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Lucky Luke - T19: Sarah Bernhardt

A la même époque, vos fonctions vous amènent à rencontrer un certain Xavier Fauche, qui réalisait l'émission de José Arthur sur France Inter. Vous sympathisez et quelques temps plus tard, par votre intermédiaire, Fauche propose à Morris de confronter Lucky Luke et Sarah Bernhard. Morris donne son feu vert. Fauche qui, à l'époque, ne maîtrise pas le découpage BD vous propose de travailler avec lui. Vous élaborez un synopsis, découpez trois pages et soumettez le tout à Morris. L'album de ce héros mythique crédité de vos noms paraît en 1982.
J : Là on s'est dit qu'on pouvait mourir tout de suite (rires).

Après ça, pas mal de numéros séparent chaque collaboration entre vous et Morris : au n°19, Sarah Bernhardt, succédait le volume 23 : Le Daily Star puis le tome 28 : Le Ranch Maudit
J : Morris, après la mort de Goscinny, ne souhaitait pas s'attacher un scénariste précis, d'où ces collaborations épisodiques. Je l'ai toujours regretté car ça ne permettait pas de donner de la cohésion à l'humour dans Lucky Luke, ce qu'avait réussi à faire Goscinny. Mais bon, ça a été le choix de Morris.

Kid Lucky - T1

En 1993, naissent les premiers albums de Rantanplan
J : Comme entre deux aventures de Lucky Luke nous avions un peu de temps, Xavier et moi avons pensé à mettre sous les projecteurs le personnage de Rantanplan. Morris a été d'accord sous réserve qu'il ne le dessine pas. Nous nous sommes donc mis en quête de trouver un dessinateur apte à dessiner façon Morris. Je crois que c'est Michel Lieuré qui a pensé à Michel Janvier.

Et en 1995 paraît la première aventure de Kid Lucky
J : Avec Pearce…

Pearce ?
J : Pearce est le pseudo de deux personnes qui souhaitent différencier ainsi cette production grand public de leur production habituelle plus adulte. S'ils ont choisi un pseudo, ce n'est certainement pas pour que je dise qui ils sont.

 

Léturgie père, n'était pas tombé dans le piège… mais je n'avais pas dit mon dernier mot. Pearce était, lui aussi, activement recherché par nos services pour des crimes horribles et innommables. Il me fallait coûte que coûte connaître son identité… Je lui fis signe de continuer.

J : Avec Pearce, nous souhaitions faire une série western qui mette en scène un jeune garçon façon Tom Sawyers. Il nous paraissait intéressant de montrer l'histoire de l'Ouest vue par un gamin. Nous en étions là de nos cogitations lorsque Pearce scénariste a proposé d'adapter l'idée à Lucky Luke. Nous avons trouvé un nom au gamin (Kid Lucky), réalisé deux pages et soumis le résultat aux gens de Lucky Productions et à Morris.

En 1999, devait paraître le deuxième volume de Kid Lucky. Au dernier moment, cet album ne sera pas mis en vente mais offert à l'occasion du 50 ème anniversaire de Lucky
J : Oklahoma Jim aurait du paraître en janvier 1997. Le pseudo de Pearce ayant été omis sur les albums, la parution a été reportée. L'affaire a pris des proportions effarantes dans la mesure où il y avait 150 000 albums imprimés, et les relations se sont dégradées entre l'éditeur et Pearce... et avec moi aussi qui suis devenu le bouc émissaire d'un conflit qui m'était totalement étranger. Fin 97, sans nous prévenir, l'éditeur a offert ces albums en prime gratuite pour l'achat d'un album de Lucky Productions. Outre le fait qu'une telle pratique va à l'encontre des lois, elle bafoue le travail des auteurs et nous ne pouvions rester sans réagir.

Tout en l'écoutant, je saisis l'album en question. Sur la page de garde, une mince pellicule dorée portant les noms de MORRIS, PEARCE et LETURGIE semble recouvrir autre chose (véridique)… Je la pose sur une table lumineuse et la vérité sur PEARCE m'apparaît d'un coup ! Cachant mal, mon émotion, je reprends...

