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Didier Convard, du
fait du succès du Triangle Secret, Jacques Glénat vous confie
la direction d'une nouvelle collection, Loge Noire. Comment la
définiriez-vous ?
Didier Convard -
La collection Loge Noire explore une voie rarement exploitée en
bande dessinée : celle de l'ésotérisme. Quelques-uns uns pensent
que c'est fantastique, d'autres que c'est philosophique, magique,
alchimique. Il y a cette voie ésotérique, ce qui est caché, ce
pourquoi on a besoin d'une clef, d'un langage, d'un chemin. Elle
s'interdit néanmoins l'héroïc-fantasy.
Pour
ce qui est des auteurs annoncés, Gilles
Chaillet nous a présenté sa Dernière
Prophétie. On pense aussi à vous, Christian Gine, y avez-vous
un projet ?
Christian Gine -
J'avais un projet personnel qui n'était pas destiné à Glénat,
parce que cet éditeur n'avait alors pas un département permettant
de le placer. Cette collection apparaissant, ce projet va pouvoir
se réaliser. Je vais m'occuper du scénario et du dessin. Il s'agit
d'une histoire en deux tomes, très onirique, une réflexion personnelle
sur le mythe orphique et le mythe de Prométhée. Mais ça ne se
passe pas dans l'Antiquité grecque. La Grande Ombre est une interprétation
très libre de cette mini société olympienne, avec des personnages
évoluant dans un monde de l'au-delà, dans un monde du rêve.
Quels autres auteurs
cette collection va-t-elle accueillir ?
Didier Convard - Joëlle
Savey écrit une histoire en trois tomes pour Pierre Wachs. Il
s'agit de Poème Rouge, un récit autour de l'alchimie, une
grande histoire d'amour, très sensible, qui courre à travers les
siècles, vue par les yeux d'une femme. Il y aussi un projet de
Max Cabanes, et de deux jeunes auteurs Hervé Tanquerelle et Hubert
Boulard. Ils ont imaginé une histoire fantastique, d'une très
grande originalité. Au sein de cette collection, j'essaie de faire
cohabiter des auteurs mûrs, plus âgés, avec de jeunes auteurs
afin de les faire découvrir. Ceci pour que les auteurs locomotives,
comme Chaillet et Gine, profitent aussi aux autres. En ce qui
concerne Gilles Chaillet, sa venue chez Glénat est un véritable
événement. C'est un très grand auteur, qui n'a pas été reconnu
par l'intelligentsia.
Et vous-même, pas
de projets ?
Didier Convard -
Non, je me l'interdis. Jacques Glénat et Henri Filippini m'ont
demandé d'écrire des scénarios, je m'y refuse pour l'instant.
Je le ferai après, quand la collection sera bien avancée. Je ne
souhaite pas qu'il y ait confusion des genres.
Passons maintenant
à vos travaux personnels, à vos autres collaborations. Christian
Gine, vous avez évoqué plus haut Sabre,
un personnage de marin baroudeur que vous aviez créé dans les
pages du journal Tintin. Vous avez récemment lancé un petit journal,
Nouvelles
de Sabre. Serait-ce le retour de votre héros fétiche
?
Christian Gine -
Oui, bien sûr ! C'est le personnage que j'aurai aimé être. On
y retrouve mes fantasmes d'enfant, quand j'étais à Oran. J'adore
Lord Jim de Joseph Conrad qui est aussi un homme de la
mer. C'est le personnage qui m'a permis d'apprendre mon travail,
au sein des pages du journal Tintin.
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Ce petit magazine,
réalisé avec l'association Prographides, c'est un test pour voir
le potentiel de Sabre ?
Christian Gine -
Evidemment. Les quatre premiers numéros sont consacrés à Sabre,
et à ma personne. Je suis bien obligé de me présenter. Mais ensuite,
je ne veux plus parler de moi. On y présentera des amis, des projets
avortés, comme ceux de Cosey, Denayer, Derib, Ferry par exemple.
Nous pensons aussi y mettre des planches de jeunes auteurs pour
leur offrir un support. Et si le journal est de mieux en mieux
accueilli, pourquoi ne pas relancer Sabre ?
Dans un tel cas,
vous dessineriez Sabre comme
autrefois, ou en suivant votre style actuel ?
Christian Gine -
Comme aujourd'hui, fatalement. Il ressemblerait probablement à
Finkel. Il y a une continuité dans le travail graphique.
Vous avez beaucoup
de travaux en cours. Malgré votre productivité, vous n'envisagez
pas de vous adjoindre quelqu'un ?
Christian Gine -
Si j'ai fait ce journal, c'est peut-être aussi pour pouvoir me
permettre de monter un studio. Je n'écarte pas la possibilité
d'avoir quelqu'un pour m'aider sur certains décors, pour les bateaux
de Finkel ou de Sabre par exemple. Par contre, c'est
beaucoup plus délicat pour la création de décors particuliers,
comme les architectures présentes dans Finkel.
