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Entretien avec Kid Toussaint

« La Nouvelle-Orléans entretient ses mythes... vrais ou faux ! »

Qui est vraiment Holly Ann ? D'où vient-elle ? Comment mène-t-elle grand train ? Autant de questions que l'on peut se poser en découvrant cette séduisante héroïne, créée par le scénariste Kid Toussaint (À l'ombre du convoi) et Stéphane Servain (Le Livre de Skell), et le petit monde pittoresque qu'elle fréquente à la Nouvelle-Orléans au début du siècle dernier. La chèvre sans cornes, sa première aventure, signe d'emblée une jolie réussite. Nous avions envie d'en savoir plus et avons questionné Kid Toussaint, mais celui-ci veille soigneusement sur la part de mystère de la belle demoiselle...

Après le tragique À l'ombre du convoi, vous changez radicalement d'horizon...

Tout-à-fait, mais il m'aurait été impossible d'écrire à nouveau quelque chose se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale. À l'ombre du convoi a été un projet assez lourd à porter, avec une histoire authentique dans une des périodes les plus sombres de notre histoire. J'avais envie, et besoin, de passer à quelque chose de plus divertissant, avec aussi, techniquement, une forme de narration plus simple. À l'ombre du convoi était construit sur de nombreux flash-backs, La chèvre sans cornes présente une histoire continue, avec une action qui respecte une chronologie de la première à la dernière planche.

Vous situez la série à la Nouvelle-Orléans. Aviez-vous depuis longtemps, précisément, cette ville en tête ?

Je connaissais la ville un peu comme tout le monde, à travers des bouquins et des films. Mais je m'y suis rendu en 2011, et j'ai l'impression d'avoir alors mesuré combien cette ville a une âme, avec son atmosphère et son histoire très particulières. La Nouvelle-Orléans entretient ses mythes, vrais ou faux, et j'ai fait leur connaissance à cette occasion. D'où l'envie d'y situer une histoire jouant sur ces caractéristiques.

Vous ne précisez pas l'époque à laquelle vit Holly Ann, mais on reconnaît  la charnière entre le XIX ème et le XXème siècle...

À ce moment, les prostituées ont été cantonnées dans le quartier de Storyville, mais l'atmosphère de la Nouvelle-Orléans est encore très festive. C'est une période qui constitue un tournant. La Louisiane est revenue dans l'Union après la guerre de Sécession, mais la ségrégation n'y est pas morte pour autant. Et puis, cela me permettait de mettre en scène différents contrastes, comme des voitures attelées côtoyant des tramways électriques, ou les premières automobiles... Il s'agit, à plus d'un titre, d'une période de grands bouleversements.

Votre héroïne a une sacrée personnalité. Comment la définiriez-vous ?

Il est difficile d'en parler sans dévoiler certains éléments qui apparaîtront dans les prochains albums. Holly Ann est très indépendante, perspicace, pas naïve. Elle connaît énormément de monde et ne se fait pas avoir... C'est quelqu'un que les gens viennent trouver quand ils ont un problème. Elle demande ou pas quelque chose en contrepartie. Pour l'époque, il s'agit d'un personnage exceptionnel, une femme capable de tenir tête et de déstabiliser ses interlocuteurs, avec beaucoup de répartie.

Beaucoup de répartie, ce qui induit aussi quelques traits humoristiques...

Tout-à-fait. J'ai hésité sur cet aspect-là, et finalement Stéphane Servain, le dessinateur, m'a convaincu de ne pas brider ça, de ne pas désamorcer cette facette humoristique, même si on se trouve au coeur d'une enquête sur un meurtre.

Connaissiez-vous Stéphane Servain avant ce projet ?

Je connaissais son travail. Après À l'ombre du convoi, mon éditeur chez Casterman, Reynold Leclercq, estimait que l'on pouvait continuer à travailler ensemble. Il m'a fait rencontrer Stéphane, on a discuté d'Holly Ann, il a été emballé et nous nous sommes rapidement mis au travail sur ce premier album.

Vous développez un joli groupe de personnages secondaires autour de votre héroïne, un petit monde que vous situez directement...

C'est un petit microcosme que l'on retrouvera d'album en album, et il s'agit finalement d'un procédé assez classique et caractéristique de la BD franco-belge. Je me suis bien amusé en créant ces personnages, et ils s'inscrivent aisément dans le contexte de la Nouvelle-Orléans de l'époque.

 Un contexte dans lequel le vaudou occupe une place non négligeable...

Oui, à ce moment et bien avant. Le vaudou est né d'un mélange des croyances animistes africaines et de religion catholique. Pour certains, il relève du folklore, mais d'autres y croient dur comme fer et le considèrent, à son tour, comme une religion. Dans La chèvre sans cornes, le fait qu'une blanche, fortunée, s'y adonne est terriblement choquant. À la fois parce que c'est le vaudou, à cause de la condition sociale de cette femme et de sa couleur de peau ! Le racisme n'a pas disparu, on ne se mélange pas ! Cette situation met à mal beaucoup de conventions.

Vous parlez de couleur de peau. Holly Ann est une « quarteronne », de quoi s'agit-il ?

Cela signifie qu'Holly Ann a un quart de sang africain. Elle a donc eu une grand-mère ou un grand-père africain.

Casterman, dans ses communiqués de presse,  évoque Holly Ann comme « une sorte d'Adèle Blanc Sec immergée en Louisiane », ça vous inspire quoi ?

Je ne connaissais pas l'héroïne de Tardi quand j'ai mis ce projet en chantier. J'avais lu d'autres albums de cet auteur, mais pas ceux-là... Au départ, pour moi, Holly Ann, je la voyais comme un Sherlock Holmes au féminin. Depuis, j'ai lu les aventures d'Adèle Blanc Sec, et finalement, ça me plaît bien, cette comparaison, même s'il existe énormément de différences... Mais ça installe Holly Ann dans une forme de continuité chez l'éditeur. Alors pourquoi pas ?

Les deux albums suivants sont d'ores et déjà annoncés. Envisagez-vous Holly Ann comme une série au long cours ?

Il est trop tôt pour en parler. Les deux albums suivants sont écrits et Stéphane a commencé à y travailler. À l'issue du tome 3, nous aurons répondu à beaucoup des questions que les lecteurs peuvent se poser à propos de notre héroïne, mais il est tout-à-fait imaginable de prolonger la série. Le lieu et l'époque constituent un terreau très riche, quant à moi je dispose déjà de la matière pour deux albums de plus...

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Pierre Burssens
02/02/2015