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Depuis maintenant vingt ans, le dessinateur
Christian Gine et le scénariste-dessinateur Didier
Convard imaginent ensemble des histoires de grande qualité.
Après avoir fait leurs premières armes sur un polar, Mathieu
Lamy, ils donnent naissance à Neige, une grande
saga qui rencontre vite le succès. Dans les années '90,
ils créent Finkel, série futuriste où se retrouve
leur goût pour les valeurs humanistes. Maître d'ouvre du
Triangle Secret, Convard confie logiquement une partie
de son graphisme à son ami Gine qui prépare aujourd'hui
un diptyque onirique destiné à la collection Loge Noire.
Débordant d'activités, Convard nous présente le projet de
film adapté de Neige, et revient sur sa collaboration
au dernier Blake et Mortimer.
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Vous avez commencé
à travailler ensemble avec un polar, Mathieu
Lamy, en 1982.
Christian
Gine : Nous avons réalisé
deux albums, et puis nous avons arrêté parce que ça n'avait pas
les qualités requises. Je crois que cette série avait une ambiance
trop belge, c'est dommage. et, surtout, je n'étais pas au point
au niveau du dessin.
On ne pourrait pas
imaginer une reprise aujourd'hui, vingt ans plus tard ?
Christian Gine
: Non, absolument pas, et de toutes façons, je n'en aurais pas
le temps. Je préfère me consacrer à de nouveaux projets. Et quitte
à reprendre un personnage, j'ai plutôt envie de faire un Sabre.
Passons à votre grande
série à tous les deux, Neige.
Le onzième tome est sorti en 2000. On remarque un changement de
cap dans cette saga : de l'espoir initial, de l'optimisme des
débuts, votre discours est aujourd'hui plus sombre, défaitiste.
Christian Gine : C'est
la vie ! Prenons l'exemple de l'actualité : il y a quelques mois,
il y avait un grand espoir de paix au Proche-Orient, mais les
aléas des uns et des autres ont tout remis en question. C'est
similaire dans Neige, il y avait de grands espoirs, mais
il existe toujours un petit détail pour empêcher leurs concrétisations.
Mais c'est aussi cet aspect qui fait la série.
La série a quinze ans, et vous avez
vieilli avec elle. Les illusions que vous aviez à trente ans ont
disparu.
Didier Convard
: Neige a vieilli en même
temps que nous. Tout comme nous, il a vécu les rêves brisés, les
désillusions, les espoirs non aboutis. Nous étions partis sur
une très longue saga, le personnage se devait d'évoluer psychologiquement,
ainsi que ceux gravitant autour de lui. Pour cette raison, nous
avons débuté la série comme une histoire pour jeunes. Les lecteurs
grandissent et vieillissent avec Neige.
Christian Gine
: C'est normal, le temps nous a patinés, nous a fait prendre
conscience de certaines choses, et on ne réagit pas aujourd'hui
devant un scénario comme il y a vingt ans. Par exemple, si je
reprenais ma série Sabre, c'est certain que je la dessinerais
et la destinerais d'une manière tout à fait autre.
Quel est l'avenir
de Neige ?
Christian Gine :
Le douzième tome verra la fin de la saga telle qu'elle est conçue
en plusieurs cycles. Au début, il était question de livrer des
clefs au lecteur pour qu'il construise son propre univers. A présent
que les clefs sont données, nous allons continuer par des albums
indépendants, autonomes. Neige devient le vecteur essentiel de
l'histoire, puisque Northman disparaît, il faut désormais changer
de cap pour raconter d'autres cheminements.
Didier Convard :
Le tome 11 se conclut avec le prochain où la résolution finale
et définitive de Neige est donnée. A partir du tome 13, nous allons
faire des one-shots, ou des doubles qui se focaliseront sur un
personnage, sur une situation, sur des points peu développés.
On pourrait avoir
des retours en arrière ?
Didier Convard :
Tout à fait. Par exemple, dans L'Aube rouge, lorsque les
trois agents extérieurs entrent en Europe, ça ne fait que l'objet
de deux cases, mais c'est une histoire complète. J'avais pensé
à cela en imaginant la possibilité de réaliser des sagas parallèles,
mais nous n'aurons malheureusement pas le temps physique de le
faire. C'était la quête de plusieurs personnages, et non pas seulement
de Neige. J'ai passé certains événements sous silence, j'ai fait
des ellipses, mais qui peuvent être source d'autres d'histoires.
Vous
avez déjà déclaré avoir chacun de votre côté, cette envie d'une
série post-atomique, se déroulant dans une Europe dévastée.
Christian Gine :
J'avais alors l'envie de construire une histoire bâtie autour
d'un personnage à la recherche de son identité, de celle de ses
parents. Ce personnage possédait une vieille photo, et partait
à la recherche de sa propre identité. Sur ce thème-là, Didier
a plaqué un thème bien différent, bien mieux construit que je
ne l'aurais fait, bien plus abouti. Souhaitant tous les deux continuer
à travailler ensemble, suite à notre collaboration sur Mathieu
Lamy, cela a donné naissance à Neige.
Christian Gine, saviez-vous
sur quels chemins Convard vous amenait avec Neige
? Vers cette dimension humaniste nourrie de ses réflexions maçonniques
?.
Christian Gine : Pour les trois premiers
albums, j'ignorais totalement son appartenance à cette société.
Je dessinais la série au premier degré. Mais m'intéressant beaucoup
à l'ésotérisme, je me suis rendu compte peu à peu qu'il s'y trouvait
des éléments assez curieux, qui concordaient sur ce thème bien
précis. Je ne pouvais pas lui demander directement quelles étaient
ses sources, nous ne nous connaissions pas encore aussi bien.
L'amitié se développant, j'ai osé lui poser la question au quatrième
tome, et à partir de là, ma vision de la destinée de Neige a changé.
Le quatrième tome
correspond au changement d'éditeur : Neige
est passé du Lombard à Glénat où la série est devenue plus adulte.
Christian Gine : En
effet, c'était notre volonté. Lorsque nous avons créé Neige,
les Editions du Lombard nous avaient informés qu'un journal plus
adulte devait voir le jour, un journal dans lequel serait passé
notre série. Il se trouve que nous avons malheureusement "brûlé"
la politesse, sans le savoir, à Denayer et Franz qui avaient déjà
réalisé le premier Gord, cette série post-atomique également
destinée à ce projet de journal. Neige s'est imposé, ce
que nous regrettons beaucoup pour notre ami Denayer.
Pouvez-vous nous
parler du projet d'adaptation cinématographique de Neige ?
Didier Convard : Les
droits ont été acheté par une grande maison de production, les
Productions Nord-Ouest de Christophe Rossignon, le producteur
de Mathieu Kassowitt. On m'a demandé de participer à l'écriture
du scénario. Les personnages principaux apparaissent : Neige,
ses parents, Northman, les Douze, Cueille-la-Mort, Miséricorde,
mais nous ne voulons pas tomber dans le piège traditionnel des
adaptations cinématographiques de bandes dessinées, qui ne sont
souvent que des succédanés. On écrit une histoire originale, où
l'on retrouve la quête, les clefs, le secret, la trahison, l'amour,
tout ce qui fait Neige. Mais le film traitera d'un récit
à part, qui est presque la synthèse de l'histoire de la série.
Dans un premier temps, j'écris le scénario avec un co-auteur qui
est un technicien du film, puis un comité d'étude donne son avis,
et après, Christian intervient pour l'aspect esthétique. C'est
une très grosse production, nécessitant au moins cinq années.

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