Entretien avec Johannes Roussel et Roger Seiter
Johannes Roussel |
Roger Seiter et Johannes Roussel se connaissent depuis près de 20 ans. Les deux auteurs alsaciens viennent de publier chez Casterman La Morsure du Serpent, 3e tome de leur série H.M.S. (pour His Majesty’s Ship) constituées de passionnantes enquêtes policières sur des vaisseaux de guerre britanniques au temps de la Révolution française. |
Roger Seiter |
Avec votre série H.M.S., quelle est la place que vous donner à la trame historique ?
Roger Seiter : Nous sommes en 1796, période difficile pour l’Angleterre. Les Anglais perdent le contrôle de la Méditerranée, et, l’Espagne va rallier le camp français. Mais la série ne se veut pas didactique. Le contexte historique sert surtout à donner des repères aux lecteurs et un certain crédit à l’histoire. Le récit reste une pure fiction et l’intrigue développée met en scène des personnages créés de toutes pièces. Ce qui nous intéresse, c’est de faire vivre, dans un cadre historique très documenté (navires, costumes, vie à bord, etc..), les personnages déjà développés dans les tomes précédents.
Johannes Roussel : Nous avons longuement discuté de l'ambiance que nous voulions pour ces deux nouveaux albums. La précédente histoire était un huis clos se déroulant à bord d'un grand navire de 74 canons. Pour ce nouveau diptyque, nous souhaitions changer de décor. Nous avons choisi une frégate, un navire beaucoup plus petit. Il embarque environ 200 à 250 marins contre près de 800 pour un vaisseau de 74 canons. Nous voulions également montrer l'ambiance d'une flotte à l'ancre et en mission : son amiral, les messages envoyés à l'aide de pavillons...
Le personnage principal de votre série, le Dr Fenton, est entraîné malgré lui, manipulé dans cette nouvelle enquête. Va-t-il pouvoir se disculper et retrouvera-t-il sa liberté ?
Roger Seiter : En créant le personnage de John Fenton, nous voulions un personnage hors normes. Un héros qui, à bord d’un navire de guerre, pouvait commencer sa carrière comme simple matelot et rapidement avoir des responsabilités et un accès total à l’ensemble du navire. Or, même un gentleman ne pouvait pas devenir officier de marine en quelques semaines. Seul un médecin pouvait avoir ce genre de destin. En même temps, il continue à avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête et est bien obligé de collaborer avec l’Amirauté s’il ne veut pas finir sur un gibet. Même s’il est innocent et si la contre-enquête menée par la Navy l’a pratiquement prouvé, John Fenton ne va pas être réhabilité immédiatement. Et puis, en enquêtant pour le compte de l’Amirauté, il va également se faire des ennemis puissants qui feront tout pour s’en débarrasser. Il est donc un peu coincé entre le marteau et l’enclume et il ne va pas s’en sortir si facilement, même si les Lords de l’Amirauté acceptent de le soutenir.
Johannes, l’intrigue développée par Roger renvoie à beaucoup de flash-back. Comment vous est venue l’idée de les distinguer en ôtant le contour des cases ?
Johannes Roussel : C'était un des défis posé par ce récit. Roger a écrit une histoire très riche qui est construite autours des flash-back. De plus, nous suivons plusieurs groupes de personnages dans des lieux différents. Il était important que ces lieux et les flash-back soient clairement et immédiatement identifiables. Au départ, j'avais pour les flash-back réalisé une mise en couleur monochrome. Cela fonctionnait assez bien mais on perdait tout l'attrait des couleurs chatoyantes des îles du Pacifique. J'ai eu l'idée d'effacer les contours des cases. Cela leur donne un aspect onirique qui nous a tout de suite séduits.
L’ensemble de ce troisième album s’enchaîne vite. Le séquencé est parfois audacieux, nous pensons notamment à ces deux doubles pages de 16 cases de taille identique. Est-ce pour créer un effet cinématographique ?
