Justine des Dieux, le troisième et dernier album
de Vauriens vient de paraître. Pourriez-vous résumer
la trame de cette série en quelques mots ? C'est l'histoire
d'un jeune adolescent orphelin. Pop est la vedette d'un spectacle ambulant. Il
y est lanceur de couteaux. Un jour, l'adolescent a la mauvaise idée de
quitter la scène avec l'envie de devenir un personnage héroïque
Il va aller de déboire en déboire
Vauriens est l'une
de vos premières séries. Comment est née votre collaboration
avec Laurent Cagniat ? A l'époque, Laurent Cagniat venait
de sortir des Beaux Arts de Reims. Il avait présenté un projet à
Guy Delcourt. Ce dernier avait trouvé le scénario certes
intéressant, mais quelque peu maladroit. Pour ma part, je venais de commencer
ma collaboration avec Laurent Hirn autour du Pouvoir des Innocents.
Celui-ci s'était mis entièrement à mon service pour dessiner
ce récit. Je souhaitais travailler de manière inverse : me nourrir,
explorer et étoffer les idées de quelqu'un d'autre. J'ai partagé
ce souhait avec mon éditeur, qui m'a envoyé rapidement le synopsis
de Laurent Cagniat. Il s'agissait d'un récit historique, agrémentée
de quelques éléments fantastiques. Nous en avons discuté
et avons conservé les grandes lignes telles que le pouvoir des deux statuettes
(la Tourmente et la Clémence). J'ai donc modifié la trame du récit
à ma sauce en l'extrapolant dans un monde proche de l'héroïc-fantasy. Pourquoi
n'avez-vous pas souhaité conserver le genre originel ? Cela
me permettait d'inclure plus facilement des séquences oniriques et, surtout,
d'approfondir la psychologie des personnages. Pop est séparé de
sa dulcinée. Tous les soirs, et ce pendant une dizaine d'année,
il rêve d'elle. Ces visions nocturnes me permettaient de montrer l'amour
obsessionnel que porte Pop à Justine
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On pourrait rapprocher cette manière de créer,
d'un simple travail de commande. N'est-ce pas frustrant de ne pas développer
ses propres idées ? Vauriens fait quand même partie
de mon univers. J'y ai injecté beaucoup de moi-même. Si vous analysez
mon travail, vous vous rendrez compte que la majorité de mes histoires
gravitent autour d'un même thème : l'individualité au milieu
de la collectivité. Qu'est ce qu'une personne peut apporter à la
collectivité ? Peut-il la transformer ou en est-il victime ? A t'il éventuellement
les outils pour la faire bouger ? Vauriens est dans la même lignée.
Le lecteur s'en apercevra en lisant le troisième album. Votre
univers semble plus proche du contemporain que du fantastique
Disons
que mes récits contemporains ont été plus remarqués
que ceux empreints d'éléments fantastiques. C'est pour cela que
beaucoup de lecteurs ont cette impression. Il est certain que j'ai un amour particulier
pour la série noire, car ce genre me permet d'aborder des thèmes
intéressants : une histoire axée dans un climat social, tout en
développant la psychologie des personnages. Pop, le principal
personnage de Vauriens, est un anti-héros. Il n'est pas très
dégourdi et fait beaucoup de gaffes
Exactement. Il s'inscrit
dans la droite ligne des personnages que j'aime créer. Il ne sait pas très
bien ce qu'il a envie de faire. Au fil du temps, il va réussir à
devenir l'homme qu'il aimerait être. Parallèlement à cela,
il prend conscience qu'il n'est pas qu'une individualité égarée,
qu'il est aussi quelqu'un qui est en relation avec d'autres
Il
a également un côté fragile : l'influence de son bras blessé,
son moral, son histoire d'amour impossible
Ce sont des préoccupations
très adolescentes. A cet âge, on est à la recherche de soi-même.
On devine ses capacités, mais on a du mal à les développer.
Il ne sait pas comment mener sa vie à bien
L'ambiance
de cette série est fort sombre
Ma façon d'aborder
l'héroïc-fantasy déroutait Guy Delcourt. Il n'arrivait pas
à classer Vauriens dans son catalogue et à trouver des correspondances
avec d'autres séries. J'étais tout sourire lorsqu'il m'a annoncé
çà. Je le prenais comme un compliment ! Mais au niveau commercial,
c'était plutôt la nouvelle pourrie car les représentants ne
savaient pas comment la vendre (rires).
