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Entretien avec Emmanuel Herzet et Éric Loutte

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Éric Loutte et Emmanuel Herzet à Toulon © Auracan.com
« Ne pas faire un Alpha bis... »

Après le succès réussi des extensions des séries le Triangle Secret et le Décalogue chez Glénat, sans oublier l’univers de Lanfeust de Troy chez Soleil, les éditeurs du Groupe Média Participations enchainent ces dernières années les séries dérivées de leurs séries les plus populaires : XIII Mystery chez Dargaud, All Watcher - I.R.$. ou bientôt les Mondes de Thorgal au Lombard.

Le nouveau venu est Alpha Premières Armes qui revient sur les premiers pas de l’un des plus séduisants espions qu’ont créé Iouri Jigounov et Pascal Renard au Lombard.

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Alpha Premières Armes T1
© Loutte - Herzet / Le Lombard
Alors que Iouri Jigounov s’est émancipé de Mythic qui écrivait le scénario depuis le décès du créateur, les éditions Lombard ont confié à Emmanuel Herzet (la Branche Lincoln) et Éric Loutte (Biggles, Team Rafale) le soin de se plonger dans l’histoire originelle d’Alpha et de la raconter.

Les premières images sont épatantes. Il n’en fallait pas plus pour qu’Auracan.com cherche à rencontrer les deux auteurs. Entretien avec un nouveau tandem de toute apparence comblé et parti pour travailler sur plusieurs projets ensemble...


Quels sont les arguments que vous a fait valoir Le Lombard pour vous proposer cette extension de la série Alpha ?
Éric Loutte : C'est Yves Sente qui était directeur éditorial à l'époque et à qui on doit rendre grâce de ce projet. Je travaillais sur la série Biggles qui était tombée dans son escarcelle après le rachat par Dargaud aux éditions Miklo et je pense que le Lombard n'était pas très enthousiaste pour envisager un développement de cette série. Raison pour laquelle Yves Sente m'avait proposé de leur soumettre quelque chose de neuf et de plus personnel. À défaut, il avait un projet: c'était le spin-off d'Alpha. De son propre aveu, il aimait mon dessin réaliste ligne claire qui était sous-employé précédemment. Comme j'étais lecteur de la série de Jigounov et admiratif de son travail, j'ai accepté la proposition sans trop savoir ce qui m'attendait. Une chose était certaine, j'allais pouvoir sortir des bacs « BD d'aviation » chez les libraires et découvrir de nouveaux horizons.

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Alpha Premières Armes T1
© Loutte - Herzet / Le Lombard
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Alpha Premières Armes T1, extrait de la planche 18
© Loutte - Herzet
Le Lombard
Emmanuel Herzet : Au départ, un désir éditorial de décliner autrement une série phare du catalogue. Une série dont le potentiel le permettait. L’envie d’en donner plus aux fans d’Alpha, aussi. Nous n’échapperons pas aux remarques du genre : « la tentation de céder à la mode des spin-off, peut-être ? » Sauf que, dans ce cas-ci, je parlerais plutôt d’une préquelle car on ne retire pas un personnage emblématique de l’univers Alpha pour raconter son histoire. On parle bien du personnage principal en mettant quelques wagons avant la locomotive de la série-mère. Je comparerais ça à Redemption, la préquelle à la saison 7 de 24H-Chrono. J’ai d’abord failli décliner l’offre alléchante. Je ne me sentais pas prêt à relever un tel défi. Et puis en rentrant chez moi, l’idée d’user mes dents de lait de scénariste sur un tel morceau m’a ouvert l’appétit ! [rires] Je me suis dit : « Soyons fou ! »

Étiez-vous en concurrence avec un autre auteur ? Avez-vous dû faire des essais ?
EL : Je n'ai jamais entendu ou lu que la proposition avait été faite à d'autres, je n'ai d'ailleurs jamais posé la question aux gens de l'édito. Pour mon égo, j'ai envie de croire que non, mais j'imagine que ça a pu se faire. En revanche, ce sur quoi je leur suis reconnaissant, c'est de la confiance qu'ils m'ont accordée, en me lançant sur ce défi sans le moindre essai. Ce qui doit laisser songeur d'autres éditeurs...
EH : Je n’ai pas osé poser de questions concernant la concurrence. Le moindre nom m’aurait tétanisé, je crois [rires] ! Très honnêtement, je ne sais pas. Je suppose que l’éditeur avait d’autres noms sous le coude si mes premières propositions n’avaient pas rencontré ses attentes. J’ai couché une biographie partielle du personnage, suggéré une demi-douzaine d’embryons d’intrigues, envoyé le tout à l’éditeur et... brûlé quelques cierges [rires] !

