Auracan » Interviews » Entretien avec Sylvain Vallée

Entretien avec Sylvain Vallée

Vallé
Sylvain Vallée © Manuel F. Picaud / Auracan.com
« Je me sens davantage directeur d'acteurs que dessinateur. »

Avec un premier tirage du T2 à 35.000 albums, Il était une fois en France est l’une des séries les plus prometteuses du moment chez Glénat. La biographie de Joseph Joanovici permet aux auteurs Fabien Nury et Sylvain Vallée de revenir sur quelques sombres heures de l’histoire de France du XXe siècle. Passionné de cinéma et de bande dessinée, Sylvain Vallée, 36 ans, trouve un style personnel, croisement de réalisme et de caricature, qui donne beaucoup de vie et d’émotions au récit.

Rencontre avec l’une des valeurs montantes de la BD réaliste qui vient, par ailleurs, de participer au collectif Ils se sont évadés, premier opus de la nouvelle collection Mafias & Co des éditions 12 bis...

Vallee
© Vallée - Nury
Glénat

Il était une fois en France T2

Avez-vous lu au préalable le scénario complet de la série Il était une fois en France ?
Avant de commencer, j’ai reçu par l’intermédiaire de Laurent Muller [ancien directeur éditorial de Glénat, ndlr] un plan global de la série traitant de l’ensemble de l’histoire de Joseph Joanovici écrit par Fabien Nury. Je découvre ensuite scène par scène à chaque tome.

Connaissiez-vous le héros de cette histoire avant de le dessiner ?
J’ai découvert ce personnage à la lecture du scénario. Je me disais que c’était pas mal romancé. Je me suis ensuite documenté et je me suis aperçu que pratiquement tout ce qui était dans le scénario était véridique. Un tel personnage aussi riche et intéressant est une perle rare pour des auteurs de fiction ! J’ai été intéressé par la nouvelle vision qu’il donne sur cette période d’histoire loin des stéréotypes de l’image d’Épinal que l’État français a imposé au lendemain de la guerre. Ce personnage donne une nouvelle perspective à l’histoire qu’on a voulu nous enseigner depuis des décennies. Cette période n’était pas aussi manichéenne. J’ai aimé cet aspect didactique du récit de Fabien : montrer une réalité peut-être plus cynique mais plus juste. J’avais envie de dessiner sur cette époque qui fait partie de mon imaginaire depuis longtemps.

Quelle est votre propre opinion sur ce personnage fort controversé ?
Quand j’ai lu le scénario, je me positionnais comme le lecteur. Je découvrais les éléments au fur et à mesure et je me ferai une opinion quand j’aurai suffisamment d’éléments si cela arrive un jour. J’ai l’opinion d’un observateur. C’est impossible d’avoir une opinion arrêtée sur un personnage aussi ambigu. Un jour c’est un salaud. Un autre jour c’est un héros. Je veux donc me mettre à la place du lecteur et découvrir des choses sur lui au fil des planches, pour savoir s’il est véritablement coupable ou s’il a des raisons de faire ce qu’il a fait. Je pense que c’est un personnage profondément humain. Son ambiguïté porte cette série, sinon on tombe dans des archétypes et on s’éloigne d’un traitement humaniste de ce personnage. Je tiens à conserver cette distance. Je continue de lire des bouquins sur lui. Il ne peut pas à mon avis avoir de réponse. Qui pourrait se permettre de juger un tel personnage ? Nous parlons des faits, que des faits, pour tenter de rester le plus possible objectifs. Évidemment, ils sont légèrement romancés, mais toute la base est réelle. Vient se greffer ensuite une part de fiction sur cette réalité largement prouvée.

Nury
extrait de Il était une fois en France T2
© Vallée - Nury / Glénat
Le T2 se déroule au cœur de l’Occupation…
On rentre en fait au cœur de la période clé du destin de Joanovici, au moment où il a été obligé de faire des choix pas toujours moraux. Dans le T1, on voit cet homme progresser, devenir très riche, avec parfois des méthodes très brutales, mais il n’est pas encore confronté à son statut de juif. Or là, il se retrouve face à des personnages qui sont pires que lui. Du coup, cela le pousse à s’enfoncer encore davantage dans une certaine noirceur. Son statut de juif le pousse aussi pour sauver sa famille, sa peau, son entourage.