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Vauriens est un récit totalement éloigné
de La Quête de l'Oiseau du Temps, la référence dans
le domaine
Exactement ! Chez Dupuis, il y a une vraie interaction
entre les commerciaux et les services artistiques. Sébastien Gnaedig
était très enthousiaste sur Makabi et a vanté la qualité
de la série aux vendeurs. Suite aux réactions des libraires, ces
derniers ont même réclamé des moyens supplémentaires
pour mieux pousser la série
A contrario, Guy Delcourt est diffusé
en France par Flammarion. Les commerciaux de cette société n'ont
aucune affinité avec la bande dessinée. L'éditeur est donc
obligé de leur dire que Le Pouvoir des Innocents s'apparente à
XIII. Comme Vauriens ne ressemble à aucune autre série,
les deux premiers albums ont été très mal défendus
(rires). Le dessin de Cagniat est devenu plus réaliste
dans ce troisième album
Il a surtout trouvé son
style. N'oubliez pas que les deux premiers Vauriens sont ses tous premiers
albums. Il lui a fallu en réaliser les planches en n'hésitant pas
à s'inspirer de certains auteurs (Plessix, Juillard, Loisel
).
Laurent ne voulait plus de cela. Il souhaitait trouver son propre style graphique
et s'est cherché pendant de très long mois. Cela explique son retard
sur le troisième tome. Aujourd'hui, il est heureux d'avoir trouvé
sa voie et progresse encore vers un style plus narratif. D'une manière
générale, Laurent Cagniat intervient-il dans l'écriture du
scénario ? Pas tellement. A partir du moment où il a
décidé de me faire confiance, il s'est effacé. J'ai également
beaucoup de chance avec Olivier Neuray sur la série Makabi.
Je lui ai expliqué les caractéristiques du personnage de Lloyd Singer
en lui demandant de ne pas s'intéresser au reste. Je ne voulais pas lui
raconter l'histoire, car il risquait de la trouver d'un classicisme désarmant.
Or, c'est l'injection du personnage dans ce type de thriller, qui en constitue
toute l'originalité
Il m'a fait confiance sur le premier album. Et
du coup, j'ai carte blanche.
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Vous avez eu la chance d'avoir quelques albums qui ont rencontré
leur public et que les critiques ont encouragés
Oui.
Mais j'ai eu un démarrage assez lent car il a fallu que j'installe une
réelle confiance ente le public et moi. J'ai sorti mon premier album il
y a dix ans
j'ai dû en signer une quinzaine depuis (rires).
Je n'ai donc pas un rythme de production effréné. C'est
vrai que par rapport à des scénaristes comme Cothias, ou même
Chauvel
Je me souviens d'une intervention sur le forum du site
BD Paradisio qui m'avait fait beaucoup rire. Quelqu'un y a dit que je pouvais
me permettre de peaufiner mes albums puisque je n'avais publié que quinze
albums en dix ans. Un type lui a répondu : "Vu sous cette angle,
l'écrivain de SAS est un génie, alors que Stendhal est un sinistre
crétin ! " (rires).
Vous travaillez au
plus prêt de vos dessinateurs, au sens que vous n'avez pas plus de deux
ou trois pages d'avance par rapport à eux
Oui. Le Pouvoir
des Innocents a été réalisé sur douze ans et a
été écrit de cette manière ! Si vous lisez la série
d'une traite, vous n'aurez pas l'impression que l'énergie créatrice
a été morcelée. Pour Vauriens, Laurent Cagniat a terminé
la dernière planche en juin 2002, et moi le découpage un an auparavant.
Mais malgré cela, je reste dans le coup, car nous nous téléphonons
souvent. Vous n'avez pas envie de réaliser vos albums d'une traite,
à l'instar de Van Hamme, par exemple ? En août, j'ai terminé
les dernières planches de L'Esprit de Warren. Il m'en restait 27
à faire. Stéphane Servain souhaitait les recevoir d'une seule
traite. Il appréciait la manière de travailler de Serge Le Tendre
sur Siloé. Je n'oblige pas les dessinateurs à travailler
de la sorte. Mais en règle générale, ils l'apprécient
car elle est beaucoup plus énergique. Le dessinateur sera beaucoup plus
en éveil, car il conserve un esprit de découverte par rapport au
récit
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