Une enquête du Commissaire Illiès
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Brigade Criminelle du troisième district de
NY. Groupe Homicide, centre de Brooklyn.
Ici, on ne s'occupe pas de cambriolages, de vols à
l'arrachée ou de voies de faits. On ne s'occupe
pas plus des types armés, des types désarmés,
des à cran, des pas à cran et les kilos
de rapports y afférents
Ici, place aux
gros poissons.
Et de poissons, j'en avais deux beaux spécimens
qui m'attendaient dans mon bureau
Au vu de leur palmarès, on aurait pu s'attendre
à une rencontre des plus agitées
Pas du tout !
Ils s'étaient laissées arrêter sans
protester, sans dire un mot. C'étaient les prévenus
les plus tranquilles que j'ai assis face à moi.
Le plus âgé contemplait fixement le sol,
les sourcils froncés comme lors d'une profonde
réflexion, le second regardait béatement
chaque recoin de la pièce un sourire ravi aux
lèvres comme un gosse qui découvre DisneyWorld.
D'un signe je donnais l'ordre à mon adjoint de
leur ôter leurs menottes. Le face à face
allait pouvoir commencer.
Procès Verbal du 12 avril 2002 - 5:13 P.M.
Jean LETURGIE
né le 24/12/1803
à Caen
(Capricorne)
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WANTED
DEAD OR ALIVE
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Simon LETURGIE
né le 26/7/1974
à Caen
(Lion)
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Connus des services de police sous le pseudo «
Los Léturgicos »
Interrogatoire mené par
: Le Commissaire Illies DZANOUNI
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assisté du Lieutenant
Anthony LETTELIER
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Le Commissaire Illies commence l'interrogatoire:
Bon... Que le paysage de la
bd d'aujourd'hui compte une nouvelle série dans
le genre action/humour fut-elle avec de gros nez ne
peut que me réjouir
Que ladite série soit pré-publiée
dans une revue destinée à la jeunesse
me peine un peu mais soit
Que ladite jeunesse puisse ainsi découvrir l'intimité
et les formes affolantes de la prestigieuse journaliste
de BNN, j'ai nommé Miss Balconi, je tique un
peu mais soit encore
Mais que je cite : « Suite à une vision
traumatisante où deux héros de bd se font
maltraiter hors des limites du raisonnable sur fond
d'explosions ayant détruit la moitié de
la ville et engendrant des quantités de sang
frôlant l'absurde », je me retrouve avec
des milliers des lecteurs, dont mon neveu, souffrant
de lésions psychologiques graves, là je
tique un maximum !!!
Alors, on va reprendre
calmement depuis le tout début, histoire d'essayer
de vous trouver des circonstances atténuantes,
ok ?
Léturgie père & fils :
Bien (
) Votre enfance
à vous Jean est bercée par les lectures
de Zig & Puce et
des Pieds Nickelés tandis que Simon, préfère
lire Papyrus, Les Petits Hommes, XIII
et récemment les ouvrages de Christophe BLAIN.
Rien de bien violent en somme
Que lisiez-vous
d'autres ?
Simon : Monestier, des biographies, le Petit
Prince... Tout ce qui permet de perdre son temps
en étant surpris.
Jean : CAMI
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Là
pour le coup, je laisse passer quelques secondes
de silence
J'ai bien vu au regard malicieux
que le « vieux » m'a glissé
de biais au moment de me répondre qu'il
me lançait un défi !
Les truands usent souvent de cette méthode
: une sorte de bras de fer où le vainqueur
prend définitivement les rennes de l'interrogatoire
!
Il avait dit CAMI
Si jamais, il
me prenait l'envie de le corriger en lui disant
: « Tu voulais sûrement dire CAMUS
» pour sûr, je passais pour un con
Je me tourne donc lentement vers mon arme secrète
: le Lieutenant Anthony LETELLIER
Ce garçon fait partie des gens qui savent
quantités de choses ahurissantes. Qui avaient
écouté à l'école d'une
part et qui avaient continué d'engranger
par la suite des connaissances par wagons citernes.
Des connaissances parsemées de détails
dont tout le monde se fout et qui ne semblaient
pas l'aider mieux qu'un autre à se démerder
dans l'existence mais aujourd'hui pourtant, ça
allait vachement m'aider.
Un clin d'il de ma part et le convoi de
wagon citernes se mit en marche.
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Lieutenant LETELLIER : « CAMI,
humoriste né en 1888, mort en 1958, était
très apprécié des sur-réalistes
et de Jacques PREVERT. Dans ses textes, s'alternent
avec virtuosité le grotesque, le sublime,
la bouffonnerie et le pathétique. Il connut
la gloire entre 1910 et 1930 puis plus rien. Charlie
CHAPLIN, le considérait comme le plus grand
écrivain humoriste du monde. Il connut
la consécration en 1953 en obtenant le
grand prix d'humour international. L'un de ses
récits les plus remarqués fut le
petit chaperon vert, une version impertinente
du célèbre conte de Perrault »
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Le petit « speech
» du lieutenant, débité sur
un ton monocorde, régulier et implacable
avait fait son effet : LETURGIE père était
abasourdi. Il savait qu'il venait de perdre la
partie. Il murmura : « Et puis j'aime bien
aussi Arsène Lupin » puis résigné
il se tut et attendit la suite.
