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Entretien avec Fred Bernard

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Fred Bernard
© Manuel F. Picaud / Auracan.com
« L'Homme bonsaï contient tous les clichés des romans de piraterie que j'adore ! »

Étonnante histoire que celle de l’Homme bonsaï !

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© Fred Bernard / Delcourt
Après avoir écrit un conte pour enfants illustré avec maestria par l'excellent François Roca (paru en 2003 chez Albin Michel Jeunesse), Fred Bernard revisite son récit pour en tirer un superbe album de bande dessinée (Delcourt, collection Mirages).

Rencontre dans un célèbre port corsaire…

Quelle fut ton envie d’adapter en BD l’Homme bonsaï, un récit jeunesse que tu avais écrit en 2002 pour ton vieux complice François Roca ?
C’est la deuxième fois que je fais cela, j’avais déjà adapté en bande dessinée Jeanne et le Mokélé que j’avais signé en jeunesse avec François et qui est devenu la Tendresse des Crocodiles au Seuil. Précisons que je m’étais auto censuré sur l’Homme bonsaï : j’avais en tête une histoire d’amour que je ne pouvais décemment pas placer dans un album jeunesse. Cela faisait cinq années que j’y pensais… C’est aussi le résultat de ma rencontre avec Guy Delcourt qui m’a proposé de travailler avec lui au sein de la collection Mirages. Comme je voulais faire ce bouquin en couleurs, cela tombait bien.

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l'Homme bonsaï, planche 3 "remontée" © Fred Bernard / Delcourt

Guy Delcourt connaissait-il l’album jeunesse ?
Non, et c’est amusant d’ailleurs. Quand je lui ai proposé de l’adapter en bande dessinée, je lui ai donné à lire le livre réalisé avec François Roca. Guy s’est bien demandé comment je pouvais en faire une bande dessinée ! Je lui ai répondu que c’était mon boulot, et que j’avais mon idée pour y parvenir…

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© Fred Bernard / courtesy collection Brieg F. Haslé
L'Homme bonsaï
de Fred Bernard

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© Roca - Bernard
Albin Michel Jeunesse
Un soir, à la taverne du « Homard manchot », le capitaine O'Murphy évoque l’épisode le plus stupéfiant d’une vie passée à sillonner les mers du globe. Devant un auditoire captivé (qui en a pourtant entendu d’autres), il raconte jusqu’à l’aube les incroyables aventures d’Amédée le potier : un homme ordinaire dont le destin sera à la fois tragique et fantastique…

Durant une tempête, le capitaine O'Murphy et deux marins abordent un navire en perdition dans lequel est planté un arbre colossal. Incrédules, ils l'entendent lui demander d'écouter le récit de son destin tragique. Il s'appelle Amédée. Il fut enrôlé de force sur un navire pirate, puis abandonné sur une île. Là, il sentit une graine lui tomber sur la tête, et, très lentement, se transforma en arbre...

L'Homme bonsaï par François Roca et Fred Bernard, Albin Michel Jeunesse, 2003
L'Homme bonsaï par Fred Bernard, couleurs de Delphine Chédru, Delcourt, collection Mirages, 2009

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l'Homme bonsaï, essai de couleurs pour la 4e de couverture © Fred Bernard / Delcourt

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l'Homme bonsaï, extrait de la planche 10
© Fred Bernard / Delcourt
Quid de l’univers de l’Homme bonsaï ?
L’Homme bonsaï est une histoire qui contient tous les clichés que j’adore des romans de piraterie : l’odieux capitaine, le type qu’on abandonne sur une île déserte, celui qui n’a rien demandé et qu’on embarque de force, les scènes d’abordage, les beuveries sur les ports… Bref, tous les ingrédients des histoires de pirates ! Quand je bosse en jeunesse avec François Roca, on se donne toujours un thème. Ça peut être les pompiers, l’Afrique, l’Inde ou les pirates. Mais il nous faut à chaque fois trouver un angle pour ne pas refaire une énième histoire de pirates, de pompiers ou de princesse...