Dans cet épisode, Joanovici collabore avec l’Occupant. On le verra plus tard participer à la Résistance…
Il collaborait déjà économiquement avec les Allemands avant guerre. Il fournissait déjà des métaux non ferreux à la Wehrmacht. C’est comme cela qu’il a fait une grande partie de sa fortune. Pendant la guerre, son statut de juif l’a en partie poussé à trouver des moyens – même extrêmes – pour sauver sa peau… Sans déflorer l’intrigue, c’est Joseph face à son destin, face à son statut d’homme riche, d’homme utile, de juif utile pour l’Occupant. La résistance viendra dans le tome suivant. Comme beaucoup, Joseph a fini par rejoindre la Résistance quand le vent a commencé à tourner. On va le découvrir dans les albums suivants. La thématique du T2 rejoint celle de Monsieur Klein. Le personnage face à la mécanique punitive nazie. Là, il va tenter de trouver les moyens de subsister face à cette mécanique écrasante, la délation, les camps etc. L’album commence en 1940 et Joseph tente de fuir pour rejoindre La Rochelle et s’embarquer pour les États-Unis. La thématique de cet album est vraiment comment Joseph cherche à sauver sa peau.

Vallé
extrait de Il était une fois en France T2
© Vallée - Nury / Glénat
Avec le récent débat sur le ficher Edvige, le parallèle avec cette période nous vient naturellement…
Ce parallèle revient régulièrement. Effectivement, la polémique autour du fichier Edvige fait penser à cette période. C’est en cela que l’histoire a son rôle d’enseignement. On se méfie d’Edvige parce qu’on a connu Edvige sous une autre forme il y a 60 ans : le fameux fichier Tulard, le commissariat aux questions juives… La France a malgré tout acquis cet enseignement. Je reste persuadé qu’on ne pourrait pas revivre cela aussi tôt. Beaucoup d’entre nous portons encore cet enseignement là. En tout cas, j’ose l’espérer...

Au plan artistique, parlez-nous de votre travail de caméra sur les personnages.
C’est une technique en effet. Mon choix est de donner la priorité à l’expressivité des personnages. Ils sont souvent en avant et très proches de nous dans cette BD. C’est ce qui compte avant tout. Le récit de Fabien est tourné vers l’humain et le dessin doit en prendre le relais. Je n’utilise le décor que pour une nécessité narrative, pas pour habiller une case. Je préfère faire un gros plan sur un personnage, de façon à jouer sur le jeu des acteurs. J’essaye de me rapprocher d’eux et de ce qu’ils expriment. C’est parfois aux dépens de grandes cases qui pourraient être spectaculaires. Toute ma mise en scène tourne autour de mes « acteurs ». D’où effectivement ces contre-plongées pour exprimer une force, ou les plongées au contraire pour écraser, ou des cadrages plus larges. Je me sens davantage directeur d’acteurs que dessinateur. Je ne cherche pas à faire une belle planche mais à réaliser une planche où mes personnages sont vivants et expressifs. L’esthétisme et le trait sont pour moi secondaires dans la BD. Ce qui compte, c’est que mes acteurs soient vivants, qu’on ait l’impression d’être devant eux.

Serait-ce là votre définition du réalisme ?
Oui, parfaitement. Même si mes personnages sont caricaturaux, mon découpage suit une mise en scène réaliste et cinématographique avec des cadrages proches du cinéma de façon à me rapprocher du réalisme. Je dessine des personnages qui ne sont parfois pas du tout réalistes dans leur morphologie mais en qui on peut croire malgré tout parce que la mise en scène, leur situation face aux autres personnages dans leur environnement semblent vraies. C’est vraiment cela ma marotte, ma ligne directrice dans le dessin. Je tiens à donner le plus de corps à mes personnages.

Vallé
Il était une fois en France, dessin inédit réalisé pour le festival BD de Rambouillet
et qui sera mis en vente au profit du Téléthon © Vallée - Nury / Glénat

Où puisez-vous votre inspiration pour vos personnages ?

