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Entretien avec André Benn

Alors que l’intégrale Woogee est sortie chez Dargaud en décembre dernier, nous vous proposons de retrouver une interview d’André Benn parue en 1997 dans le 19e numéro du magazine Auracan. Histoire de parler de la série Woogee et de la première version de Mic Mac Adam, une série que l’auteur a reprise depuis, en compagnie de Luc Brunschwig au scénario.

André Benn
AURACAN - N°19

André Benn a appris son métier au studio Peyo, avant de créer le personnage Mic Mac Adam. Vinrent ensuite la version graphique du roman Monsieur Cauchemar et les deux volumes d'Elmer et moi qui donnèrent l'occasion à l'auteur d'éclater son style. Désormais, il ne manque pas de nous faire partager sa passion pour le cinéma à travers sa série Woogee. Sa déià longue carrière n'a malheureusement donné naissance qu'à trop peu d'albums. L'auteur prend en effet tout le temps de peaufiner ses planches afin de ne pas flouer son public. Rencontre avec un auteur qui ne fait pas de concessions. Ni au public, ni à lui-même. Pour le bonheur de tous, finalement...

Quel est le facteur qui a déterminé la réédition des Aventures de Mic Mac Adam pour les Editions Dargaud ?
Les albums de ce héros étaient épuisés depuis belle lurette. Il y avait donc une demande assez pressante de certains nostalgiques. Ces rééditions sous forme d'une Intégrale redonnent donc une vie à ce personnage. J'en suis fort heureux, mais paradoxalement, cela me laisse perplexe. En effet, grâce à cette démarche, je suis assez tenté de lui faire vivre de nouvelles aventures A quoi bon ressusciter un personnage et ne plus l'exploiter ensuite... Mais en demeurant réaliste, je dois bien admettre qu'il me serait très difficile de mener à bien deux séries de front. Or, il n'est pas question de laisser en plan Woogee, mon personnage actuel. De plus, je me demande si Mic Mac Adam n'est pas une série qui appartient déjà au passé. Enfin, ces doutes ont beau me tarauder l'esprit, je crois tout de même que je ne résisterai pas à l'envie de me replonger dans cet univers.

Le cas échéant, en reviendrez-vous à un travail d'équipe ou continueriez-vous à travailler en solitaire comme vous le faites pour Woogee ?
J'aimerais bien assumer seul le scénario et le dessin. Par contre, je serais très heureux si Stephen Desberg me fournissait au préalable un vague synopsis de l'intrigue. Ainsi, j'aurais l'impression de retrouver la symbiose de l'époque. En effet, nous agissions à peu près de cette manière au temps de notre collaboration. Si ce n'est qu'il me procurait un scénario plus détaillé. Je ne lui demanderais plus autant aujourd'hui. Il est exact que je tiens à colorier moi-même les planches de Woogee. Mon épouse se chargeait de cet aspect du travail pour les Mic Mac Adam. Elle reprendra ce rôle si d'aventure je reprends cette série. Comme je l'ai déjà dit, je tiens à retrouver le même esprit qu'à l'époque. Ou, à tout le moins, de m'en rapprocher au maximum. Sans cela, je ne vois pas l'intérêt d'exploiter à nouveau ce personnage. Il vaudrait mieux alors créer quelque chose de totalement neuf... Tel n'est pas mon but et il est donc naturel que je songe aux personnes qui me secondaient à ce moment.

On peut cependant supposer que les rééditions ne s'arrêteront pas en si bon chemin puisqu'il subsiste du matériel épuisé qui n'a pas été retenu dans l'Intégrale proposée ?
En effet, nous pourrions aisément constituer un second volume de cette Intégrale. Mais rien n'a encore été négocié en ce sens. Les résultats des ventes actuelles semblent satisfaire tout le monde et il n'est pas interdit d'imaginer un second volume. Ceci dit, si cela se fait, ce ne sera pas avant un certain temps. En effet, cette Intégrale est inclue dans les “Classiques du Rire“. Différents auteurs ont été sollicités pour alimenter cette collection. On devra attendre que ces dessinateurs voient leur compilation éditée avant d'espérer un second volume de Mic Mac Adam...

Peut-être nous ferez-vous agréablement patienter d'ici là en nous proposant une nouvelle aventure de Woogee?
Mais très certainement ! Bien que je n'ose plus rien affirmer tant j'ai déjà pris du retard... Cependant, je pense que la parution du quatrième Woogee pourrait être sérieusement envisagée pour la fin de l'année 1997. Touchons du bois !