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l'Homme bonsaï, planche 4 © Fred Bernard / Delcourt
Et c’est là que le fantastique intervient…
Effectivement, l’homme bonsaï est un être fantastique, c’est un super héros, mais c’est aussi un héros romantique, tragique, invincible à l’image d’un héros mythologique. C’est également un être très seul, donc très malheureux. Il est malheureux quand il est souffre-douleur sur un bateau, il est malheureux quand il est tout seul sur île, il est malheureux quand il devient une machine de guerre… Mais il va rencontrer une femme qui va enfin le rendre heureux ! Elle sera la première à s’intéresser enfin à ce qu’il a dans la tête.

La présence de cette femme est en effet la grande différence avec le livre jeunesse…
Absolument. L’extrême fin de mon récit reste la même, mais mon personnage bénéficie ici d’un accompagnement dont il ne disposait pas dans la version jeunesse. Un accompagnement sensuel et amoureux… Cette histoire d’amour est d’ailleurs tragique et destructrice, la jeune femme se sacrifie en vain pour lui en se saignant aux quatre veines, au sens propre. Je ne pouvais pas raconter cet aspect de l’histoire aux enfants !

C’est aussi ton premier titre en couleurs…
Tout à fait, c’était une vraie envie. Je ne suis pas quelqu’un de sectaire. J’adore le roman graphique en noir et blanc, mais j’apprécie les récits en couleurs quand elles sont à propos et justifiées. L’Homme bonsaï présente plusieurs époques : les couleurs permettent de marquer ces différents allers-retours, elles permettent de changer d’ambiances. Delphine Chédru, la coloriste, change ainsi de ton selon les passages. Le récit présente deux passés et un présent. Il y a le présent où un capitaine raconte à des matelots qu’on lui a raconté que…, puis l’époque où on lui a raconté l’histoire et enfin l’époque où s’est déroulée l’histoire. La couleur aide à distinguer ces trois moment. Quand on est avec le capitaine, l’ambiance est plus sobre, alors que lorsque nous sommes avec les pirates, c’est bien plus coloré, il y a plus de fantaisie. La couleur permet cela.

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l'Homme bonsaï, extrait de la planche 101 © Fred Bernard / Delcourt

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l'Homme bonsaï, extrait de la planche 1
© Fred Bernard / Delcourt
Pourquoi avoir fait appel à une coloriste ?
Je fais de nombreux croquis de voyages que je mets en couleurs à l’aquarelle [voir en fin d'album les superbes croquis de Fred Bernard réalisés au Cambodge et au Vietnam en 2008, ndlr]. Ce sont des dessins instinctifs, pris sur le vif. Honnêtement, ce n’est pas le même boulot de coloriser 120 planches de BD, il faut savoir accompagner la narration avec les couleurs. Je ne l’ai jamais fait, et ça me fait un peu peur sur une telle distance. Sincèrement, je craignais d’être un peu répétitif, de ne pas être assez inventif, assez audacieux. J’ai pensé confier les couleurs à Delphine Chédru que je connaissais – elle fait également des livres jeunesse – et j’aimais bien ses boulots. Delphine venait de mettre en couleurs le Spirou et Fantasio d’Émile Bravo avec une grande sobriété. Je craignais juste que mon histoire de pirates ne la barbe ! Elle en a soupé des pirates avec son compagnon Christophe Blain [rires], l'auteur de la série Isaac le Pirate. Heureusement, elle a bien aimé mon histoire… et réalisé un travail remarquable.

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l'Homme bonsaï, extrait de la planche 104 © Fred Bernard / Delcourt

Propos recueillis par Brieg F. Haslé en octobre 2009
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
© Brieg F. Haslé / Auracan.com
Remerciements à Anne Caisson et Manuel F. Picaud

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Brieg F. Haslé
15/12/2009