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Entretien avec Lisa Mandel

« On développe des binômes constitués d'un auteur BD
et d'un sociologue sur les travaux duquel se construit l'album... »

Associer sociologie et BD ; immerger le lecteur dans des univers qu'il croit connaître et lui en faire découvrir les réalités ; diffuser les sujets de certains travaux sociologiques par un media grand public ... des objectifs parmi d'autres poursuivis par la toute jeune collection Sociorama de chez Casterman.

Deux titres y ont été publiés à ce jour : Chantier interdit au public, de Claire Braud, d'après une enquête de Nicolas Jounin, et La Fabrique pornographique, de Lisa Mandel, réalisé d'après une enquête de Mathieu Trachman.

Lisa Mandel, auteure, est également co-directrice de la collection avec la sociologue Yasmine Bouagga. Elle évoque pour nous ces deux activités au sein d'une collection appelée à grandir rapidement...

Comment est né le concept de la collection Sociorama ?

J'ai participé à un colloque de doctorants en sociologie, qui avaient invité, pour l'occasion, différents auteurs dont les BDs avaient, selon eux, une portée sociologique. J'étais invitée suite à mon album HP qui traite du milieu des hôpitaux psychiatriques et je dois dire que je n'avais pas, jusqu'alors, envisagé mon travail sous cet angle socio. Finalement, en discutant avec ces jeunes sociologues, j'ai réalisé qu'ils s'attachaient à des sujets souvent passionnants, mais que peu de gens avaient accès à leurs écrits. Or, en tant qu'auteur BD, on peut toucher un public beaucoup plus large. On pouvait donc envisager de faire quelque chose et c'est ainsi qu'est née Sociorama, avec un comité scientifique emmené par Yasmine Bouagga. On développe des binômes constitués d'un auteur BD et d'un sociologue sur les travaux duquel se construit l'album et qui, pendant sa réalisation, conserve un rôle de consultant privilégié.

Plutôt qu'une sorte d'exposé en BD, chaque thème donne lieu à un récit scénarisé...

Oui, car on voulait en faire, prioritairement, quelque chose d'agréable à lire. Souvent, les travaux des sociologues concernés racontent déjà, à leur manière, une histoire, car ils enquêtent, se rendent sur le terrain... On voulait donc développer chaque sujet à travers une histoire, le vécu d'un personnage... On a présenté le projet chez Casterman et ils ont été tout de suite enthousiastes...

Comment choisissez-vous les sujets traités ?

Les thèmes doivent se dérouler « ici et maintenant », ou du moins relever d'une actualité proche car les études sont menées en France et la société évolue très vite... Je dirais que nous devons nous inscrire dans la décennie. Le sujet doit être adaptable en BD, porter en lui, d'une certaine manière, une histoire. On ne peut pas s'attaquer à quelque chose de trop statistique ou théorique, puisque l'on développe des récits. Et enfin, c'est très subjectif, mais il y a le critère « inéressant » qui est pris en compte. Les sociologues avec qui nous travaillons ont constitué une réserve de thèmes, d'enquêtes. Les auteurs opèrent un choix, et rencontrent ensuite le scientifique ayant abordé le sujet choisi.

Deux titres ont été récemment publiés, les suivants sont annoncés. On reste dans la socio, mais avec un éventail de sujets large et varié...


L'album de Claire Braud, paru en même
temps que celui de Lisa Mandel

Oui et non. En prenant un peu de recul, vous vous rendrez compte que la plupart de ces sujets traitent, d'une manière ou d'une autre, de milieux socio-professionnels. Il est vrai que le champ d'investigation de la sociologie est énorme, mais nous essayons aussi de coller à l'actualité et de rencontrer notre public. Et les problématiques socio-professionnelles touchent forcément beaucoup de monde.

À qui destinez-vous la collection Sociorama ?

À tout le monde, et c'est pourquoi on essaye de privilégier cette approche jeune et dynamique. L'équipe est jeune, tant du côté des sociologues que des auteurs BD, et je pense que ça induit une forme de fraîcheur dans les sujets et leurs traitements. On tente aussi de travailler assez rapidement. Dans la forme aussi, on a essayé de rendre la collection accessible à tous, avec des petits bouquins sympas mais qui sont proposés à un prix raisonnable. Et chacun a consenti à un effort pour atteindre cet objectif.

Vous signez un des deux premiers albums de la collection, La Fabrique pornographique. Qu'est-ce qui vous a amené à choisir ce sujet ?

En fait, je ne l'ai pas choisi, il devait au départ être traité par un autre auteur, mais qui n'était pas disponible au moment d'y travailler. De plus, il n'était pas prévu dans ces toutes premières publications, mais finalement l'éditeur a insisté pour marquer le lancement de la collection avec un thème à la fois intrigant et accrocheur...

L'itinéraire d'Howard, que vous décrivez, représente-t-il une sorte de parcours-type dans le milieu du porno ?

Je pense, en tous cas, que pas mal d'acteurs ou d'actrices pourraient s'y retrouver. L'étude de Mathieu Trachman sur laquelle je me suis basée est importante. Il s'est rendu sur des tournages, a rencontré beaucoup de monde dans le milieu, et ce avec un maximum d'objectivité...

Êtiez-vous prête à aborder ce thème ?

Oui, car d'une part j'aime beaucoup l'idée de l'éclectisme en BD, et d'un autre côté ça fait un petit bout de temps que j'ai envie de travailler sur un album porno pour l'éditeur Les Requins marteaux... mais je précise que je ne suis pas une consommatrice de porno.

Pensez-vous, justement, que ces consommateurs connaissent le background que dévoile La Fabrique pornographique ?

La plupart non, à mon avis, et d'autres doivent imaginer que c'est pire que ça...

Plus on avance dans votre récit, et plus on y perçoit un côté amer...

Oui, je ne dirais pas triste, mais certainement désabusé. Les réalisateurs tournent, produisent, sont dans leur logique, leur business, mais la situation est plus compliquée pour les acteurs.

Le titre La Fabrique à fantasmes apparaît dans plusieurs documents de l'éditeur...

Il s'agissait d'un titre provisoire. Je voulais que le mot « pornographique » apparaisse dans le titre. La thèse de Mathieu Trachman s'intitule Le Travail pornographique. Il me semblait nécessaire de dire les choses telles qu'elles sont.

De quelle manière votre collection Sociorama est-elle appelée à se développer ?


Un des titres prévus pour avril

Deux titres ont été publiés, et quatre autres sont programmés pour cette année. Deux albums sont également déjà prévus pour 2017. Normalement, deux autres s'y ajouteront. On prévoit la publication de quatre albums par an.

Le Lombard présente, lors de cette Foire du Livre de Bruxelles, les premiers tomes de sa Petite Bédéthèque des Savoirs. Ca vous inspire quoi ?

Nos collections apparaissent presque en même temps mais sont très différentes. Eux abordent les sciences en général, or nous nous axons uniquement sur la sociologie, et les livres sont vraiment différents, tant dans le fond que la forme. Évidemment, chacun de son côté savait que l'autre préparait quelque chose... Au départ, il existait une sorte de méfiance, on s'ignorait, puis on a parlé... Et aujourd'hui, tant mieux pour les deux si, quand on parle de l'un, on évoque aussi l'autre. Il semblerait qu'un autre éditeur choisisse également ce type d'orientation pour une future collection, mais ce sont des bruits de couloir...

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Pierre Burssens
29/02/2016