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Entretien avec Baudouin Deville

"Pendant un an et demi, j’ai eu l’impression
de me promener dans les allées de l’Exposition..."

L’Exposition universelle de Bruxelles, en 1958, a durablement marqué les esprits. La preuve, 60 ans après, Patrick Weber et Baudouin Deville la choisissent pour décor d’un polar mettant en scène la jolie Kathleen Van Overstraeten dans le rôle de l’une des 280 hôtesses de l’Expo. Sourire 58, sans verser dans le documentaire, fait habilement revivre cet événement. Le lecteur suit les pas de Kathleen tout en visitant l’Expo 58 que nous rappelle aujourd’hui l’Atomium. Premier album portant le label des Éditions Anspach, Sourire 58 bénéficie déjà d’un beau capital-sympathie. Baudouin Deville, son dessinateur, nous sert de guide.

Comment s’est élaboré le projet de Sourire 58 ?

Baudouin Deville : Je travaillais comme graphiste pour l’Atomium et je réalisais de nombreuses illustrations en rapport avec des objets ayant trait à celui-ci. Or il n’existait pas de BD consacrée à l’Atomium. J’en ai parlé chez Paquet, mon éditeur à l’époque, qui m’a proposé de collaborer avec un scénariste marseillais ! Pour traiter un sujet à l’ancrage tellement bruxellois, l’idée me semblait plutôt hasardeuse. Entretemps, j’ai rencontré Nicolas Anspach, journaliste spécialisé en BD et ancien de chez Paquet, qui a été emballé par l’idée et m’a mis en contact avec Patrick Weber. Nicolas désirait se lancer dans l’édition et il a choisi de le faire avec Sourire 58.

Nous sommes passés par une phase de financement participatif chez Sandawe, indispensable pour assurer les aspects matériels du projet. Nous avons dû établir une convention avec les responsables de l’Atomium quant à l’utilisation de son image. Et assez curieusement, alors qu’au départ ces derniers étaient assez frileux par rapport à un projet de BD, ils ont été totalement séduits par l’album au point d’en faire la BD officielle des 60 ans de l’Atomium. Ils nous ont donné un joli coup de pouce en organisant sur place une grande conférence de presse pour la sortie de Sourire 58, avec la présence de plusieurs journalistes étrangers. Tout ça nous a permis de démontrer la solidité du projet et de l’album, qui nous permet notamment de bénéficier d’une très bonne diffusion… Les premiers retours sont excellents, les lecteurs français découvrent eux aussi le bouquin et il n’est pas impossible que Sourire 58 bénéficie d’une adaptation par une société de production audio-visuelle. Nous croisons les doigts !

Comment avez-vous vécu la période de financement sur Sandawe ?

C’est assez lourd à gérer, par rapport à ce que l’on peut imaginer pour encourager les édinautes, etc. Peut-être avons-nous voulu trop bien faire… Mais d’autre part, réaliser que toute une communauté se rassemble autour du projet est amusant et entraînant. Cela s’est déroulé sans anicroches ni critiques négatives ou injustifiées et nous avons mesuré que le projet et son thème récoltaient aussi un beau capital de sympathie. De quoi renforcer notre confiance !


Du chantier...

Vous avez choisi d’adopter la ligne claire pour dessiner cet album…

J’essaye de m’approcher du travail de nos glorieux aînés, et je rêve surtout de m’approcher de la qualité de ce qu’ils ont signé. Mais il s’agit d’une technique terriblement exigeante. Quand on détaille le dessin d’Hergé, on mesure que son trait est parfait partout, dans n’importe quelle case, et c’est ce qui lui donne cette puissance graphique incroyable ! Pour dessiner dans ce style, on doit pouvoir choisir la bonne ligne à conserver parmi la multitude de celles qui composent le crayonné, ce qui limite énormément le droit à l’erreur ! On doit, d’une certaine manière, penser différemment chaque dessin et comment l’aborder. De plus, j’ai voulu revenir à la technique classique du papier, du crayon et de la plume, mais j’ai eu beaucoup de plaisir à le faire. J’entends d’ailleurs que de plus en plus de dessinateurs font ce choix.

Vous mettez pour la première fois une héroïne en scène. Cela constituait-il un défi supplémentaire ?