Extrait de Cotton Kid - T2

Ce litige a donc résulté du fait que les noms de Yann et Conrad soient mentionnés au lieu de celui de Pearce…
J : Toutes ces affirmations n'engagent que vous ! Je n'ai pas grand chose à dire sur le sujet ! si ce n'est que nous attendons la décision du juge depuis presque deux ans.
Suite à cette affaire, dont une fois de plus seul l'éditeur était responsable, Morris n'a pas souhaité donner suite à Kid Lucky. Nous avons donc repris notre idée initiale de gamin à la Tom Sawyers, et lancé chez Vents d'Ouest le duo Petit Frère, Grand Frère détective chez Pinkerton que l'on retrouve sous le titre générique de Cotton Kid, puisque les protagonistes sont les fils d'un propriétaire de champs de coton.

Cotton Kid… Pearce… Yann… Conrad… Je savourais doucement ma découverte tandis que le Lieutenant tapait déjà les mandats d'arrêt des sus-nommés. Mais l'atmosphère s'était considérablement dégradée et il n'allait plus être si facile de les faire parler. Léturgie père en avait trop dit.

Je prend alors la décision de leur servir quelque chose à manger…ça fait partie de ces nouvelles méthodes policières pour désamorcer les situations critiques. A ma proposition, le fils réclame du filet de dinde au curry, riz basmati avec de la « mort subite » (il ne manque vraiment pas d'air celui-là). Le père est plus raisonnable et demande juste des pommes de terre à l'eau et du Smecta. En nous voyant faire des gros yeux, il précise rapidement que c'est une nécessité due à son âge.

Sitôt, le repas fini et l'ambiance étant à l'embellie, je me tourne vers le fils LETURGIE. Il était temps de le cuisiner un petit peu celui-là…

Le métier de votre père fait que votre enfance est baignée dans l'univers de la bande dessinée. Vous avez même, je vous cite : « J'eus l'immense bonheur de voir Franquin pour la première fois vers huit, neuf ans. » Vous accompagniez Jean qui avait à l'époque un emploi étrange, il réalisait des interviews. Ca vous donne envie de dessiner à tour de bras, et après un Bac A1, vous faites vos débuts chez Spirou en 1992 où vous signez des récits sous les pseudos de Slet ou Squad.

Simon et Jean Léturgie
« Une enfance baignée par la bd…Et la musique ! »

En 1996, vous réalisez, avec votre père, Polstar aux Editions Eigrutel, anagramme de votre nom puisqu'il s'agit de votre propre maison d'édition…
S : Nous sommes partis dans le flou, avec beaucoup d'envies. Au départ, ça ne devait être qu'un album à la Spirou avec une histoire de vengeance. Tout était dans l'univers gentil des personnages « gros nez ». Ca a dévié rapidement. A l'époque, j'étais jeune et avais envie de tout faire sauter. Jean, de son coté, sortait de séries « conventionnelles ». On a pris toutes nos libertés. Tant et si bien qu'on a été obligé de faire de l'auto édition. Nous aurions du faire trop de coupes et de concessions chez un éditeur traditionnel.

Polstar - Ex-libris pour Fantasmagories

J : J'étais parti sur une trame traditionnelle et petit à petit je me suis collé à l'univers de Simon. Rapidement on en est venu à faire du gore, un genre peu courant en BD et encore moins en BD humoristique. Comme nous voulions faire du cinéma de papier, les clins d'oeil, les cadrages, le rythme ont suivi.
S : Puis Vents d'Ouest nous a proposé de reprendre Polstar à leur compte peu de temps après la sortie du premier Spoon. Nous souhaitions un partenariat avec notre interlocuteur et non un bête rapport auteurs/éditeurs. Ca implique une prise de risque partagée et un réel engagement sur la série. Vents d'Ouest est une structure a taille humaine, on peut discuter avec les bonnes personnes. Ils ont accepté de jouer le jeu. Pour notre part, nous n'avons plus à gérer les stocks, ce qui nous permet de consacrer davantage de temps à notre vrai métier.
J : En fait, les Polstar étaient en voie d'épuisement et il fallait tous les rééditer. Pour une petite structure comme la notre, il est difficile de prendre en charge des albums dont la courbe des ventes s'emballe. La proposition de Vents d'Ouest est tombée à pic.
Une suite est prévue à cette saga. Alors, que l'aventure semblait avoir trouvé son terme : la mort des trois sages et de leurs clones…
S : En août, pour être exact. Nous repartons pour une trilogie. Elle reste cohérente avec la première. Nous évoquons les thèmes du monopole des sources de vie : air, eau, etc...

