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Entretien avec Jean-Luc Cornette

"Quand j'ai découvert les premières planches de René Hausman,
c'était un véritable cadeau !"

Prolifique touche-à-tout, dessinateur, scénariste, et écrivain,"spécialiste de rien mais intéressé par tout", Jean-Luc Cornette enrichit sa très éclectique bibliographie  d'un très beau Chlorophylle et le monstre des trois sources, magnifiquement mis en images par René Hausman.

Les auteurs s'approprient et interprètent l'univers de Raymond Macherot pour un album qui constitue aussi un hommage à ce grand créateur, ami proche de René Hausman pendant 50 ans.

Jean-Luc Cornette signe un scénario sur mesure pour la sensibilité du dessinateur verviétois et évoque pour nous cette belle aventure.

Qu'est-ce qui vous a amené à scénariser une aventure de Chlorophylle ?

Quand Le Lombard a annoncé que le personnage lui appartenait, Zidrou et Godi s'y sont essayés avec Embrouilles à Coquefredouille. Gauthier Van Meerbeeck avait laissé ouverte la possibilité de le faire et j'en ai profité. Ma volonté était de proposer quelque chose de différent, respectueux de l'univers de Macherot mais qui, graphiquement, ne s'inscrirait pas forcément dans ses traces.

Pensiez-vous, dès le départ, à René Hausman pour dessiner Chorophylle et le monstre des trois sources ?

Non, pas du tout. C'était un peu flou, et finalement c'est lors d'un brainstorming au Lombard que le nom d'Hausman est apparu, et je dirais même s'est imposé tant, après, ce choix a semblé évident. Si René acceptait, l'éditeur était partant... et il a accepté ! C'est alors que j'ai découvert qu'il avait été un ami proche de Raymond Macherot pendant 50 ans, et il a été touché par la proposition de travailler sur cet univers.

Existait-il une sorte de cahier de charges à cette adaptation ?

Pas vraiment. Les auteurs peuvent avoir leur propre vision, mais ne doivent pas trahir l'oeuvre de Macherot. J'ai dû un petit peu lutter pour convaincre, mais voilà, ça a été accepté. En même temps, travailler sur un personnage ancien, et sur un album qui, de toutes manières, se présente comme un hors-série, offre de plus grandes possibilités. Quand je travaille sur Jhen, par exemple, c'est beaucoup plus cadré.

René Hausman a un style de dessin très personnel. Cela entraînait-il pour vous un traitement différent du scénario ?


René Hausman

Ce n'est pas son style de dessin qui a entraîné cela, mais plutôt sa sensibilité et son univers familier. Je lui ai proposé une première histoire qui se déroulait à Coquefredouille, un contexte très « humain », même si les protagonistes sont des animaux, mais qui ne correspondait pas à ses envies. Cela m'a ramené au petit bois, avec une approche exclusivement animalière, et René s'y est directement senti beaucoup plus à l'aise. Il n'y a aucune interaction "humaine" dans Le monstre des trois sources, et quasi aucun objet. Et je peux vous confier que construire une histoire de 46 pages sans un objet ou ustensile, ça n'a rien d'évident ! Mais quand j'ai découvert les premières planches de René, c'était un véritable cadeau.

Que représentait Chlorophylle pour vous ? Étiez-vous particulièrement attaché à la série de Raymond Macherot ?

Chlorophylle m'a marqué, mais comme dix, vingt ou cinquante autres BD. La série fait partie des choses que j'ai adoré lire et regarder. Ce qui était formidable, chez Raymond Macherot, c'était sa capacité à pouvoir tout raconter avec une étonnante économie de traits. Il pouvait atteindre un résultat très riche avec des moyens très simples, en évitant tous les stéréotypes graphiques !

Quand on parcourt votre bibliographie, on est frappé par son éclectisme...

J'ai débuté comme dessinateur, et ça prend beaucoup de temps de dessiner un album. Je trouvais la perspective de passer 30, 40 ou 50 ans sur une série plutôt inquiétante. Me consacrer au scénario a donc renforcé cet éclectisme. De plus, dans l'état actuel du marché de la BD, les éditeurs signent plus volontiers un one-shot qu'une série. Et comme je me définis souvent comme un spécialiste de rien mais intéressé par tout, j'aime bien me renouveler. Chez certains cinéastes que j'aime bien, comme Patrice Leconte ou Woody Allen c on peut  retrouver dans chaque film quelque chose de commun, peut-être un type de narration ou l'un ou l'autre élément... Techniquement, pour ma part, je n'utilise jamais de phylactère de pensée, j'ai horreur de ça, et je limite au maximum les textes off. Même dans Jhen, peut-être en ai-je glissé au maximum une dizaine, alors que Jacques Martin en utilisait beaucoup... Au-delà, je ne sais pas, on doit peut-être retrouver une certaine vision de la vie qui me correspond à travers mes différents bouquins...

Vous évoquez le cinéma, et on retrouve des références à King Kong et Frankenstein dans Le monstre des trois sources...

Mais j'ai toujours dévoré le cinéma et la littérature fantastique, j'aime beaucoup cela. La référence à King Kong m'a fait d'autant plus plaisir que, et je l'ignorais, il s'agit du film préféré de René Hausman, dans sa première version, celle de Schoedsack et Cooper de 1933... Frankenstein, King Kong, ce sont des archétypes des récits de genre. Il s'agit d'histoires parfaites, avec des idées fortes. On retrouve ça dans le fantastique, l'horreur, la terreur, le polar... Oui, des récits parfaits, avec des constantes que l'on découvre ensuite déclinées de diverses manières...

L'idée de prolonger l'expérience Chlorophylle vous a-t-elle effleuré à un moment ou un autre ?

Non, de toutes manières il s'agit d'un one-shot. Je suis parti sur d'autres projets, René aussi de son côté, donc voilà, ça s'arrête là. Un plaisir éphémère, mais un très grand plaisir !

Que pouvez-vous nous dire de ces projets ?

Oh, il y a plusieurs bouquins quasi terminés, un album consacré à Gustav Klimt dessiné par Marc Renier dans la collection Les grands peintres chez Glénat, pour l'an prochain ce sera Un million d'éléphants, dessiné par Vanyda qui évoque presque un siècle de l'histoire du Laos... Et puis, je vais enfin adapter La Perle, en solo, un roman de John Steinbeck que j'aime énormément. Il y a presque dix ans que je n'ai pas dessiné, et à 50 balais il est temps de m'y remettre. En lisant le roman, j'avais des images en tête...

Vous citez Klimt, or vous avez signé un album consacré à Frida Kahlo dessiné par Flore Balthazar... La peinture est-elle un autre de vos centres d'intérêt ?

Complètement. Je m'y suis intéressé très jeune car la peinture me parle de façon très directe, davantage même qu'un roman... Et forcément, s'intéresser à la peinture, c'est aussi s'intéresser aux peintres. Mais c'est très difficile de parler de peinture en BD, et c'est compliqué d'intégrer tel ou tel tableau à une BD, ne fût-ce qu'à cause des droits de reproduction... Donc on le fait plutôt à travers la personnalité du peintre et de son univers, en évitant de tomber dans le récit purement biographique du style Oncle Paul !

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Pierre Burssens
23/03/2016