Woogee

Le retard que vous avez pris dans l'élaboration de cet album trouve-t-il une explication logique ?
Pour la toute première fois, en 25 ans de métier, j'ai éprouvé un ras-le-bol par rapport à mon oeuvre. Je ne peux pas parler de saturation, mais plutôt d'une importante fatigue. Depuis toujours je suis très motivé par rapport à mon travail. Je donne beaucoup de moi-même dans l'élaboration de mes récits et cela a fini par se payer. A ce moment, cela faisait déjà trois ans que je n'avais plus pris la peine de souffler en prenant quelques vacances. La fatigue, engendrant la lassitude, est alors survenue d'un seul coup. J'avais déjà réalisé le quart du récit lorsque je fus confronté à cet état inhabituel. Le problème est que je suis très entier comme personne. Je ne peux pas tricher et il faut que je sois à 100 % de mes capacités pour donner le meilleur de moi-même et être heureux. Il m'a fallu un peu de temps pour digérer cette attitude et poursuivre ma production avec enthousiasme. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec différents collègues, parfois bien plus jeunes que moi, et ils m'ont quelque peu rassuré. En effet, la plupart d'entre eux ont également vécu cet état de fait assez perturbant. L'important est d'avoir franchi le cap ! Toutefois, l'album qui s'annonce sera de ce fait un peu particulier. Une partie de celui-ci a été conçue alors que ma vie était assez agitée. Je trouve que je m'en suis plutôt bien sorti. Finalement, je n'ai pas cessé de travailler durant cette période. J'ai abordé d'autres travaux, plus alimentaires, tout en poursuivant le graphisme de Woogee d'une manière épisodique. Malgré tout, j'arriverai sans doute à boucler le récit à peu près dans les temps. En effet, je respecte généralement une période de deux ans entre chaque album. Je prends le temps qu'il faut pour réaliser chaque planche comme je l'entends. Parfois cela prend trois jours, d'autres fois dix... Je me suis cependant rendu compte que pour assurer le succès d'une série, il faut impérativement assumer une certaine régularité dans la publication des albums. Aussi, afin de rassurer éditeur, libraires et lecteurs, je m'emploie actuellement à maintenir un rythme plus soutenu dans la réalisation de mes planches. Je voudrais éviter qu'il ne s'écoule plus de quinze mois entre chaque sortie d'un nouveau titre de Woogee...

Woogee

En cours de réalisation, vous avez également modifié une partie de votre scénario...
Effectivement, mais je n'attribue pas ce fait à ma déprime. Il s'avère que la notion de kidnapping est abordée dans mon récit. Or, l'été 1996 a malheureusement mis à jour l'Affaire Dutroux. Cette tragique affaire n'a aucun rapport avec mon scénario, mais elle a fortement influencé ma vision des choses. Ces événements m'ont inévitablement amené à remanier la trame de mon histoire.

Pourriez-vous nous présenter brièvement cet album ?
Il s'intitulera le Samaritain de Yosémite. Je crois avoir imaginé un récit où le côté dramatique ne prime pas. C'est une histoire qui démarre d'une manière assez dilettante. Tout en mettant lentement en place la trame dramatique, j'ai voulu prendre tout le temps nécessaire pour implanter les personnages dans une atmosphère détendue. Le récit débuta dans le magnifique Parc National de Yosémite durant la période estivale. J'implante de nouveaux personnages, de nouvelles amitiés, une nouvelle vie... Mais tout cet univers, finira tout de même par basculer et nous découvrirons alors un sujet beaucoup plus sinistre. C'est une histoire transitoire, en un tome, mais qui prépare déjà les prochains albums. C'est un peu le propre de la série Woogee. Tous les récits ont une incidence sur les suivants car ils donnent l'occasion aux personnages de mûrir, de modifier leurs relations...

Le prochain album est-il déià défini dans votre esprit ?
Oui, totalement. Il aurait d'ailleurs dû suivre le cycle de la Cité des Anges. En définitive, j'ai préféré le postposer, car il s'agira à nouveau d'un cycle en deux albums, tant il offre de la matière ne demandant qu'à être développée... J'utiliserai en toile de fond le tournage d'Autant en emporte le Vent. Attention, ce ne sera pas un documentaire sur ce film prodigieux ! Le récit sera nerveux et dans la lignée des Woogee précédents. Mais j'avais besoin de souffler. Aussi me suis-je attardé sur un récit moins ambitieux pouvant être traité en un volume. De plus ce dernier allait me permettre de changer d'univers graphique puisqu'il se déroule en grande partie dans le Parc National déjà cité. Je pensait que ce serait plus facile de dessiner la forêt, par rapport aux décors urbains habituellement présents dans la série. Je me suis bien trompé ! (rires).

