Entretien avec Philippe Xavier
Philippe Xavier © Manuel F. Picaud / Auracan.com |
« Lire les quatre tomes de Croisade revient à voir un film de deux heures et demi... »
Originaire de la région de Bordeaux, Philippe Xavier a fait des études de publicité en Argentine avant de travailler au Chili. À partir de 1991, il vit aux États-Unis où il réalise des comics pendant 6 ans. Autodidacte, il poursuit Paradis perdu chez Soleil lorsqu’il revient en France en 2003.
Croisade T3 : le Maître des machines
© Xavier - Dufaux / Le Lombard |
À 40 ans, le dessinateur Philippe Xavier se consacre à la série Croisade alliant fantastique et grandes scènes historiques, écrite par Jean Dufaux et mise en couleurs par Jean-Jacques Chagnaud. Le T3, intitulé le Maître des machines, est paru ce 28 mai au Lombard. Auracan.com se devait de rencontrer cet artiste talentueux.
Comment êtes-vous venu à travailler avec Jean Dufaux ?
Tout simplement ! Avec Jean, on aime bien dire que c’est une évidence… Notre rencontre devait se produire. J’avais terminé ma série Paradis Perdu chez Soleil. Le Lombard m’adressait depuis quelques mois des scripts… car ils désiraient travailler avec moi. De mon côté, j’hésitais, pas trop emballé par ce qu’ils me proposaient… Puis un jour, Jean est passé au bureau de cet éditeur et a vu mon travail. Il a été très intéressé. L’éditeur a sauté sur l’occasion et m’a appelé : la rencontre s’est faite. J’habitais à Lyon et j’ai pris le train pour me rendre à Bruxelles. Évidemment, il y a eu un petit moment d’émotion quand je me suis retrouvé face à Monsieur Dufaux, LE scénariste ! Le courant est passé tout de suite et notre amour commun du cinéma nous a rapprochés. Nous avons discuté sur plein de choses… Au Lombard, ils m’ont demandé ce que j’avais envie de faire avec Jean. Je leur ai répondu que j’aimerais bien partir dans l’univers des croisades au sens large du terme. J’avais juste envie de dessiner des paysages grandioses, des cités lointaines perdues dans le désert, des chevaliers, avec un peu de magie par-ci, par-là !…
Croisade T3, extrait © Xavier - Dufaux / Le Lombard |
Croisade T3, crayonné préparatoire
© Xavier - Dufaux / Le Lombard |
L’univers magique était donc aussi un univers graphique que vous souhaitiez…
Oui, parce que les croisades sont bercées par la magie de toute façon. Et Jean a bien développé cette partie-là. Dans le T1, nous sommes partis d’une base bien historique, avec des personnages qu’on peut reconnaître, mais plus on s’enfonce dans l’histoire, plus on tombe dans un conte des mille et une nuits avec de la magie, de l’ésotérisme. C’est ce qui fait le charme et la différence de Croisade.
Croisade T2 : le Qua'dj
© Xavier - Dufaux / Le Lombard |
Comment avez-vous travaillé cet univers graphique original ?
Il y a une base historique certaine. Parmi mes influences, je citerai d’abord Gustave Doré. Il y a aussi des films comme le Cid d’Anthony Mann avec Charlton Heston et Sophia Lauren, Kingdom of Heaven de Ridley Scott et tous les films sur les croisades comme Richard Cœur de Lion et Robin des Bois. Côté bande dessinée, il y a bien sûr les Tours de Bois-Maury d’Hermann : il n’y a que deux ou trois tomes qui se consacrent aux croisades, mais c’est toujours en fond de toile. Il y a encore des tableaux comme à Versailles avec une salle contenant une douzaine de grands tableaux sur les croisades. Je m’imprègne donc de toute cette source d’inspiration historique. Petit à petit, je rentre dans un autre univers car le scénario me demande de créer des choses extravagantes comme la transformation du Qua’dj qu’on verra dans le T3, des personnages comme Sarek Pacha, comme le Maître des machines. Même s’ils ont un côté fantastique, ils restent crédibles car ils sont accessibles au lecteur par tels ou tels éléments, une certaine armure ou un casque. Après, il faut une dose d’imagination : je ne dirais pas que c’est inné, mais c’est quelque chose que je travaille en regardant les films, en lisant des livres. Il faut arriver à le sortir de manière positive. C’est aussi un jeu entre Jean et moi. On se stimule, on a chacun nos envies : moi graphiques, lui scénaristiques. On se tend la perche, on se bouscule un peu et ça donne ce qu’on voit dans Croisade !
Est-ce que les quatre pages qui se déplient ont été difficiles à négocier avec l’éditeur ?
C’est effectivement inédit dans la BD franco-belge. Maintenant, je ne l’ai pas inventé. C’est très fréquent dans les comics américains et dans les bouquins d’art ou de géographie. Là, il fallait l’adapter pour la BD… À mon grand plaisir, Le Lombard a joué le jeu avec beaucoup d’enthousiasme. Et c’est devenu un peu la marque de fabrique de Croisade. Le lecteur s’attend à chaque tome à trouver un dépliant. Pour moi, graphiquement, c’est juste du plaisir et, effectivement, un peu plus de travail. Mais le plus important est pour Jean Dufaux qui doit construire son histoire pour arriver précisément à cet emplacement-là. Techniquement, nous n’avons que deux choix possible : soit exactement au milieu, soit à la fin.
