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Entretien avec Baudouin Deville

 "Parlons donc de nostalgie joyeuse !"

Après un premier album se déroulant à Bruxelles, Gaspard Sarini, héros de Rider on the storm (Paquet) poursuit son enquête sur l’assassinat de ses parents à Londres. Alors en plein bouillonnement culturel, la capitale britannique constituait le décor idéal pour reprendre cette véritable immersion dans les années 70’. Le dessinateur Baudouin Deville voue une véritable passion à cette période et nous la fait partager lors d’un agréable entretien.

Rider on the storm associe moto, polar, humour... Quelle est votre définition de la série ?

Pour moi, il s'agit d'un polar à moto, se déroulant dans les années 70'. Tout ne pouvait pas être centré sur l'univers de la moto, et la fiction qui vient s'y greffer permet à un public non-motard d'aborder et d'apprécier la série. Nous nous en rendons compte lors des séances de dédicaces, notamment, au cours desquelles nous rencontrons tous les types de lecteurs. L'idée de Rider on the storm a germé alors que je sortais de la réalisation de l'album Continental circus. Mon fils aîné, juriste, est amené à rédiger beaucoup pour son boulot. Il avait envie de s'essayer à une fiction. Géro m'a donc fourni un premier script sur lequel nous avons travaillé, j'ai réalisé quelques planches d'essai qui ont plu à Pierre Paquet, et cette aventure a vraiment commencé.

Chaque album se déroule dans une ville différente, Bruxelles, Londres, Rome pour le prochain. Cette idée était-elle présente dès le départ ?

Oui, et ce n'est peut-être pas terminé. Actuellement, Rider on the storm est envisagé comme un triptyque, mais nous on a envie de continuer à voyager et surtout à faire voyager notre héros Gaspard. On pense à Rio, à Los Angeles, avec à chaque fois l'occasion de présenter certains aspects de la culture « motard » de telle ville ou tel pays... Nous avons plusieurs idées en ce sens, mais nous devons encore en discuter avec l'éditeur.

Pourquoi avoir choisi de situer Rider on the storm dans les années 70' ?

Cette décennie me passionne. Il s'agit d'une période charnière. On sort des années 60', dans un univers que l'on croyait en expansion, et en 1973 la première crise pétrolière vient remettre plein de choses en question, freine les rêves et les illusions. Le design évolue, les villes changent, chez nous on quitte « la Belgique de papa », les grands groupes musicaux nés dans les années 60' sont au sommet de leur art et produisent des albums entrés dans l'histoire... Côté moto, les freins à disques apparaissent sur les premières motos modernes... Tout ça m'intéresse beaucoup et j'ai également l'impression d'être plus à l'aise pour raconter quelque chose se déroulant à une période par rapport à laquelle j'ai déjà pris du recul. Si vous me demandiez de camper une histoire se déroulant en 2014, ce serait plus difficile. Tout bouge, tout évolue... je n'ai pas suffisamment de distance par rapport à cela, pas assez de contrôle...

Vous évoquez la musique, Londres était l'occasion idéale de lui laisser une belle place, avec la séquence se déroulant au festival de Knebworth...

Évidemment. On se trouve dans le vivier de musiciens de génie, d'une créativité extraordinaire qui explose dans les années 70' ! Je suis un grand admirateur de Pink Floyd, c'était tentant d'évoquer ce festival et leur concert, même si cette prestation n'a, semble-t-il, pas laissé un grand souvenir, plombée par différents problèmes techniques.

Du stroryboard...

Du stroryboard...

Au-delà de l'intrigue générale, et d'éléments assez évidents dans la reconstitution de l'époque, on sent que vous recherchez vraiment le petit détail qui « fait vrai » et dont on peut encore se souvenir, comme par exemple, le logo de la télévision belge de ces années-là...