Naguère, vous n'hésitiez pas à voyager pour repérer les lieux de vos séries. En est-il de même pour les récits de Woogee?
Hélas, non. Je ne me suis toujours pas rendu à Los Angeles. Cela ne saurait cependant pas tarder. En fait, je pense que maintenant, je peux y aller. Si je l'avais fait avant, j'aurais certainement mal été influencé. Il faut se rendre compte que le Los Angeles de nos jours n'a plus grand chose en commun avec celui que je m'efforce de retranscrire dans ma série, aux approches des années '40. Ce qui fait que j'ai volontairement fait obstraction de la réalité actuelle au profit de mon imagination, épaulée par de nombreux documents d'époque. Désormais, je suis arrivé à bien cerner l'univers de Woogee et c'est avec plaisir et intérêt que je me rendrai prochainement dans cet Etat. Je ne me laisserai probablement pas influencer par le Los Angeles moderne, mais ce voyage pourra par contre m'apporter un plus au niveau de la retranscription des couleurs, notamment.

Woogee

Revenons quelque peu sur le dénouement de La Cité des Anges... Vous avez fait disparaître un personnage important et attachant. N'est-ce pas un peu trop tôt pour perturber votre public qui commence tout juste à trouver ses repères dans cette jeune série?
Mais la vie est aussi cruelle... Des connaissances arrivent, vivent, meurent, certaines plus tôt que d'autres... On a beau créer des personnages plus attachants que d'autres, si l'on veut instaurer une crédibilité à la série, il ne faut pas passer à côté de ces réalités. Les lecteurs peuvent apprécier, détester, demander, mois ils n'ont rien à exiger de moi ! (rires). Ceci dit, il n'est pas interdit de faire revenir ces disparus. A condition d'avoir une explication qui tienne correctement la route. Il se pourrait que j'ai imaginé cette opportunité... Encore faut-il que cet éventuel retour soit justifié et serve à nouveau la série. N'oublions pas que j'ai d'abord choisi de raconter la vie de Woogee.

On connaît pourtant des séries où les personnages secondaires mûrissent de plus en plus, au point de prendre autant d'importance que le héros...
Oui, mais ce ne sera pas le cas dans cette série. Je ne veux cependant pas mettre Woogee plus en valeur que ses compagnons. Si la série veut être cohérente, il faut donner une dimension à chaque personnage. Le héros ne peut pas vivre uniquement par lui-même, sinon autant l'implanter sur une île déserte et qu'il vive seulement ses magnifiques aventures !... La puissance du personnage se développera davantage s'il entre tient des rapports égaux avec ses compagnons. Nous-mêmes ne sommes rien les uns sans les autres ! Cependant si le héros en vient à s'effacer par rapport à d'autres personnages, c'est qu'il est assez anodin et n'a pas l'envergure pour donner son nom à la série.

Cet amour que vous portez au cinéma, l'entretenez-vous activement dans les salles obscures ?
Pas tellement. Les cinémas actuels me désolent. On n'y met guère les films à l'honneur. Les publicités sont aussi présentes que sur notre écran de télévision, les salles de cinéma n'offrent plus cette magie qu'on pouvait y trouver d'antan. Ce sont désormais des endroits où on s'ennuie en attendant le début du film, alors qu'on pourrait nous y faire découvrir une multitude de courts métrages que des réalisateurs se tuent à réaliser, avec passion mais sans reconnaissance puisqu'on ne les diffuse jamais aux yeux du tout public. Les réalisateurs que j'apprécie énormément sont Billy Wilder, Frank Capra, Alfred Hitchcock. Ces gens ont eu l'art de faire des films sans grands moyens mais qui restent indémodables, à mon sens. L'univers qu'ils dépeignent est un peu «carton-pâte»: on perçoit bien que les décors sont un peu irréels, mais on se sent irrémédiablement entraînés par ce qu'ils nous montrent. On ne peut qu'y croire et se laisser envahir par les moments de distractions qu'ils nous offrent. Ils n'étaient pas infaillibles et ont aussi naturellement commis certaines erreurs cinématographiques, mais ils demeurent pour moi inégalables. Pour en revenir à Hitchcock, je pense qu'il a fait énormément de bien au cinéma, mais également assez de mal. Je m'explique: actuellement, peu de metteurs en scène ont sa force pour retranscrire une ambiance aussi prenante au niveau du suspense, sans l'aide de quelconques artifices technologiques et autres procédés devenus clichés. Cependant, quand un réalisateur est assez intelligent que pour concevoir un bon suspense, notre esprit fait presqua inévitablement la comparaison avec ce que produisait Hitchcock. De telle sorte que ces films contemporains seront facilement rangés dans le genre parodie du Maître Alfred. Plus proches de nous, les frères Coen et Woody Allen sont les réalisateurs qui me marquent plus particulièrement.

