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Entretien avec Frédéric Toublanc

Frédéric Toublanc

Frédéric Toublanc tient son pari de jeunesse : dessiner son premier album de bande dessinée. À aujourd’hui 44 ans, il a attendu d’être prêt pour se lancer dans l’aventure. Et quelle aventure ! Puisqu’il reprend la suite d’un maître du dessin historique et réaliste, Gilles Chaillet, dans son excellente série Vasco. Une bonne année de travail acharné, de sueurs et de doutes après son démarrage, il attend maintenant le verdict du public… Rencontre avec un artiste volubile.

De Pif Gadget à la bande dessinée historique

Frédéric Toublanc est marqué par les magazines Pif Gadget et Mickey Parade dans sa prime jeunesse. « J’ai recommencé à lire des BD à partir des années 80. Entre Pif et les années 80, il y a eu L’Écho des Savanes, Fluide glacial, (à suivre)… Là, j’aimais l’expressivité de Gotlib, Goscinny, Morris, que je trouve être trois piliers importants. »

À l’âge de 9 ans, Frédéric se voyait déjà dessinateur de BD. « L’idée de devenir dessinateur de BD s’est cristallisée quand j’ai lu Pif. En lisant les Rahan d’André Chéret, je me suis dit que cela pourrait être un métier. Au collège, je dessinais vraiment beaucoup. Je commençais à faire des planches qui circulaient dans le lycée. J’envisageais de devenir dessinateur de BD mais, en même temps, cela me paressait un rêve impossible. Parce que je sentais que je n’avais pas le niveau, ce qui était vrai et qui est peut-être d’ailleurs toujours vrai ! Je me disais que je n’arriverais jamais à dessiner comme les gens que j’admire. »

De fait, Frédéric n’est pas pressé. Après avoir fréquenté la Fac d’Arts Plastiques de Paris I, il entre dans la vie active comme maquettiste dans des agences de pub puis en 1990 comme illustrateur free lance. « Jusqu’à mes 40 ans, j’ai estimé la BD comme un truc noble et comme un métier d’auteur pour lequel il fallait être prêt. Il fallait avoir l’opportunité aussi. Lorsque Gilles Chaillet a eu besoin d’un repreneur, ce fut une opportunité à saisir. Avant, je n’avais pas donné suite à une proposition de scénario de Laurent-Frédéric Bollée. »

Conservant le regret de n’avoir pu fréquenter les cours de l’école de dessin académique Penninghen, Frédéric se présente comme un authentique autodidacte. « J’ai appris les règles du dessin dans les bouquins, notamment des bouquins de Hogarth (le dessinateur de Tarzan) ou de José Paramon. Vers 1986-87, j’ai consacré beaucoup de temps à apprendre seul, à bucher des exercices bêtes et méchants. »

Goût pour la BD historique

Extrait de Vasco

Le site de Frédéric Toublanc montre des extraits de planche et témoigne d’un goût affirmé pour le réalisme mais aussi l’histoire. « Si j’aime bien Gotlib, j’aime me balader dans des époques différentes. J’ai raconté des histoires en Inde, à l’époque Victorienne, en 1900. »

Avec une préférence pour le Moyen-Âge. « C’était une période forte pour moi quand j’avais 15-16 ans. J’aime bien me promener dans la France profonde et découvrir des sites moyenâgeux. Tout de suite, cela me parle même si j’ai des connaissances très limitées. J’aimerais bien les développer davantage. Certes il m’arrive de prendre des bouquins de Georges Duby ou des bouquins d’exégèse. Je vais lire des ouvrages sur les dynasties, sur certains ordres religieux, ça m’intéresse beaucoup ! Et j’ai aussi un grand plaisir à me balader sur les sites. Les vieilles pierres, je les ressens physiquement, chimiquement ! Je ressens des vibrations de l’espace architectural. » 

Rencontre avec Gilles Chaillet

Le déclic s’opère grâce à une petite annonce de Gilles Chaillet passée par Gil Formosa sur Internet. « Quand j’ai répondu à cette annonce, j’ai vraiment eu envie d’être retenu. J’ai senti des affinités avec Vasco, surtout au niveau de son univers. Dans une BD, tu vis avec quand tu la fais. On est dans les palais, les armures, les princesses, l’aristocratie, les beaux paysages, la nature, le patrimoine, la Toscane… »

Frédéric Toublanc et Gilles Chaillet
Frédéric Toublanc et Gilles Chaillet

Le premier contact avec Gilles Chaillet. « Gilles m’a appelé au téléphone et on a longuement causé - il y a eu un très bon contact tout de suite ; Gilles est un personnages chaleureux - cela se sent à sa voix - elle est très incarnée comme le sont ses dessins. Il m’a demandé des tests. Je crois que, ce qui m’a permis de l’emporter, c’est la façon de dessiner les personnages. » 

Crayonné

Nouveau départ. « Je me suis dit tout de suite qu’il fallait que je ne fasse que cela. De quoi changer ma vie. C’était une spécialisation au niveau des techniques employées, du savoir-faire circonscrit dans un domaine particulier, de la thématique de l’univers vassal… C’était du temps sans bouger, sans voir des clients. Cela me convenait car l’univers de Vasco me permettait de m’installer dedans. »