Roger Seiter : J’ai pour habitude de beaucoup travailler mes scénarios et mes découpages. Mais je me concentre plus sur le rythme de la narration que sur la mise en pages. Quand mes dessinateurs commencent un album, ils disposent d’un scénario détaillé de 12 à 14 pages et du découpage complet de l’album, avec tous les dialogues. Nous discutons ensemble de cette base de travail qui, à ce stade, peut encore être largement modifiée. J’interviens assez peu dans leur travail. Pour H.M.S., nous sommes passés de deux fois 54 planches à deux fois 46 planches. Nous avons donc perdu 16 pages sur l’ensemble du diptyque et la narration est un peu plus nerveuse, ce qui n’est pas forcément un mal.
Johannes Roussel : Une différence fondamentale entre le cinéma et la BD, c'est le temps. Au cinéma, le temps est imposé par le metteur en scène et le monteur. En BD, c'est le lecteur qui définit cette dimension. Le scénariste et le dessinateur peuvent influencer la manière dont le lecteur lira la planche en jouant sur la mise en page et les dialogues. Les doubles pages auxquelles vous faites allusion ont été traitées de cette façon pour des raisons différentes. Dans un cas, il s'agit d'une scène d'action. Cette disposition très limpide permet au lecteur de se concentrer sur l'action sans se laisser perturber par des artifices de mise en page. Il y a peu de textes et peu de décors. Les couleurs sont agressives, les cadrages sont serrés, ce qui rend la lecture rapide et nerveuse. Dans l'autre cas, l'effet recherché est inverse. C'est une scène où il n'y a que deux personnages et de nombreux dialogues. En créant des cases verticales, les bulles semblent occuper moins d'espace. La forme des cases souligne la verticalité du paysage. Les plans larges isolent les personnages et permettent de retenir l’œil du lecteur sur les décors. Cette mise en page et le choix des couleurs permettent d'apaiser la lecture en offrant beaucoup de choses à lire dans les bulles et dans l'image.
Roger, comment s’est passée l’écriture de cette histoire ?…
Roger Seiter : Pour toutes mes séries, je commence par discuter avec le dessinateur sur le choix d’un sujet. Je tiens compte de ses envies, de ses suggestions, etc… J’écris ensuite mon scénario tout seul, puis je le fais lire au dessinateur. Une fois que nous sommes d’accord, nous proposons le projet à l’éditeur et, s’il est accepté, je commence le découpage de l’ensemble des planches, avec les dialogues. Cette manière de travailler a beaucoup d’avantages. Les dessinateurs savent dès le départ ce qu’ils vont dessiner. Je ne leur impose pas de scènes dont ils ne voudraient pas. Ils peuvent très en amont préparer la documentation nécessaire. Par contre, ce système me fait systématiquement rédiger un scénario complet de 12 à 14 pages dactylographiées par album. Si nous ne trouvons pas d’éditeur pour le projet, j’au travaillé six mois pour rien.
Johannes, vos planches nous offrent à voir de magnifiques navires. Avez-vous une passion pour ces vaisseaux et la mer, ou avez-vous développé ce goût pour cette série ?
Johannes Roussel : J'ai toujours été attiré par les réalisations techniques des hommes, que ce soit dans le domaine spatial, aéronautique, automobile, architectural ou naval. Quand Roger et moi avons décidé de créer la série H.M.S., mes connaissances sur les navires du 18e siècle étaient superficielles. Bien entendu, nous nous sommes documentés sur ce sujet qui est extrêmement passionnant. La période que nous décrivons est l'apogée des navires à voile en bois. À cette époque, les navires avaient atteint un niveau de performance et de complexité extrême.
Pour conclure, pouvons-nous évoquer rapidement vos autres projets ?
Johannes Roussel : H.M.S. va continuer bien sûr, avec un quatrième tome en 2008 et une suite prévue dans la foulée. Roger et moi avons un autre projet en commun, de science-fiction, mais il est encore trop tôt pour en parler…
Propos recueillis par Brieg F. Haslé et Manuel F. Picaud en septembre 2007 © Brieg F. Haslé - Manuel F. Picaud / Auracan.com Tous droits réservés. Reproduction interdite, même partielle, sans autorisation préalable. Visuels © Johannes Roussel - Roger Seiter / Casterman Photos © Johannes Roussel |
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