Je poursuivais...
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Si ce n'est de vos lectures, cette envie de sang
vient bien d'ailleurs
la télé ?
J : mes yeux ne me permettent plus de regarder
la télé.
S : moi je ne regarde que les docs animaliers.
Le cinéma ?
J : Méliès et les frères
Lumière sont ceux qui m'inspirent le plus.
S : Moi, c'est les salles obscures elle même
qui m'inspirent. Etre plongé dans le noir doit
nous préparer à la mort. D'ailleurs, ne
dit-on pas « le cinéma, c'est la vie !
»
La musique ?
J : j'aime beaucoup Mireille et le petit
conservatoire
S : Et moi le requiem de Mozart et de Verdi.
Et à part ça, à quoi occupiez
vous votre temps ?
J : Les vacances, les voyages
S : Les voyages aussi, les rencontres. Le monde
est trop grand, la vie est trop courte.
Il commençait à m'énerver celui-là
à faire le mariole
j'enchaîne:
Des héros dans la vie ? Des personnes qui
ont marqué votre existence ?
J : Jean Mermoz
S : Peter FREUCHEN.
« Moi je sais ! moi je sais ! »
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Une quinte de toux plus tard et le Lieutenant
prit immédiatement le relais...
Lieutenant LETELLIER: Peter FREUCHEN,
explorateur polaire du début du XXème
siècle, grand ami de l'anthropologue Knud
Rasmussen avec lequel il entreprit plusieurs expéditions.
Il est le premier blanc de l'histoire des esquimaux
polaires à avoir choisi de vivre en arctique
et d'y fonder une famille en épousant une
jeune esquimaude. On peut lire le récit
de son expérience dans « aventure
arctique : ma vie dans les glaces du nord »
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Le père et le fils se lancent un regard désolé
J : Je suis trop vieux pour ces conneries
S : Vivement la fin
Ils étaient « cuits » !
Jean Léturgie, je lis dans votre dossier
que passionné de bd depuis tout petit, vous passez
un Bac C suivi de deux ans de Maths/Physique en fac.
En 1976, vous collaborez aux « Cahiers de la BD
» édités par Jacques Glénat
où vous réalisez, entre autres, un entretien
avec Morris. De fil en aiguille, Jacques Glénat
vous propose l'emploi d'attaché de presse. Cela
vous a permet de mieux connaître les coulisses
du monde de la BD, de voir comment ça fonctionne,
comment travaillent les dessinateurs et c'est ce qui
vous a donné envie d'écrire.
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Vos vieux penchants pour Johan & Pirlouit
vous font particulièrement apprécier le
moyen âge. Vous prenez rendez-vous avec un certain
Philippe Luguy et 1983 voit la naissance de Percevan.
Vingt ans après, comment se passe votre collaboration
?
J : Vingt ans après, nous avons
vingt ans de plus. Luguy a déménagé
en Normandie et je suis resté à Paris.
Heureusement, il y a le téléphone, le
fax, internet. Toutes ces merveilles de la technologie
mises au service d'une série à tendance
moyenâgeuse.
On se voit de temps à autre, mais la collaboration
a pris une tournure virtuelle. Après s'être
mis d'accord sur l'histoire, j'entame le découpage
au fur et à mesure qu'il dessine, avec deux à
trois pages d'avance. Cela permet de moduler le récit
en fonction des envies de chacun qui peuvent apparaître
en cours de route.
C'est bien que Luguy, ne dessine pas plus vite. Ce doit
être diabolique un dessinateur qui te dit «
Envoie-moi la suite, j'ai fini, qu'est ce que je fais
? ». C'est une incitation à faire n'importe
quoi. Malheureusement pour l'éditeur, mais heureusement
pour moi, Luguy prend son temps. C'est d'ailleurs ce
qui conditionne la qualité de ses dessins, leur
fini, leur fouillé
et c'est ce qui fait
que l'avenir de Percevan est radieux ! Les lecteurs
suivent, l'éditeur est surpris du bon accueil
et des ventes malgré sa volonté de sortir
l'album sans tambour, ni trompette.
Percevan par Jean Léturgie
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Percevan par Simon Léturgie,
âgé d'une dizaine d'années.
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Pour les dernières aventures de Percevan,
les lecteurs doivent en plus attendre deux albums pour
avoir une histoire complète
J : Le problème des histoires en 46 planches
c'est qu'elles obligent à condenser le récit,
mais effectivement c'est plus rationnel pour le lecteur.
Nous y reviendrons certainement.
Au fil de ses aventures, votre chevalier errant
dévoile de plus en plus son coté humain
: il a ses moments de crise de colère, de doute
Allez-vous le transformer en anti-héros ?
J : Percevan ne sera pas un anti-héros.
Sa période de doute a commencé après
la Table d'Emeraude et il y a gros à parier
qu'elle se terminera après sa douzième
aventure. Après celle en cours nous devrions
revenir à un Moyen Âge plus traditionnel.
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