Avez-vous travaillé avec les auteurs historiques Jigounov et Mythic?
EL : Tout s'est ficelé à l'occasion d'un excellent repas, où tous ensembles, Jigounov et Mythic inclus, nous avons échafaudé ce projet. Mais, au-delà de ce moment de rencontre conviviale, aucune collaboration active ne s'est faite avec les auteurs de la série originelle. Je suis par ailleurs admiratif de leur travail conjoint.
EH : En ce qui concerne le scénario, Mythic a accepté de lire le script du T1 pour lequel il m’a donné des conseils. Pour le reste, j’ai été très libre dans la manière de mener le projet à bien.

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Alpha Premières Armes T1, extrait de la planche 18 © Loutte - Herzet / Le Lombard

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Alpha Premières Armes T1, extrait de la planche 31
© Loutte - Herzet
Le Lombard
Quel a été le cahier des charges scénaristique ?
EH : En bon pédagogue, l’éditeur n’a pas multiplié les exigences du cahier des charges car trop de contraintes nuisent à l’élan créatif et en mauvais élève, je n’en ai retenu… qu’une ! Celle que j’ai considérée comme essentielle à mes yeux : « Ne pas faire un Alpha bis » Pour moi, cela passait par l’évacuation au fil des premiers tomes de l’aspect agence gouvernementale pur et donc du "costume-cravate-holster-bien-ciré".

Qu’est-ce qui vous a paru le plus complexe ?
EH : Oser m’attaquer à une de mes séries fétiches en tant que lecteur et donc, quelque part, de désacraliser tout ça. Et aussi passer après l’excellent album synthèse Mensonges qui balisait déjà bien la jeunesse du héros. Il restait quelques zones d’ombre entre les facs et l’entrée à la CIA de Tyler. Enfin, encore aujourd’hui, la hantise d’un short-cut avec la série-mère reste un aspect complexe de la préquelle.

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Alpha Premières Armes T1, extrait de la planche 7
© Loutte - Herzet / Le Lombard
Quel a été le cahier des charges graphique ?
EL : Hormis la ressemblance évidente du personnage, ce qui ne fut pas simple (car une fois ses cheveux coupés, Tyler perd un peu de sa superbe) aucune imposition ne m'avait été faite. Le souhait d'Yves Sente était que je garde ma propre écriture graphique puisqu'il ne s'agit pas d'une double production d'Alpha mais presque d'une série à part entière qui cherche ses origines dans la série-mère. Cela dit, étant conscient qu'il fallait garder, autant que faire se peut, les lecteurs déjà attachés à Iouri, c'est moi qui ai créé un maximum de « passerelles » vers la série originelle. J'ai d'ailleurs à ce propos sollicité copie de toutes les planches au trait, de Iouri, au format un sur un. C'est à ce moment précis que mon projet de suicide s'est précisé à mon esprit...! Jigounov, avec un trait épuré, avait résolu un tas de difficultés avec lesquelles je croisais le fer quotidiennement. Structurellement, son dessin n'a pas de défaut. Je crois que c'est ce qui m'a le plus perturbé. Je prenais conscience, là, de la falaise qu'il me restait à gravir. On a d'ailleurs, en aval, tenté au niveau des couleurs, de rivaliser avec le maître russe. Nous avons juste réussi à nous en approcher.

