Entretien avec Tarek

Tarek © Manuel F. Picaud / Auracan.com

« L'intelligence et la beauté ne protègent pas de la barbarie. »

Né en 1971, Tarek écrit des scénarios de BD depuis 1999. Après des études en histoire (médiévale, art), de philosophie et de langues (arabe) et ses voyages à travers la planète, il enseigne le français à Damas en Syrie et développe une activité de photographe. Il est devenu l’un des piliers des éditions Emmanuel Proust depuis 2005. Le scénariste prolifique y signe notamment Lawrence d’Arabie avec Horellou et la saga Sir Arthur Benton avec Stéphane Perger puis Vincent Pompetti.

À l’occasion de la sortie du T2 de la seconde trilogie de Sir Arthur Benton, Auracan.com a souhaité revenir sur sa genèse et interroger l’auteur sur la mode actuelle des croix gammées en couverture d’albums BD.

Comment est née la série Sir Arthur Benton ?
Ce projet est né d’une volonté ancienne d’écrire sur la Seconde guerre mondiale. J’avais envie de raconter une petite histoire dans cette grande histoire : le récit d’espionnage s’est naturellement imposé car je pensais pouvoir ainsi introduire des parcours totalement fictifs dans le déroulement de la guerre. En écrivant le synopsis, j’ai tout de suite imaginé un dessin en couleur directe : j’ai proposé la première version à Christian De Metter qui a décliné l’offre puisqu’il travaillait déjà sur son histoire se déroulant durant la Première Guerre mondiale. Pourquoi ce choix graphique ? J’apprécie les bandes dessinées en couleur directe depuis bien longtemps. Le côté pictural me touche ! Ensuite, en discutant avec Laurent Astier, j’apprends qu’il connaît Stéphane Perger dont j’apprécie le dessin, que ce soit dans le Poulpe qu’il a adapté ou dans ses histoires publiées dans Jade. Nous commençons à travailler ensemble sans se voir puis nous signons le premier tome au bout de quelques mois…

Sir Arthur Benton, extrait du T2 du cycle 2 © Pompetti - Tarek / Emmanuel Proust

Quel est le message de cette série ?
Il n’y en a pas un mais plusieurs. Tout d’abord, la pire des dictatures peut naître dans la démocratie la plus avancée. Ne jamais oublier le passé pour ne pas commettre les mêmes erreurs. L’intelligence et la beauté ne protègent pas de la barbarie. La guerre est toujours sale et encore plus dans l’ombre… C’est une série républicaine dans la mesure où elle revendique les valeurs de notre devise nationale : liberté, égalité et fraternité. Cela peut paraître étrange, mais c’est la réalité.

Quelle période va couvrir le deuxième cycle ?
Le second cycle dessiné par Vincent Pompetti commence au lendemain de la prise de Berlin par les Alliés et se terminera avec la mort de Staline en mars 1954. C’est le début de la guerre froide et des guerres de décolonisation… Cette période est essentielle pour comprendre le monde d’aujourd’hui… Elle est très peu présente dans la production BD, dommage !

Sir Arthur Benton, extrait du T2 du cycle 2 © Pompetti - Tarek / Emmanuel Proust

Quel est le sujet du nouvel épisode ?
Le tome 2 du nouveau cycle se déroule durant le coup de Prague en février 1948. C’est le moment de basculement dans la guerre froide : la Tchécoslovaquie est le plus pays le plus occidentalisé de l’Est et il finit par succomber à la puissance soviétique. Cet épisode tragique aurait pu se terminer par une guerre nucléaire : des bombardiers américains ayant des bombes atomiques sont déployés en Europe d’autant plus que le blocus de Berlin n’est pas encore levé… Nous avons volontairement - pour rendre le récit plus dramatique - donné un rôle de second plan à Marchand, Benton et les autres membres de l’Organisation. C’est une volonté de notre part que nous assumons bien sûr.

Pompetti et Tarek © Manuel F. Picaud / Auracan.com

Pourquoi avoir changé de dessinateur pour le deuxième cycle ?
Tout simplement parce que Stéphane ne voulait pas continuer et qu’il avait déjà en tête Sequana. Cependant, il a créé le graphisme des dossiers des deux tomes du second cycle pour garder une cohérence avec la première trilogie.

Comment ont été élaborées les couvertures du premier cycle ?
C’est un choix d’auteurs. J’ajouterais même que Stéphane et moi avons assumé la responsabilité des couvertures. Nous avions envie de marquer les esprits en utilisant les mêmes procédés qu’à cette époque : les sigles politiques étaient visibles partout dans les rues et ils représentaient des idéologies bien marquées et antagoniques. Le T1 représente les bourreaux (la svastika est l’emblème du NSDAP), le T2 les victimes (l’étoile jaune identifiait les juifs dans les pays occupés) et le T3 les libérateurs (la faucille et le marteau sont les emblèmes du communisme et de l’URSS, le pays qui a payé un lourd tribu dans cette guerre). Enfin, le noir, jaune et rouge sont les couleurs du drapeau de la nouvelle Allemagne démocratique. Bref, la trilogie n’a pas des couvertures pour « faire beau » mais pour bien annoncer le contenu des histoires et faire passer un message fort : la propagande utilise toujours des symboles simples mais efficaces car étudiés pour toucher le plus grand nombre de personnes. J’ai écrit une préface dans le premier tome pour expliquer ma démarche et je pense que celle-ci était nécessaire.

Que pensez-vous du foisonnement de croix gammées en couverture de BD ?
Je pense que la banalisation de la svastika est dangereuse car des esprits faibles ou ignorants pourraient penser que ce sigle est anodin et n’évoque rien de bien grave. Certaines couvertures sont même indécentes ! J’ai lu la plupart des BD en question et je pense que Il était une fois en France et Malgré nous utilisent avec intelligence ce sigle car les histoires sont sérieuses et donnent à réfléchir : ce n’est pas un acte commercial totalement gratuit, il y a un propos derrière. Les autres albums sont, selon moi, victimes d’un phénomène de mode qui les dépasse, rien de plus… Dommage.

Quels sont tes autres projets et leurs dates prévisionnelles de sortie ?
J’ai plusieurs projets en cours de signature (certains le sont déjà) chez divers éditeurs… Je n’en dirai pas plus car je préfère préserver le secret sur mes projets à venir !

Pour en savoir plus :

• Une autre interview de Tarek sur Auracan.com (2005)
• Indiscrétions : Trop de croix gammées en couvertures ?
• Le blog de Tarek