Vous avez la réputation d'expérimenter l'univers que vous cherchez à décrire. Auriez-vous certaines anecdotes à nous faire partager ?
J'ai toujours cherché à découvrir ce que je racontais. Lors de l'élaboration d'Elmer et moi, j'oi voulu m'initier à la ventriloquie et la magie. Deux milieux très fermés mais qui m'ont néanmoins accepté quelque temps. J'ai ainsi été mis ou courant de quelques pratiques et façons de faire propres à ces mondes. Par contre, du temps de Mic Mac Adam, je ne me suis pas autant investi pour découvrir les sujets traités, tels le spiritisme, la magie noire... Ce manque d'expérimentations de ma part étant sans doute dû au fait que ces idées étaient imaginées et suggérées par Stephen Desberg. Mais je l'aurais indéniablement fait s'il s'était agi de ma propre création. Dernièrement, pour le besoin d'une scène de Woogee, je devais imaginer une entrée par effraction dans un grand studio. Or, les dimensions du palais n°5 au Heysel sont sensiblement égales à celles d'un studio de cinéma. Comme je voulais reproduire une hypothèse crédible concernant l'effraction, je me suis adressé au GMIC, société de surveillance et de protection, afin d'étudier la composition des lieux du palais n°5. Or, en cet endroit se déroulait à cette époque le salon de l'Automobile...Afin de ne pas perturber leur travail de surveillance, la société GMIC à plutôt suggéré de m'engager dans une de leur équipe. J'ai alors dû effectuer un vrai travail de gardiennage durant une période déterminée. C'est d'ailleurs dans le cadre de ce travail que j' ai eu l'opportunité de servir de garde du corps au futur Roi Albert II. En effet, j'étais chargé de suivre ses déplacements lors de sa furtive visite au salon de l'Automobile. J'ai donc joué mon petit « Robert De Niro » et ai payé de ma personne pour me soumettre aux exigences de mon scénario. L'expérience fut finalement payante... En effet, après quelques jours de travail sérieux mais aussi, et surtout, d'observations et réflexions, j'ai trouvé un moyen de pénétrer dans le palais par effraction et cela a donc bel et bien servi mon scénario pour cette aventure de Woogee.

Avec tout le mal que vous vous donner pour dessiner, les collectionneurs doivent vous harceler !
Pour ma part, je détruis systématiquement mes croquis. Je considère que ces dessins sont bien souvent indispensables à la réalisation d'une case, mais qu'étant « imparfaits », car peu fignolés, ils ne méritent pas de survivre au produit fini. Mais tout le monde ne partage pas mon avis, les collectionneurs justement... En fait, il y eut un temps où j'en ai surpris quelques-uns fouillant mes poubelles dans la rue ! Aussi, afin d'éviter ces scènes, mes croquis servent désormais de combustible pour chauffer ma petite famille lors des froides soirées d'hiver... Quant à mes dessins originaux, je les garde par amour propre. Ceux qui possèdent ce genre de dessins de ma personne sont des privilégiés car je ne souhaite pas nourrir ce type de marché!

Vous nous parliez de travaux plus alimentaires qui vous ont permis de tenir le coup lors de votre passage à vide sur la série Woogee...
Je vois sur quel terrain vous voulez m'emmener ! En effet, j'ai participé au lettrage de nombreux Mangas édités par la maison Kana. Ces travaux ont finalement aidé à me ressourcer et m'ont ouvert de nouvelles portes. En ce sens que, encore aujourd'hui, je participe graphiquement à certains Mangas, mais d'une manière plutôt peu conventionnelle. En fait, quand il reste quelques pages à combler dans les ouvrages édités par Kana, je dessine une ou deux planches de gags où, je me caricature. On m'y découvre peinant sur mon travail de lettrage et ne songeant qu'à une seule chose aller jouer ou golf. C'est ma passion. J'apparais ainsi dans certains ouvrages d'Angel Dick et Armagedon. Voilà pour l'anecdote...