Croisade T3, extrait © Xavier - Dufaux / Le Lombard |
les auteurs de Croisade : Philippe Xavier,
Jean Dufaux et Jean-Jacques Chagnaud
© Manuel F. Picaud / Auracan.com |
Cela signifie-t-il que le prochain tome s’achève ainsi ?
Le T3 se termine en effet par un joli diptyque…
En combien de tomes la série Croisade est-elle prévue ?
Nous allons faire quatre tomes. La série était initialement prévue en trois tomes, mais nous avions beaucoup trop de matériel, de questions à approfondir… Le premier cycle comprendra donc quatre tomes.
Quel a été le cahier des charges confié au coloriste Jean-Jacques Chagnaud ?
Jean-Jacques est très investi dans le projet. Il a fait des recherches très poussées sur les costumes, la couleur des tuniques ou des boucliers en fonction des noms des personnages. J’ai beaucoup de respect pour son professionnalisme. Mon envie de travailler avec lui était toute simple : j’avais vu un de ses derniers albums magnifiquement mis en couleur et j’avais eu un coup de foudre ! Il avait aussi travaillé sur une autre série de Jean Dufaux [Ombres, ndlr]. Avec Jean, nous sommes tombés d’accord sur le nom de Jean-Jacques Chagnaud pour mettre en couleurs Croisade. Il a dû régler certains éléments de son agenda et il a réussi à rentrer dans le projet. Ses couleurs sont vraiment magnifiques, d’autant plus qu’elles sont faites de manière traditionnelle. Ce sont des bleus avec de l’aquarelle, ses petits pinceaux et sa remarquable précision. Il le dit lui-même : son boulot est d’être au service du dessin, d’embellir ce que je dessine, de donner de la lumière et des ombres, et il le fait à merveille. C’est une superbe collaboration !
Croisade T3, extrait
© Xavier - Dufaux / Le Lombard / Auracan.com |
Le Maître des machines est un album graphiquement exceptionnel sur un scénario complexe. Est-ce pour cette raison que Jean Dufaux resitue les événements dans une préface ?
Je pense que la préface qu’a écrite Jean nous oriente immédiatement dans la magie du conte des mille et une nuits. La majorité des gens qui ont acheté Croisade, sans connaître, ont dû penser que ce serait de l’historique pur et simple. Le T1 est parti sur cette base-là. Le magique et le fantastique se lisaient entre les lignes. Le graphisme était très réaliste et très historique. Mais plus l’histoire avance, plus on s’enfonce dans ce côté fantastique. Jean a voulu l’accentuer en écrivant quelques paragraphes dessus.
Discutez-vous ensemble sur le scénario ?
Oui, tout à fait. Jean écrit un scénario complet quand les dessinateurs habitent très loin. C’est le cas pour Ana Miralès ou Béatrice Tillier qu’il voit une ou deux fois par an. Moi, j’ai la chance de vivre à une vingtaine de kilomètres de chez lui. On se voit donc trois à quatre fois par mois. C’est vraiment une étroite collaboration. Je lui montre mes crayonnés avant de les encrer. Là, il change sa casquette de scénariste pour celle de lecteur et il regarde si tout est fluide, si aucun détail ne bloque. Il me donne parfois des indications de cadrage ou de mouvement de caméra. Dans la majorité du temps, c’est très judicieux et cela renforce mon dessin, la mise en page et la narration. Quant à mon intervention sur le scénario, elle se fait un peu inconsciemment. Je suis là et on en parle. Parfois, je ne dessine pas certains éléments prévus parce que je trouve que c’est inutile pour l’histoire et que cela peut même encombrer le lecteur. C’est un jeu que nous construisons tous les jours. On connaît le début et la fin. Entre les deux, on a 200 pages pour y arriver et on les écrit au fil de nos rencontres.
Pouvez-vous résumer ce qu’il va se passer dans les tomes qui viennent ?
C’est l’évolution des personnages, la lutte entre le Bien et le Mal, l’envie du pouvoir. Tout est centré autour du miroir qui tient la clé de ce scénario. L’histoire est un jeu d’acteurs sur fond de toile des croisades. Il va y avoir des personnages qui vont mourir… Lire les quatre tomes de Croisade revient à voir un film de deux heures et demi. Quand les quatre tomes seront sortis, ce sera plus accessible qu’en lisant chaque tome à leur sortie.
Croisade T3, extrait © Xavier - Dufaux / Le Lombard |
Croisade T1 : Simoun Dja
© Xavier - Dufaux / Le Lombard |
À partir de cette série, avez-vous d’autres idées et des projets pour la suite ?
Oui, il y a des projets, mais j’ai principalement l’envie de travailler avec Jean Dufaux. Je pense me concentrer sur Croisade. Ce serait très bien de faire un deuxième cycle car il y a de quoi raconter, de belles images à dessiner. On a un autre projet qu’on développera par la suite, mais j’ai besoin de me concentrer sur une chose à la fois. Sinon, j’ai envie d’aller explorer un autre univers et c’est dangereux. On se dirige vers des genres de one-shot qui s’intercaleraient entre deux épisodes de Croisade.
Dans un univers différent ?
Oui, mais je tiens à garder cet aspect de puissance, de narration très épique avec du souffle, de beaux paysages et des personnages qui sortent du commun…
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Propos recueillis par Manuel F. Picaud entre octobre 2008 et mai 2009
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Remerciements à Diane Rayer
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