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Finkel (ex-libris)

En 1994, vous publiez ensemble une nouvelle série, Finkel. On y retrouve un discours humaniste, mais c'est plus aventureux, moins dur.
Christian Gine - C'est beaucoup moins philosophique. C'est une série d'aventures, dont la réflexion philosophique est peut-être moins pointue que dans Neige.
Didier Convard - C'est un personnage que nous apprécions beaucoup, Christian et moi. Je crois qu'il développe un monde structuré et cohérent, où tout est réinventé, que ça soit la philosophie, la religion, le commerce.

Il existe une sorte de brouillon à Finkel : quelques années auparavant, vous aviez débuté pour les défuntes Editions Blanco, Last.
Christian Gine - C'est un brouillon, il n'est pas loin d'être raté, à cause de plusieurs raisons. Guy Leblanc, le créateur de Blanco, quittait la maison du Lombard et avait besoin d'étoffer son catalogue. Il avait récupéré du matériel non publié du Lombard, et il avait contacté certains auteurs. Franz a ainsi réalisé Brougue, et moi-même, étant également sollicité, j'ai proposé Didier Convard comme scénariste. Nous n'avons pas eu le temps de développer cette histoire puisque très limités par les délais : Didier a eu une semaine pour créer le scénario, j'ai eu quinze jours pour poser les premiers personnages. En revanche, quelques années après, quand Delcourt nous a proposé de rejoindre son écurie, nous avons repris le thème de Last en redéfinissant les personnages. Ce fut un bon entraînement, nous avons ainsi cerné les erreurs, tant scénaristiques que graphiques.

Capitaine SabreChristian Gine, pour Finkel, vous avez créé un univers totalement inédit et complet.
Christian Gine - J'ai recréé des types de bateaux, des architectures. Pour les constructions, je ne souhaitais commettre l'erreur de Last où je m'inspirais d'architectures hindoues. Un jour, un ami qui regardait mes planches, a trouvé que mes recherches de décors étaient apparentées au travail de l'architecte espagnol Gaudi et de son assistant Julol. J'ai ainsi découvert Gaudi, et aujourd'hui encore, sans me servir de l'ensemble, je lui emprunte des détails, certaines formes pour fabriquer mon propre univers. C'est vraiment un extraordinaire créateur qui a su, à Barcelone, imposer une architecture novatrice.

On retrouve aussi les décors méditerranéens qui ont bercé votre jeunesse.
Christian Gine - J'ai créé Sabre parce que je suis natif de la Méditerranée, je suis né en Algérie. Tout jeune, à Oran, j'ai été bercé par les allers et venus des bateaux. Finkel est un univers très proche de l'eau, sur une terre avec des proportions d'océans très importantes, ce qui rejoint évidemment ma propre sensibilité.

Le premier cycle de Finkel compte cinq volumes. Vous êtes en train de terminer le sixième, Esta. Il inaugure un cycle plus court ?
Christian Gine - Nous faisons la même chose qu'avec Neige. Les premiers ont construit l'univers de Finkel, et à partir de maintenant, nous commençons à donner des informations sur le dessous des cartes, les secrets des personnages. Par exemple, on sait qu'Esta est la fille de Bérith. évidemment !
Didier Convard - Esta est le premier titre d'un cycle en deux tomes. Pour cette série, j'ai envie de faire des histoires en deux albums, ça permet de développer de grandes histoires sans trop d'éterniser.

Finkel T6: Esta (crayonné pl 23)

Pourquoi être allé chez Delcourt, et pas chez des éditeurs plus puissants, pouvant vous offrir plus de promotion ?
Christian Gine - Je fais un métier qui n'est pas conventionnel. Il s'agit d'une profession qui permet de faire des essais, d'évoluer, de tenter de nous améliorer. On a choisit cette maison parce qu'elle porte un autre regard sur la bande dessinée, que ses auteurs sont très jeunes. C'est une source de regards, de sang neuf. J'ai débuté Neige au Lombard, une maison fort classique, et mes dessins s'en ressentaient aussi. Il m'a semblé judicieux d'aller chez Delcourt où il n'est pas question de grand auteur, de petit auteur, mais de création.

Mais, vous-même, n'avez-vous pas l'impression que votre trait, vos recherches nourrissent le dessin de jeunes auteurs ? On peut penser au travail d'Isabelle Dethan.
Christian Gine - Je suis ravi que vous le trouviez ! De toute façon, nous faisons un métier très riche, ils se nourrissent peut-être de ce que je fais, mais pour être honnête, je me nourris de ce qu'ils font. Nous le faisons tous, celui qui dit le contraire est un menteur. Je trouve dommage que certains auteurs restent avec leurs acquis, et n'en changent pas. Notre profession permet cela, alors faisons-le ! Nous avons la chance de pouvoir apprendre à tout âge, de dessiner jusqu'à la fin. C'est inquiétant un dessinateur qui prend sa retraite.