Avez-vous d'autres projets plus ou moins immédiats ?
Oui, je participe à un ouvrage collectif ayant pour thème: "Le Père Noël dans tous ses Etats" (N.D.L.R. Le Père Noël dans ses petits Souliers est le titre définitif) . Celui-ci devrait bien entendu sortir pour les fêtes de fin d'année. J'y ai signé trois petites histoires: une au niveau graphique, ainsi que deux participations actives aux scénarios de celles dessinées par Philippe Delaby et Eddy Paape. Il y aura également bientôt un ou deux petits volumes chez Point Image, reprenant des épisodes de Tom Appelpie, un héros que j'animais naguère dans les pages du journal Tintin.

Il se chuchote qu'André Benn serait présent sur un site internet...
C'est exact. Un site portant mon nom est développé par un ami : Stéphane Lemaire. Il m'a contacté à cette fin et y a fait du très bon travail. On y retrouve divers aspects de ma carrière: actualités, photos, interviews, bibliographie, liens avec mes collaborateurs... Ce site est finalement assez complet et me satisfait pleinement. Au travers de certaines correspondances internautes, nous avons d'ailleurs appris que le nom "Woogee" existe bel et bien. Je croyais l'avoir imaginé, mais nous avons constaté, en "surfant", qu'il existait un tableau, visible dans un hôtel américain, représentant un Indien comanche prénommé comme mon héros. Une petite anecdote amusante. En tout cas, je suis curieux d'apprendre s'il existe également des Mic Adam en Ecosse...

Vous avouez avoir besoin d'une moyenne de deux ans pour réaliser un album. Ne subissez-vous pas certaines pressions de votre éditeur afin d'alléger votre part du travail ?
Malheureusement oui. Ils ont tenté de me conseiller à l'époque... Je tiens cependant à assumer toute l'élaboration de la série Woogee. J'établis les scénarios, les dessine et mets le tout en couleurs. J'ai créé seul ce personnage et je n'accepte rais pas de concessions si je devais collaborer avec quelqu'un d'autre. De plus, je perçois bien que mon public me soutient. Lors des séances de dédicaces, beaucoup de lecteurs m'avouent ne pas être déçus d'avoir dû patienter car le résultat les satisfait amplement. Je ne pourrais pas leur offrir la même qualité, ceci dit sans prétention, si je devais moduler mes exigences et mes goûts avec ceux d'un collaborateur.

Par contre, n'envisageriez-vous pas d'établir un scénario pour le compte d'un collègue dessinateur ?
J'aimerais bien. Le sujet a d'ailleurs déjà été abordé avec certains mais ne s'est jamais concrétisé. Je reste lucide: je me considère comme un auteur, mais pas comme un scénariste à part entière. A travers ses récits, un auteur peut aborder tous les sujets que lui dicte sa sensibilité. Par contre un scénariste doit se mettre au service d'un dessinateur et veiller à ce que son récit soit partagé par son collègue, tout en laissant à ce dernier la possibilité de le dessiner. Ce n'est pas si simple...

Votre trait fait plutôt référence au style humoristique, tandis que vos scénarios sont très réalistes. Cette particularité ne vous dessert-elle pas lorsqu'il s'agit d'intéresser de nouveaux lecteurs qui ne connaissent pas votre œuvre ?
C'est vrai que ce public ne peut pas me juger sur la seule vue de mon graphisme. Pour ma part, je trouve qu'il est très difficile de réussir à marier harmonieusement ces deux styles. Je n'aime pas dessiner d'une manière réaliste, par contre j'adore imaginer des récits qui sont crédibles et bien ancrés dans la réalité. Je suis bien obligé de composer avec ce fait. Et ça me plaît, d'ailleurs. Le challenge est intéressant. Cependant, Régis Loisel est également confronté à ce dilemme. La seule différence qu'il y a sans doute entre lui et moi, c'est que ses albums se vendent magistralement bien. Je rame peut-être un peu plus. (rires). Ses récits sont plus portés vers l'imaginaire, mais son graphisme est lui aussi situé entre deux styles. J'attirerais sans doute plus facilement un nouveau lectorat si j'adaptais mon trait au scénario, mais dans ce cas, je ne dessinerais plus d'une manière instinctive. Ca serait trop laborieux que pour m'amuser. Or, c'est essentiel, non ?

Woogee
Propos recueillis par Eric Vermeulen et Cedric Lang
Reproduction interdite sans autorisation préalable
Interview publiée dans Auracan n°19, Octobre-décembre 1997
© Auracan 2004 - Graphic Strip 1997
Illustrations © Benn, Dargaud

Mic Mac Adam sur auracan.com :

Mic Mac Adam

Découvrez aussi une interview récente de Luc Brunschwig, le nouveau scénariste de Mic Mac Adam.

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Eric Vermeulen et Cédric Lang
01/02/2004