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Luc Brunschwig (photo (c) AFP)

Le scénariste du Pouvoir des Innocents vient de publier le dernier volume de Vauriens, une trilogie se déroulant dans un univers Héroïc Fantasy très personnel. Luc Brunschwig revient, pour Auracan.com, sur la genèse de cette série et nous évoque son actualité.

Extrait du Tome 3 de Vauriens

Justine des Dieux, le troisième et dernier album de Vauriens vient de paraître. Pourriez-vous résumer la trame de cette série en quelques mots ?
C'est l'histoire d'un jeune adolescent orphelin. Pop est la vedette d'un spectacle ambulant. Il y est lanceur de couteaux. Un jour, l'adolescent a la mauvaise idée de quitter la scène avec l'envie de devenir un personnage héroïque… Il va aller de déboire en déboire…

Vauriens est l'une de vos premières séries. Comment est née votre collaboration avec Laurent Cagniat ?
A l'époque, Laurent Cagniat venait de sortir des Beaux Arts de Reims. Il avait présenté un projet à Guy Delcourt. Ce dernier avait trouvé le scénario certes intéressant, mais quelque peu maladroit. Pour ma part, je venais de commencer ma collaboration avec Laurent Hirn autour du Pouvoir des Innocents. Celui-ci s'était mis entièrement à mon service pour dessiner ce récit. Je souhaitais travailler de manière inverse : me nourrir, explorer et étoffer les idées de quelqu'un d'autre. J'ai partagé ce souhait avec mon éditeur, qui m'a envoyé rapidement le synopsis de Laurent Cagniat. Il s'agissait d'un récit historique, agrémentée de quelques éléments fantastiques. Nous en avons discuté et avons conservé les grandes lignes telles que le pouvoir des deux statuettes (la Tourmente et la Clémence). J'ai donc modifié la trame du récit à ma sauce en l'extrapolant dans un monde proche de l'héroïc-fantasy.

Pourquoi n'avez-vous pas souhaité conserver le genre originel ?
Cela me permettait d'inclure plus facilement des séquences oniriques et, surtout, d'approfondir la psychologie des personnages. Pop est séparé de sa dulcinée. Tous les soirs, et ce pendant une dizaine d'année, il rêve d'elle. Ces visions nocturnes me permettaient de montrer l'amour obsessionnel que porte Pop à Justine…

Extrait du Tome 3 de Vauriens

On pourrait rapprocher cette manière de créer, d'un simple travail de commande. N'est-ce pas frustrant de ne pas développer ses propres idées ?
Vauriens fait quand même partie de mon univers. J'y ai injecté beaucoup de moi-même. Si vous analysez mon travail, vous vous rendrez compte que la majorité de mes histoires gravitent autour d'un même thème : l'individualité au milieu de la collectivité. Qu'est ce qu'une personne peut apporter à la collectivité ? Peut-il la transformer ou en est-il victime ? A t'il éventuellement les outils pour la faire bouger ? Vauriens est dans la même lignée. Le lecteur s'en apercevra en lisant le troisième album.

Votre univers semble plus proche du contemporain que du fantastique…
Disons que mes récits contemporains ont été plus remarqués que ceux empreints d'éléments fantastiques. C'est pour cela que beaucoup de lecteurs ont cette impression. Il est certain que j'ai un amour particulier pour la série noire, car ce genre me permet d'aborder des thèmes intéressants : une histoire axée dans un climat social, tout en développant la psychologie des personnages.

Pop, le principal personnage de Vauriens, est un anti-héros. Il n'est pas très dégourdi et fait beaucoup de gaffes…
Exactement. Il s'inscrit dans la droite ligne des personnages que j'aime créer. Il ne sait pas très bien ce qu'il a envie de faire. Au fil du temps, il va réussir à devenir l'homme qu'il aimerait être. Parallèlement à cela, il prend conscience qu'il n'est pas qu'une individualité égarée, qu'il est aussi quelqu'un qui est en relation avec d'autres…

Il a également un côté fragile : l'influence de son bras blessé, son moral, son histoire d'amour impossible…
Ce sont des préoccupations très adolescentes. A cet âge, on est à la recherche de soi-même. On devine ses capacités, mais on a du mal à les développer. Il ne sait pas comment mener sa vie à bien …

L'ambiance de cette série est fort sombre…
Ma façon d'aborder l'héroïc-fantasy déroutait Guy Delcourt. Il n'arrivait pas à classer Vauriens dans son catalogue et à trouver des correspondances avec d'autres séries. J'étais tout sourire lorsqu'il m'a annoncé çà. Je le prenais comme un compliment ! Mais au niveau commercial, c'était plutôt la nouvelle pourrie car les représentants ne savaient pas comment la vendre (rires).