Voyons ensemble,
Didier Convard, le reste de votre riche actualité. Pouvons-nous
revenir sur l'interruption de votre série Editnalta,
une histoire qui semblait pourtant vous tenir à cour ?
Didier Convard -
C'est la seule de mes séries qui n'a pas reçu le succès escompté.
On avait peut-être mis la barre un peu haut, avec des personnages
entiers. On m'en reparle souvent, mais pour l'instant, je n'ai
pas le cour à m'y remettre.
Le cinquième Chats
vient de sortir. On pourrait avoir l'impression, qu'autant votre
activité de scénariste explose, autant celle de dessinateur s'estompe.
Didier Convard -
Je dois avoir moins de plaisir à dessiner. Je me passionne plus
pour l'écriture. J'aime le dessin, ce n'est pas la question, mais
je ne mets pas autant de plaisir à dessiner un album qu'à l'écrire.
Pour cet album, je n'y ai pas travaillé tous les jours, je l'ai
laissé de côté plusieurs fois avant d'y revenir.
Votre fils, qui
est aussi le coloriste de Chats,
intervient-il au niveau du dessin ?
Didier Convard -
Peu, il m'aide pour l'encrage de certains décors essentiellement.
Polka, Rogon
le Leu, où en êtes-vous sur ces séries ?
Didier Convard - Polka
marche bien, le quatrième vient de sortir. J'aime beaucoup ce
que fait Siro. Quant à Rogon le Leu, le quatrième va paraître
en mars, ce sera le dernier. L'histoire s'arrête là, mais sans
frustration pour le lecteur. Alexis Chabert met trop de temps
entre les albums, il est plus illustrateur que dessinateur de
bande dessinée. Cette histoire était pour moi une récréation.
C'était aussi l'occasion d'associer mon nom à celui d'un jeune
dessinateur.
Autre collection,
Le Dernier Chapitre. Comme toujours, Juillard doit être
débordé ?
Didier Convard - Oui,
comme toujours ! Après les quatre premiers, d'autres sont en préparation.
J'ai bien avancé le Tanguy et Laverdure. Je ne me presse
pas pour les écrire, puisque pour l'instant, André ne peut pas
s'y mettre. Ensuite, on aimerait faire Gil Jourdan. C'est
une collection où l'on se fait vraiment plaisir.
Vous avez mis en
couleurs le Blake et
Mortimer d'André Juillard et Yves Sente. N'êtes-vous pas frustré
de n'avoir pas collaboré au dessin comme c'était initialement
prévu ?
Didier Convard -
Il fallait faire un choix. André et moi avons dessiné ensemble
plusieurs planches d'essai, mais nous nous sommes rendu compte
que ce que nous faisions autrefois avec Isabelle Fantouri
n'était plus possible. Il a fallu décider, et il était évident
qu'André est plus habilité à faire les dessins. Il n'y a même
pas à réfléchir. Seul, j'aurais mis deux ans de plus, et en ne
faisant que ça ! Je suis très fier d'avoir fait les couleurs de
ce Blake et Mortimer. Les couleurs sont très importantes, ça a
été un travail fou. Je me suis basé sur les couleurs de La
Marque jaune et du Mystère de la Grande Pyramide, et
j'ai aussi inventé des couleurs.
Dernière question,
vous avez été approché pour écrire un scénario de Blake
et Mortimer. Qu'en est-il ?
Didier Convard -
Cela fait très longtemps qu'André Juillard et moi sommes abordés
pour Blake et Mortimer. Mais il faut faire des choix :
j'avais aussi le projet du Triangle Secret, du film Neige.
J'ai écrit un scénario original de Blake et Mortimer qu'André
aurait pu dessiner.
Mais si Juillard
en refait un, ce sera avec Yves Sente.
Didier Convard - Et
c'est normal. Il ne faut pas changer l'équipe. Je ferai toujours
les couleurs. C'est très bien ainsi.
Le mot de la fin
: d'autres projets ?
Didier Convard -
Non, je tends même à ralentir mes activités, parce que je vieillis,
tout simplement.
Propos
recueillis à Angoulême par Nicolas
Anspach & Brieg F.
Haslé, le 27 janvier 2001 - © Auracan 2001
Reproduction interdite sans autorisation préalable.
Illustrations :
Finkel © Gine, Convard, Delcourt
- Capitaine Sabre © Gine, Lombard
- Neige © Gine, Convard, Glénat
- Le Triangle Secret © Convard,
Falque, Gine, Glénat - Blake et Mortimer ©
Juillard, Sente, Dargaud, Le Dernier Chapître ©
Juillard, Convard, Dargaud, autres illustrations © Gine.
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