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Alpha Premières Armes T1, extrait de la planche 37
© Loutte - Herzet
Le Lombard
Quel est dans les grandes lignes le pitch du premier épisode ?
EH : Imaginez un système de renseignement ultime qui collecterait toutes les données informatiques du monde à titre préventif, la puce TH-1... Sous couvert d'une société privée, Thirdnail, et à force de corruption, certains responsables de la CIA et du gouvernement américain ont fait de ce cauchemar une réalité. En quelques années, ils ont implanté leur mouchard dernier cri, dans 90% des ordinateurs du monde ! L'une des puces à la mauvaise idée de défaillir dans l'ordinateur de Kyle Thomson, informaticien de métier, fouineur par vocation. Lorsque ce dernier prend la tangente en direction de la Chine, avec le précieux TH-1, Thirdnail n'hésite pas à organiser, au pied levé, un détournement d'avion. Heureusement, l'armée américaine possède un bataillon d'élite non loin de là ! L'occasion pour le jeune sergent Dwight Delano Tyler de faire ses premières armes en situation réelle ! D'éprouver la dure réalité du terrain et des cicatrices qu'elle laisse...

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Alpha Premières Armes T1, extrait de la planche 43
© Loutte - Herzet / Le Lombard
En combien d’albums est prévue cette extension de la série Alpha ?
EH : L’éditeur a annoncé un premier cycle de trois tomes aux libraires. La période couverte par l’histoire sera obligatoirement assez ramassée dans le temps. Je dirais deux ou trois ans de vie réelle. À peine plus, peut-être. Et ce sera réalisé par la même équipe.

Éric, avez-vous abandonné vos autres projets chez Zéphyr ? Et quels sont vos autres projets ?
EL : En parallèle avec la réalisation du spin-off Alpha, j'avais lancé chez Zéphyr la série Team Rafale qui, contre toutes attentes, a trouvé un accueil inattendu. Et la demande s'est faite plus pressante, pour une nouveauté tous les ans, ce qui m'était impossible d'envisager compte tenu de la commande du Lombard. Par souci d'emploi du temps, j'ai donc renoncé au dessin de cette série d'aviation pour mener à bien ce dont nous parlons. Mais mon passage chez Dupuis pour une reprise de Buck Danny a rappelé au Lombard que Team Rafale leur avait été proposé en premier. À l'époque, Yves Sente, comme pour Biggles, n'avait pas envisagé un avenir pour une BD d'aviation dans son catalogue. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque le Lombard, par la voix de son nouveau directeur éditorial, Pôl Scorteccia, me proposa de combler un vide et de leur créer une série d'aviation avec carte blanche ! J'ai alors proposé qu'Emmanuel reste associé à mon dessin sur ce nouveau projet, tant nous étions bien accordés sur Alpha. Cette nouvelle série Centaures mettra à l'honneur l'aéronautique navale par son avion vedette, le Rafale Marine. Autre anecdote, c'est que là, pas plus qu'auparavant, des essais ne nous ont été sollicités. Ce qui devrait, encore, laisser songeurs d'autres éditeurs...

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Alpha Premières Armes T1, recherches pour la couverture © Loutte - Herzet / Le Lombard

Emmanuel, quel sont vos autres projets ?
EH : Centaures dont Éric Loutte vient de parler. Une série d’aviation moderne, réaliste et très documentée. Une série de capes et d’épées, milieu du 17ème siècle, parlant d’alchimie et… d’espionnage, on ne se refait pas, avec un dessinateur italien, Alessio Coppola, au talent aussi prometteur que son nom est évocateur pour moi. Enfin, une série d’action dont les acteurs majeurs sont des agents spéciaux de la DEA infiltrés avec, cette fois, l’excellent Giuseppe Liotti au dessin, lauréat du concours Raymond Leblanc et auteur du dernier tome des Fils de la Louve. Il est peut-être un peu tôt pour parler de tout ça plus en détails. Une autre fois en votre compagnie, sans doute... En tout cas, ce sera avec plaisir. Merci de nous offrir ce « quart d’heure de gloire », comme disait Warhol, sur Auracan.com et bonne lecture à tous !

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Alpha Premières Armes T1, extrait de la planche 31 © Loutte - Herzet / Le Lombard

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en février 2010
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
Coordination rédactionnelle : Brieg F. Haslé
© Manuel F. Picaud / Auracan.com

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Manuel F. Picaud
04/03/2010