Le Triangle Secret (étude de Mosèle) par FalqueL'année 2000 a vu la parution des deux premiers tomes du Triangle Secret, votre grand ouvre, Didier Convard. Par rapport au thème général, c'est une vieille envie ?
Didier Convard -
A l'origine, il s'agit d'un roman que j'ai écrit il y a dix ans. Un jour, discutant avec Jacques Glénat, je lui ai résumé cette histoire. Passionné par ce que je lui raconte, il me dit vouloir l'éditer, et me propose de l'adapter en bande dessinée en me laissant carte libre. Du fait de la construction même de mon histoire, avec ces nombreux flash-back, tout en évoquant des amis comme Juillard, Jusseaume, Kraehn, l'idée de confier le dessin à plusieurs dessinateurs est arrivée. C'est ainsi que différents dessinateurs se sont vus attribuer une partie.

Un choix qui paraît plus étonnant, c'est celui de Denis Falque.
Didier Convard - Il a été choisi par Henri Filippini, le directeur de collection. Son choix a été excellent. Denis a mis un certain temps à avoir une ligne de dessin réaliste, mais il a compris qu'il fallait un dessin permettant de faire la liaison avec tous les autres. Son travail a été de trouver un style très clair, très réaliste, très détaillé et très simple. On s'en rend compte auprès des lecteurs, il n'y a pas d'interférences entre son style et celui des autres. Il n'arrête pas de progresser.

Comment réagissez-vous quand on vous dit que Denis Falque dessine vite, peut-être trop ?
Didier Convard - Oui, mais c'est son style. Il fait partie de cette race de dessinateurs qui travaillent vite. En un premier temps, il fait tout l'album en rough, en crobards, très rapidement. J'étais étonné de voir la qualité de ces croquis où il y a beaucoup d'à-plats noirs. Je lui ai conseillé de mettre ces noirs sur ses planches. Il est en train de se trouver un style, et il en est conscient : il met de plus en plus de temps à dessiner.

L'unité entre les différents dessinateurs vient de la couleur, du lettrage.
Didier Convard - De la mise en scène aussi. Mon fils Paul fait les couleurs à l'informatique, mais en les traitant comme s'il les réalisait à la gouache.

Le Traingle Secret T1 (extrait de la pl 1) par GineVous confiez à Gine les parties dites christiques, celles où évoluent le Christ et son jumeau, alors que vous pensiez lui donner la partie contemporaine que dessine finalement Denis Falque.
Christian Gine - J'ai réalisé une quinzaine de planches, mais les exigences éditoriales de Jacques Glénat étaient vraiment difficiles à suivre. Je ne pouvais pas travailler sereinement sur cela, en plus de mes autres séries. Je n'ai pas le temps de collaborer plus au Triangle, puisqu'en deux volumes sortent par an. Au début, Didier devait dessiner la partie christique, mais il s'est senti rapidement dépasser par les écritures, et il a alors pensé me confier la partie christique et la partie contemporaine. Malheureusement, je n'en ai pas le temps.

Dans le premier tome, vous ouvrez et fermez le récit, dans le second, vous clôturez l'album, et ensuite ?
Christian Gine - A partir du prochain, j'aurais deux planches finales dans chaque album, et ce n'est que pour les sixième et dernier que Didier me confie beaucoup plus de planches. L'aspect ésotérique de la Bible m'intéresse énormément, c'est un plaisir pour moi de dessiner la partie christique.

Du fait de votre collaboration à cette série touchant à la franc-maçonnerie, on pourrait se demander si vous mener le même combat que Didier Convard ?
Christian Gine -
Quelque part, j'approuve le discours de Didier, même si je ne suis pas franc-maçon. Parmi l'équipe du Triangle, je dois être celui à qui Didier a confié le plus d'éléments. Son amitié m'a permis d'avoir des cartes supplémentaires me permettant de réaliser Neige avec le maximum d'efficacité. Comme dit Didier, je suis un maçon sans tablier !

Le Triangle Secret T2 (Falque)Ce partage vous suffit-il ? Vous ne voulez pas passer de l'autre côté, puisque finalement, en mettant en images les textes de Convard, vous servez le discours maçonnique.
Christian Gine - Je n'aime pas être gêné par quelque ordre que se soit. Mais je me documente, j'ai de nombreux livres sur le sujet. J'adhère à certains aspects, pas à tous. Il s'agit d'une société qui ne me dérange pas, mais je ne veux pas être cerné. Je préfère conserver ma liberté de jugement.

Didier Convard, si je vous dis simple fiction, diatribe anti-Catholiques ou ouvre maçonnique, que me répondez-vous ?
Didier Convard - Ouvre maçonnique, bien sur. On attaque l'histoire d'une manière extrêmement manichéenne : le pape est un vieux gâteux, les criminels sont les Gardiens du Sang. mais on va vite se rendre compte que ce n'est pas aussi simple que cela. Il y a des ramifications, il y a une troisième branche en plus de celle du Vatican et celle des Maçons. Qui la manipule ? Cette troisième branche est à l'origine de toute l'histoire. Plus les albums avancent, plus on se rend compte que tous cherchent à préserver un secret, leur vérité. Il serait peut-être bon qu'ils associent leur vérité pour travailler à ces valeurs de l'humanisme, de fraternité.

Quelles ont été les retombées du Triangle Secret ? Certains serviteurs de l'obscurantisme ont dû vous tomber dessus ?
Didier Convard - J'ai été agréablement surpris. Avec mon éditeur, on s'attendait à recevoir quelques volées de bois vert, ce qui n'a pas été le cas. On a eu d'excellentes critiques, hormis des papiers extrêmement violents venant de l'extrême droite.

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