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Vous aviez écrit la trame de Makabi
depuis de nombreuses années. Pourquoi est elle
restée si longtemps dans vos tiroirs?
En fait, Makabi était une idée
qui me trottait dans la tête depuis un certain
temps, mais que je n'avais pas encore finalisé
sur le papier... Je pensais même que c'était
une douce utopie. Ayantl'habitude de travailler sur
des cycles courts (de maximum 5 albums) avec des dessinateurs
heureux de ces formats moins astreignants, j'imaginais
que jamais je ne trouverai quelqu'un souhaitant se lancer
sur une série "sans fin" et prêt
à consacrer une grande partie de sa vie au même
personnage.
Quand Olivier m'a proposé une collaboration,
j'ai malgré tout tenté le coup et ce pour
deux raisons: 1) A la lecture de Nuit Blanche,
j'avais été fasciné par son attachement
pour ces personnages, condition indispensable à
la réussite d'une série comme Makabi et
2) et ça va sans doute paraître curieux,
mais je me disais: que le personnage de Lloyd Singer
serait d'autant plus intéressant et en contraste
si il était mis en scène par un "dessinateur
de l'élégance".
Lloyd Singer est en quelque sorte le contre pied
du héros classique : Peu séduisant, pas
très riche, comptable, etc. N'est ce pas une
grosse prise de risque de faire de ce type de personnage
le le héros d'une série ? Le lecteur n'aura
t il pas difficile à s'identifier à lui
?
Bien sûr qu'il y a une part de risque. C'est un
pari avec le lecteur : êtes vous capable d'accepter
et de vous passionner pour un personnage hors norme
? De ce côté-là Lloyd a énormément
d'atouts. C'est un garçon attachant, décalé,
altruiste, avec une personnalité très
riche, qui, de plus, a sa part d'ombre, d'angoisses,
d'échecs... C'est un personnage multiple qui
nous ressemble beaucoup, tout en étant en marge.
Je ne pense pas que l'on puisse s'identifier à
lui, mais je crois sincèrement que l'on peut
se passionner ou, au moins, être fasciné
par un personnage tel que le sien.
Et d'autre part, le lecteur ne risque-t-il pas
de s'attacher beaucoup plus à la jeune russe
et à sa petite fille ?
J'espère que les gens vont s'attacher à
la jeune russe et à sa petite fille. Je crois
d'ailleurs que ce serait le souhait de Lloyd Singer
lui même. Contrairement à la plupart des
héros bravaches ("qui gagnent toujours à
la fin") Lloyd a un réel intérêt
pour les gens qu'il rencontre. Son but est de les faire
se sentir à l'aise alors qu'ils se trouvent dans
des situations extrêmes de mal être. Il
est entièrement là pour eux.
Maintenant, je ne pense pas que les lecteurs préféreront
l'héroïne du cycle au héros de la
série. Je crois qu'ils s'attacheront aux deux,
parce qu'il y a autant de richesses dans l'une que dans
l'autre... et que sans Lloyd, la richesse de Zena resterait
à jamais ignorée.
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N'est il pas difficile d'inclure une enfant à
un thriller, tout en conservant son innocence et sa
spontanéité ?
L'innocence de Dolly n'existe que parce que Zena a su
la préserver. Ce n'est pas l'enfant qui génère
de l'innocence. C'est ce
que sa mère a réussi, par rapport à
elle, qui nous permet d'avoir un peu de fraîcheur
dans une situation terriblement lourde.
Le lecteur découvrira au fil de l'album
que Lloyd Singer conserve une part d'ombre, une identité
cachée, si l'on peut dire
Pourquoi avoir
voulu cela ?
Je voulais un héros réellement complexe,
une rupture entre les apparences et la réalité,
qui fasse réagir le lecteur, mais qui soit aussi
la dynamique de l'histoire et des changements dans la
vie de Lloyd. Ainsi chaque cycle est lisible indépendamment,
mais la lecture de l'ensemble de la série permettra
aux lecteurs de suivre l'évolution personnelle
et professionnelle de Lloyd Singer (et dieu sait que
ces changements vont être profonds). On ne s'en
est pas encore rendu compte, mais Lloyd est à
un carrefour de sa vie. On a l'impression que tout est
posé autour de lui, que les éléments
sont immuables pour lui assurer une existence stable
jusqu'à la fin de ses jours, mais cette première
confrontation avec le crime et l'horreur vont tout remettre
en cause et chambouler le petit monde de Lloyd Singer.
Pourriez-vous lever le voile sur le prochain
album ? En combien d'album, cette première histoire
de Makabi sera t elle bouclée ?
Tout ce que je peux dire du tome 2, c'est qu'il nous
en apprendra beaucoup plus sur la famille de Lloyd (on
va découvrir son quartier, ses deux surs
et son frère, sa grand mère et tout un
voisinage de gens qui lui sont très attachés)
ainsi que sur le réseau de prostitution qui a
réduit Zena en esclavage. Le tome 2 s'appellera
LITTLE JERUSALEM (nom du quartier où a grandi
Lloyd). Cette première histoire s'achèvera
au troisième tome.
Comment décririez-vous Olivier Neuray
?
Olivier est un roi de la narration et du montage. Toute
la dynamique et l'émotion naissent du choix (toujours
judicieux) de ses cadrages et de ses successions de
plan. De plus, lui qui passe son temps a rajouter des
détails, offrent pourtant avec Makabi une des
BD les plus lisibles qui soit, alors que l'il
du lecteur devrait logiquement être perdu avec
tant de choses à voir. Le travail d'Isabelle
Cochet, notre coloriste, est d'ailleurs admirable et
en parfaite symbiose avec celui d'Olivier. Il montre
tout, mais concentre l'oeil sur l'essentiel.
Le mot de la fin ?
Je voulais juste dire que Lloyd n'est pas un antihéros
au sens où on l'entend habituellement. Ce n'est
pas un looser, ni quelqu'un que la vie a brisé.
C'est au contraire un homme normal, qui sait cependant
être remarquable à coup de petites attentions
et d'écoute de l'autre. C'est surtout un homme
qui sait se dépasser dans des circonstances inhabituelles.
Ca en fait l'un des types les plus héroïques
que j'ai eu à mettre en scène...
Lire l'interview d'Olivier Neuray
Propos recueillis par Nicolas
Anspach en mai 2002
© Auracan 2002
Tous nos remerciements à Luc
Brunschwig
© Neuray, Brunschwig et Dupuis pour les images
de Makabi
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