Enfin, et en 1999, Le monde fait la connaissance du duo Spoon & White, la pire paire de flics de toute la bd…
S : C'est Yves Schlirf qui, au départ souhaitait nous faire produire moult albums de Tekila, une autre de nos séries, nous a fait une demande dans ce sens. Comme il n'y avait pas de BD grand public humoristique d'action. Nous souhaitions combler ce vide dans nos bibliothèques. Il a été déçu qu'on lui propose l'histoire de deux flics amoureux d'une journaliste à gros seins, avec des noms aussi ridicules que Spoon (petite cuillère) et White (blanc). Nous avons ensuite fait un petit tour des éditeurs (Dargaud, Humanos, Dupuis). Ce dernier a été le seul à accepter.

Tekila (c) John Eigrutel Prod.

La série devait s'appeler Spoon mais un journal portant ce nom est sorti peu de temps avant. Nous avons rebaptisé la série pour éviter tout parasitisme. White vient de Bud White, dans L.A. condidential, un film que j'aime bien.
Le rythme de parution dépend des vacances de Jean et de Franck ISARD qui a signé avec mon père L'œil du requinaux éditions Eigrutel en 1996 et qui nous a rejoint sur cette série où il assure les décors.

Les deux premiers albums ont été rapidement épuisés. C'est un franc succès!

Spoon & White - Ex-Libris pour Sans Titre

S : par rapport à certains albums, oui, comparé à d'autres, non.

Le volume 4 de leurs aventures déjantées a pour toile de fond la ville de Londres. Comme d'habitude, ces deux hurluberlus font ce voyage avec pour mission de coller aux fesses de Balconi. Le p'tit teigneux et le grand maigre en prennent plein la gueule et leur quête pour conquérir la journaliste rencontre encore un mur… De plus, le titre « Spoonfinger », nous met sur la voie d'une parodie de James Bond qui n'a pas l'habitude de faire dans la dentelle question explosions. En clair, vous cherchez les ennuis !
S : Oui mais cela doit rester secret.

Je prend note… Bien, il ne me reste plus qu'à vous déférer au parquet…Ah j'oubliais ! On a reçu un coup de fil d'un certain Mr. Tinlot qui nous a dit, je cite : « Toutes les planches du prochain album ayant été livrées et suite à une sombre affaire de coupes budgétaires, je me vois désolé de ne pas pouvoir vous faire assister de nos avocats maisons… »
En clair votre séjour ici, messieurs, risque de se prolonger quelques temps…

 

Epilogue : Ce jour là, on entendit longtemps, les cris des « Los Létugicos » enfin derrière les barreaux ! « C'est dégueulasse! », « On n'a rien fait ! », « C'est une erreur judiciaire ! » … tsss « Suckers », ils disent tous ça !

Propos recueillis par Illies Dzanouni
Reproduction interdite sans autorisation préalable
© Auracan, 2002
Illustrations © Simon Létrurgie, Jean Léturgie & Dupuis (Spoon & White), Dargaud (Lucky Luke, Kid Lucky), Vents d'Ouest (Polstar, Cotton Kid)

Pour tout connaître sur les coulisses de la création de Spoon & White et les méthodes de travail particulières du trio LETURGIE/YANN/LETURGIE, précipitez-vous sur le site officiel des Productions Eigrutel. Vous pourrez y découvrir, entre autres surprises, des planches du nouveau Polstar et l'hommage à Franquin tout en couleurs !

Un grand Merci :
- A Jean & Simon LETURGIE, pour avoir accepté de jouer le jeu !
- A Deborah NAUDOT, attachée de presse Dupuis, pour son aide précieuse.
- Au fanzine «Les Lames Vorpales ! » pour le complément de biographie sur LETURGIE père.
Et à Fred Vargas pour ses ambiances de commissariat qui nous ont si bien servi !

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