Vous avez remarqué celui-là, mais il y en a plein d'autres. J'effectue vraiment des recherches de fourmi pour rendre cet univers le plus crédible possible. Chacun remarque telle ou telle chose, mais il y a plein de petits trucs du même genre dans l'album. On m'a signalé quelques petites erreurs dans le tome 1, mais ça fait partie du jeu. Je me documente au maximum. Dans le prochain album, certaines scènes se dérouleront à la prison de Saint-Gilles (B) et j'ai rencontré quelqu'un qui y travaillait à l'époque et qui m'a donné de nombreuses informations sur son fonctionnement. Certains seraient peut-être rebutés par cet aspect du métier, mais pour ma part j'adore cela, et ces recherches me passionnent presqu'autant que le dessin !

...à la planche !

...à la planche !

Jo, le garagiste bruxellois pure souche, traverse la mer du Nord et débarque en Angleterre avec Gaspard... et son humour dans ses bagages !

On s'amuse beaucoup avec ce personnage, et nos lecteurs l'apprécient. Jo, c'est un peu un électron libre, mais qui n'a, pour ainsi dire, jamais rien vu. Il est à la fois très sûr de lui, mais toujours un peu à côté de la situation et... toujours surpris ! À Londres, il est confronté à une autre culture, et ce sera encore différent avec Rome, le tome 3. Nos amis français voient souvent le Bruxellois et son patois comme « le Belge » et ils apprécient le personnage. Par contre, la statue de l'archange Saint-Michel de l'Hôtel de ville de Bruxelles qui terrasse la camionnette d'un resto chinois sur laquelle figure un dragon, c'est une allégorie mais je pense que les lecteurs belges y seront sans doute plus réceptifs.

Rome, le futur tome 3, permettra de découvrir les motos italiennes de l’époque…

Planche 1 T.3 (storyboard)

Planche 1 T.3 (storyboard)

Bien sûr, dès la première scène, on découvrira Gaspard au guidon d’une MV Agusta de compétition sur une route de Toscane. A priori, elle n’a pas à se trouver là, mais on découvrira pourquoi dans l’album !

À travers l’immersion que vous nous offrez dans cette époque, ne peut-on percevoir chez vous une forme de nostalgie ?

Non, pas de nostalgie, mais un amour pour cette époque, c’est sûr… Si la nostalgie c’est  se dire « c’était mieux alors », non, vraiment pas. Je ne suis d’ailleurs pas convaincu que c’était mieux alors. Des conflits, il y en avait, du chômage et de la pauvreté aussi. C’était différent, mais pas forcément mieux. Internet, les smartphones, tout cela n’existait pas, tout était plus lent. Je le mesure quotidiennement dans mon travail de graphiste. À l’époque, réaliser un folder, le mettre en page pouvait me demander 2 ou 3 jours de boulot. Aujourd’hui, c’est l’affaire de quelques heures car on dispose de moyens techniques formidables. Parallèlement à cela, voyez ce que l’on demande comme bagage à des jeunes qui sortent de formation dans le domaine… Leur laisse-t-on vraiment le temps d’apprendre ? Allez, je suis peut-être un peu nostalgique, mais pas triste. J’adore la musique de l’époque, j’ai de la sympathie pour son ambiance et une énorme admiration pour les motos fabuleuses apparues à ce moment. Ce n’est pas par hasard qu’elles valent des fortunes aujourd’hui. Parlons donc de nostalgie joyeuse !

Planche 1 du T.3 à venir

Planche 1 du T.3 à venir

Vous êtes également le directeur de la collection Carénage chez Paquet. En quoi consiste cette fonction ?

Le job d’un directeur de collection, c’est de trouver de bons projets, qui correspondent évidemment à l’optique de la collection en question, de les encadrer et de les amener à être publiables en album. Les débuts de Carénage ont été assez lents, mais depuis quelques temps, je reçois vraiment des projets intéressants et de qualité, dont certains viennent d’auteurs confirmés. Juin verra la publication du premier épisode d’Angles morts, une aventure contemporaine, par Laurent Astier et Xavier Betaucourt, et en fin d’année paraîtra Double Deux, une fiction historique dont, je pense, on va beaucoup parler. Je me réjouis que la collection puisse atteindre un autre rythme. Mais je sais que c’est difficile de dessiner des deux-roues, des motos dont le moteur est apparent. Ce n’est pas évident. Je crois que je commence à avoir la main, mais le sujet continue à faire reculer de nombreux dessinateurs.

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Pierre Burssens
28/04/2014