Extrait du Tome 3 de Vauriens

Vauriens est un récit totalement éloigné de La Quête de l'Oiseau du Temps, la référence dans le domaine…
Exactement ! Chez Dupuis, il y a une vraie interaction entre les commerciaux et les services artistiques. Sébastien Gnaedig était très enthousiaste sur Makabi et a vanté la qualité de la série aux vendeurs. Suite aux réactions des libraires, ces derniers ont même réclamé des moyens supplémentaires pour mieux pousser la série… A contrario, Guy Delcourt est diffusé en France par Flammarion. Les commerciaux de cette société n'ont aucune affinité avec la bande dessinée. L'éditeur est donc obligé de leur dire que Le Pouvoir des Innocents s'apparente à XIII. Comme Vauriens ne ressemble à aucune autre série, les deux premiers albums ont été très mal défendus (rires).

Le dessin de Cagniat est devenu plus réaliste dans ce troisième album …
Il a surtout trouvé son style. N'oubliez pas que les deux premiers Vauriens sont ses tous premiers albums. Il lui a fallu en réaliser les planches en n'hésitant pas à s'inspirer de certains auteurs (Plessix, Juillard, Loisel…). Laurent ne voulait plus de cela. Il souhaitait trouver son propre style graphique et s'est cherché pendant de très long mois. Cela explique son retard sur le troisième tome. Aujourd'hui, il est heureux d'avoir trouvé sa voie et progresse encore vers un style plus narratif.

D'une manière générale, Laurent Cagniat intervient-il dans l'écriture du scénario ?
Pas tellement. A partir du moment où il a décidé de me faire confiance, il s'est effacé. J'ai également beaucoup de chance avec Olivier Neuray sur la série Makabi. Je lui ai expliqué les caractéristiques du personnage de Lloyd Singer en lui demandant de ne pas s'intéresser au reste. Je ne voulais pas lui raconter l'histoire, car il risquait de la trouver d'un classicisme désarmant. Or, c'est l'injection du personnage dans ce type de thriller, qui en constitue toute l'originalité… Il m'a fait confiance sur le premier album. Et du coup, j'ai carte blanche.

Extrait du Tome 3 de Vauriens

Vous avez eu la chance d'avoir quelques albums qui ont rencontré leur public et que les critiques ont encouragés…
Oui. Mais j'ai eu un démarrage assez lent car il a fallu que j'installe une réelle confiance ente le public et moi. J'ai sorti mon premier album il y a dix ans… j'ai dû en signer une quinzaine depuis (rires). Je n'ai donc pas un rythme de production effréné.

C'est vrai que par rapport à des scénaristes comme Cothias, ou même Chauvel …
Je me souviens d'une intervention sur le forum du site BD Paradisio qui m'avait fait beaucoup rire. Quelqu'un y a dit que je pouvais me permettre de peaufiner mes albums puisque je n'avais publié que quinze albums en dix ans. Un type lui a répondu : "Vu sous cette angle, l'écrivain de SAS est un génie, alors que Stendhal est un sinistre crétin ! " (rires).

Vous travaillez au plus prêt de vos dessinateurs, au sens que vous n'avez pas plus de deux ou trois pages d'avance par rapport à eux…
Oui. Le Pouvoir des Innocents a été réalisé sur douze ans et a été écrit de cette manière ! Si vous lisez la série d'une traite, vous n'aurez pas l'impression que l'énergie créatrice a été morcelée. Pour Vauriens, Laurent Cagniat a terminé la dernière planche en juin 2002, et moi le découpage un an auparavant. Mais malgré cela, je reste dans le coup, car nous nous téléphonons souvent.

Vous n'avez pas envie de réaliser vos albums d'une traite, à l'instar de Van Hamme, par exemple ?
En août, j'ai terminé les dernières planches de L'Esprit de Warren. Il m'en restait 27 à faire. Stéphane Servain souhaitait les recevoir d'une seule traite. Il appréciait la manière de travailler de Serge Le Tendre sur Siloé. Je n'oblige pas les dessinateurs à travailler de la sorte. Mais en règle générale, ils l'apprécient car elle est beaucoup plus énergique. Le dessinateur sera beaucoup plus en éveil, car il conserve un esprit de découverte par rapport au récit…

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