Plus qu’une héroïne, Kathleen est une hôtesse de l’Exposition universelle de 1958. À l’époque, ces jeunes filles étaient soumises à un règlement quasi militaire ! Ainsi, dans l’histoire, Kathleen gifle un autre personnage. Or on nous a fait remarquer que jamais une hôtesse n’aurait pu se permettre cela. Nous avons dû fournir des justifications, insister sur le fait que Sourire 58 est une fiction et glisser une explication dans l’album. Pour créer le personnage, je me suis inspiré d’une série qui m’avait marqué, et dont l’héroïne était une infirmière qui intervenait dans les bas-fonds de Londres. 

Que représente, aujourd’hui, l’Expo 58 ?


   ... à l'Atomium !

Beaucoup de choses pour beaucoup de Belges ! Personnellement je n’imaginais pas que cet événement ait autant marqué les esprits. Mais dès la phase de financement, et plus encore maintenant, alors que nous rencontrons les lecteurs, on réalise que ça a vraiment été très important. En amont, lors de l’étape de la documentation, nous avions pris la (dé)mesure de cette manifestation en rencontrant notamment Jacqueline Moens de Fernig, la fille du baron Georges Moens de Fernig, qui fut le commissaire général de l’exposition universelle. Et puis l’Atomium, vedette de l’Exposition, et qui représente à la fois une molécule cristalline de fer agrandie 165 milliards de fois et les neuf provinces belges est depuis devenu un symbole de la Belgique.

Mais du côté des édinautes et des lecteurs, nous ressentons beaucoup d’enthousiasme et d’émotion. Ils évoquent des souvenirs, des anecdotes, et les plus jeunes sont eux assez étonnés que la « petite » Belgique ait accueilli un événement de pareille envergure. Il est également intéressant de replacer l’Expo 58 dans le contexte général de l’époque. La Seconde Guerre mondiale était encore présente dans bien des esprits, l’Europe se redressait, mais le monde restait divisé entre l’Est et l’Ouest. Et le thème de l’Exposition était un Bilan du monde pour un monde plus humain. Le dossier documentaire qui complète Sourire 58, rédigé par Patrick Weber et Jacqueline Moens de Fernig rend bien compte de tous ces aspects.


La "Belgique joyeuse"... pas pour tout le monde ! (crayonné)

L’événement est encore relativement récent. Vous évoquez la documentation. En trouve-t-on aisément ?

Assez curieusement, non. En menant des recherches sur Internet, on retrouve toujours les mêmes photos, une centaine tout au plus. C’était insuffisant. Nous devions trouver autre chose. Et c’est là que nous avons eu la chance exceptionnelle d’avoir accès aux archives de Mme Moens de Fernig.


C'était le temps où Bruxelles exposait...

Elle a pratiquement participé à tous les événements qui ont jalonné les six mois de durée de l’Exposition. Cela m’a beaucoup aidé à la fois graphiquement, et à réaliser combien l’Expo 58 avait constitué une incroyable vitrine du monde. Ce n’était pas simple à dessiner, mais je me suis complètement immergé dans cet univers et pendant un an et demi j’ai eu l’impression de me promener dans les allées de l’Exposition. Mais rassurez-vous, depuis la sortie de l’album, je revis en 2018 !

Continental Circus, Rider on the storm…  Sourire 58 vous a amené à mettre votre passion pour la moto entre parenthèses…

J’ai quand même pu dessiner quelques motos dans l’album ! Oui, c’est vrai, mais je pense avoir pu réaliser ce que je voulais sur Rider… donc ce n’était pas un problème. Et je n’y reviendrai vraisemblablement pas sur le prochain album puisque, si tout va bien, nous aimerions continuer l’histoire de Kathleen en l’inscrivant dans l’histoire de Belgique. On évoque brièvement pour elle un poste d’hôtesse de l’air à la Sabena (alors compagnie aérienne nationale belge n.d.l.r) à la fin de l’album et nous aimerions poursuivre dans cette voie, avec l’indépendance du Congo, etc. Il s’agit simplement, actuellement, d’une idée, mais l’accueil encourageant de Sourire 58 nous procure une certaine confiance…

Galerie Champaka : 27, rue Ernest Allard  B-1000 Bruxelles
Tel : + 32 2 514 91 52  / Fax : + 32 2 346 16 09 / sablon@galeriechampaka.com 
Horaires : jeudi à vendredi : 13h30 à 18h30 - Samedi : 11h30 à 18h00

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Pierre Burssens
18/04/2018