dès le début. Mais plusieurs lecteurs nous ont dit qu’ils ressentaient ce vieillissement. Lucas a grandi, il a une demi-tête en plus que dans le premier tome, les pommettes de Lucien sont un peu plus creusées, Luigi s’est un peu affiné… Dans ce nouvel album, leurs cheveux plus courts modifient également leurs physionomies. Luce grandit aussi, s’affine… Il s’agit de petits détails que j’amène progressivement dans le dessin…

Régis Hautière : Ils évoluent aussi psychologiquement, en fonction des événements auxquels ils sont confrontés. Cela se marque nettement dans ce nouvel album, duquel Lucas ressort avec un gros traumatisme. Ils ont la sensation de vivre, ou de survivre, dans un petit monde préservé. Or la guerre vient s’y immiscer, inévitablement, ce qui les obligera à partir.

Justement, vous évoquez leur refuge, et quasi l’entièreté de l’album se déroule dans la forêt. Comment ne pas s’ennuyer ou  lasser le lecteur dans cette sorte de huis clos ?

Hans

Hans

Régis Hautière : L’espace dans lequel se déroule cet épisode est vaste, mais peu varié, c’est vrai. Le tout était de trouver où placer l’objectif de la caméra. D’ailleurs ça a été assez compliqué pour réaliser la couverture du bouquin.  On a choisi une maquette pour la série avec un dégagement, un ciel, assez important où figure le titre, et une scène se déroulant dans la forêt ne nous permettait pas de conserver cette option. Finalement, nous nous sommes rendus compte que la seule possibilité était de rappeler cette scène du lac, qui offrait plus d’espace, permettait plus de recul avec une légère contre-plongée…

Hardoc : Jusqu’à maintenant personne ne m’a dit que l’album manquait de décors, mais il s’agissait d’un défi assez difficile à relever, tant pour le dessin que pour les couleurs… On utilise donc les ombres, les lumières, certaines plantes à l’avant-plan, l’un ou l’autre animal qui passe… et c’est un plaisir aussi. L’autre décor principal est la cabane des Lulus, mais elle est plutôt dépouillée. Mais on se rattrapera côté architecture dans le tome 3 qui s’intitulera Le Tas de briques.

Les Lulus sont des orphelins, or les notions d’abandon et de famille sont fort présentes dans ce tome 2…

Régis Hautière : Effectivement, et les personnages en parlent, parce qu’ils ont reconstitué une sorte de famille et s’y raccrochent. Hans est adulte, il joue un peu un rôle paternel. Il leur parle d’ailleurs de sa famille qu’il veut rejoindre en Allemagne. Luce assure une présence féminine. Il y a une forme fragile d’équilibre qui se rétablit dans leur petit monde. Pour eux, c’est sécurisant.

Mais la guerre est là…

Régis Hautière : La guerre est là, et vient à eux… La grande offensive évoquée par le pilote qu’ils rencontrent va les inciter à quitter la forêt, même si, d’un point de vue historique, il s’agit de la troisième offensive Flandre-Artois qui n’a pas fait évoluer le front. Mais ils sont forcément loin de l’imaginer. Et puis, ce lieu est trop marqué par ce qui s’y déroule dans ce deuxième album !

Des gosses qui tentent de survivre et fabriquent des confitures, c’est le genre de chose qui ne s’invente pas ?

Régis Hautière : Mais j’adorais ça quand j’étais enfant, les longues balades en forêt, cueillir les fruits des bois, et puis les confitures… Au fil des planches, ça devient aussi une sorte de running gag entre Luigi et Lucas. Au-delà de ça, je pense que dans ce type de situation, ces petits éléments ramènent  à une forme de normalité. Quelque part, la vie continue.

Hardoc : Le temps passe, il y a des rites, comme les anniversaires, et c’était le cas en temps de guerre, les gens essayaient de se raccrocher à ce qu’ils pouvaient. Il s’agit d’une forme de normalité et même d’humanité qui subsistait au cœur de cette tragédie. La trêve de Noël pour les soldats, dans les tranchées, est connue.

Aussi sur le site : chroniques du tome 1 et du tome 2

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Pierre Burssens
22/01/2014