La reprise symbiotique de Vasco. « J’adhère à l’état d’esprit de Vasco, gentleman du Moyen-Âge. J’aime bien voyager dans les grands sites de cette époque, rencontrer les grands de ce monde-là, en prise avec des problématiques intelligentes. J’aurais voulu créer un projet qui aurait été proche de ces thèmes là : parler du patrimoine culturel et historique. En revanche, lorsqu’on se sent en affinité avec un certain univers, on a envie de le faire à sa façon et c’est vrai que là c’est difficile quand on est contraint par des points particuliers. »

Un style figé ou modernisé ? « Le style d’écriture est en rapport avec les codes de Jacques Martin et par extension de Gilles Chaillet. C’est une école de style brillante quand je l’ai découverte comme professionnel et je trouve qu’il ne faut rien changer à cela : des couleurs qui sont en aplats, des bulles carrées qui sont au dessus des vignettes de façon systématique… Le style se fonde par son unité, sa lisibilité, son élégance. Gilles se demande s’il ne faut pas un peu moderniser les codes. Pourquoi pas. Moi, je pense qu’il faut les conserver tels qu’ils sont ou alors changer complètement de style à la manière de Valdman (Spartakus) ou de Marini (Le Scorpion). Être très strict avec une école de style marqué, c’est aussi une attitude moderne. Et donc, à mon avis, si on prend ce parti-là, on ne change pas les codes. Au contraire, on renforce le côté très sage de cette écriture. Ce que je n’ai peut-être pas fait tout à fait ! »

Travail sous l’œil du Maître. « Je travaille totalement en confiance avec Gilles. C’est lui qui a créé son personnage et donc commande ! Je m’en remets à son intuition. Peut-être un jour, j’aurai envie de faire autrement. J’aimerais faire des erreurs, mais je ne peux pas me le permettre en reprenant le bébé de Gilles !  C’est pour ça que c’est lui qui tranche. Je peux avoir des intuitions, mais c’est lui qui décide. »

Respect pour le Maître. « Je ne pouvais pas égaler Gilles sur le plan architectural. Je ne serais pas capable de faire le plan de Florence au 14e siècle car c’est un travail de Romain ; il n’y a que Gilles pour faire cela ! Dans les constructions géométriques, il est redoutable dans les finitions, dans ces perspectives que ce soit pour Vasco, Les Voyages d’Alix ou La Dernière Prophétie. Je ne peux rien apporter par rapport à cela, j’essaye de l’égaler.  Par exemple, pour les arènes d’Arles ou la cathédrale de Burgos, Gilles m’a félicité car il savait que c’était casse gueule et il me les a filés pour savoir comment j’allais m’en sortir. Je pense humblement que je ne m’en suis pas si mal sorti ! »

Vasco T22

Touches personnelles du nouveau dessinateur de Vasco. « J’ai plutôt envie aujourd’hui d’accentuer les codes ‘‘martiniens’’ dont nous avons parlé. Sinon, je pense peut-être réaliser quelques apports au niveau de la mise en scène et de la scénarisation, notamment en faisant circuler le personnage dans l’espace peint sous des angles différents ou en mettant en exergue et dynamisant certains partis pris qu’a eu Gilles dans le scénario. Par exemple, pour une scène de poursuites de carrosses sous l’orage, j’ai représenté des flaques d’eau, qui éclaboussent l’œil du lecteur. Dans le synopsis, Gilles parle simplement de l’action : j’ai essayé de trouver des trucs pour renforcer ses intentions. »

Bilan d’une bonne année de travail

À la sortie de ce premier album, Frédéric affiche une sincère humilité. « Je m’attendais moi-même au tournant comme beaucoup de gens d’ailleurs. C’était un vrai challenge. En le faisant, on se rend compte que c’est un sacré travail. Il y a des problèmes de géométrie mais aussi d’histoire de l’art qui chacun demande pas mal de réflexion. Et comme il y a beaucoup de vignettes à trouver… Ensuite côté style et dessin, c’est du haut niveau. Je ne suis qu’un débutant. Je suis donc content de m’en être sorti vivant !»

Satisfait d’avoir franchi le pas. « Je suis content d’être arrivé au bout, d’avoir réussi à gagner la confiance de Gilles. Il m’a beaucoup testé. J’ai essayé d’être à la hauteur, d’avoir une bonne communication avec lui. On est des personnages différents mais nous pouvons développer des connivences et des points de rencontre. »

La Dame noire, 22e tome des aventures de Vasco, est paru ce 18 janvier aux éditions du Lombard. Frédéric Toublanc travaille déjà sur sa suite intitulée La mort blanche.

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en décembre 2007 et janvier 2008
Propos retranscrits et introduits par Brieg F. Haslé et Manuel F. Picaud
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
photos des auteurs © G. Charneux - DR
visuels © Frédéric Toublanc - Gilles Chaillet / Le Lombard

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Manuel F. Picaud
31/01/2008