Inconsciemment dans le cinéma et dans mon environnement. Il y a des personnages comme Laffont qui peuvent sous certains angles faire penser à Ventura dans un rôle de salaud. Je me suis basé sur certains personnages en utilisant des photos historiques. Mais j’ai tenu à m’en dégager. La BD nécessite une appropriation des personnages pour ne pas les scléroser. C’est une erreur de vouloir rester trop proche de la photo. Joseph est, lui, assez proche des photos que j’ai pu trouver. D’autres sont complètement inventés. J’ai besoin de me retrouver dans ma bulle imaginaire. Je veux éviter de revenir dans la réalité. J’évite aussi les codages très BD : les onomatopées, les mains qui sortent des cases, les textes off… Pour faire une BD adulte et pour se rapprocher davantage du cinéma. Idem pour les cadrages permanents à hauteur d’œil . J’essaye toujours d’avoir un axe différent pour chaque personnage pour donner une sorte de fluidité à la lecture. J’essaye que le lecteur n’ait pas l’impression de lire une BD mais de lire une histoire.   

evasions
extrait de Ils se sont évadés
© Vallée - Ploquin / 12 bis
Comment avez-vous choisi la couverture de l’album réalisée en couleurs directes contrairement au reste de l’album? Avec Christian Blondel, le directeur artistique de Glénat, vous n’avez pas hésité à représenter quatre croix gammées…
En vérité, il y avait beaucoup plus de drapeaux nazis sur la rue de Rivoli. Ces Svastikas symbolisent de manière forte la ville de Paris occupée par les Allemands, thème principal de cet album. C’était difficile de passer à côté. Les couvertures doivent faire penser à des moments de l’histoire. Quel symbole plus fort que la rue de Rivoli avec les drapeaux nazis ? Joseph va avoir à lutter contre cela…

Mafias & Co. Ils se sont évadés

Vous avez parallèlement participé au collectif de Frédéric Ploquin tiré de Parrains & Caïds. Vous dessinez quatre illustrations et la couverture de l’album Ils se sont évadés qui ouvre une nouvelle collection sur les mafias chez 12 bis. Quelques mots sur la genèse de ce projet ?
C’est d’abord un projet d’éditeur. Laurent Muller et Dominique Burdot ont rencontré Frédéric Ploquin et ont fait le lien avec les auteurs de BD qui se sont appropriés les textes de Ploquin. Laurent aime bien mon travail depuis plusieurs années. Il m’a appelé pour me parler de cette histoire de gangsters, une thématique qui me plait ! Il m’a proposé au départ de ne faire que quelques illustrations intérieures, puis il m’a proposé de réaliser la couverture. J’ai trouvé cela intéressant. Évidemment, on ne peut pas tout approfondir dans ce type de collectif. Mais c’est un bon point de départ. J’ai d’ailleurs soumis un projet analogue sur les braquages. En tout cas, je serais ravi de participer à d’autres projets de ce genre. 

evasions
extrait de Ils se sont évadés
© Vallée - Ploquin / 12 bis
En fait, vous réalisez la couverture et les illustrations pleine page de cet ouvrage composé de petites histoires en bande dessinée signées par plusieurs auteurs. Comment avez-vous abordé ce travail ?
J’ai essayé de faire des illustrations sans perdre le côté humain des choses. D’où une illustration à deux niveaux comprenant la scène marquante et spectaculaire de l’évasion et l’approche sur le personnage sous forme d’insert dans l’image. Encore une fois, le facteur humain m’importe énormément. D’où cet insert du personnage en gros plan sur le moment clé de l’évasion. Ma marque de fabrique est d’être proche des acteurs !

evasion
extrait de Ils se sont évadés
© Vallée - Ploquin / 12 bis
Et c’était aussi une façon de vous évader…
Oui, c’était une petite récréation pour sortir du travail de composition de planches. Et cela reste des mini séquences de deux cases. C’est une sorte d’amusement, histoire de changer d’univers et de travailler moins sur la narration et plus sur la composition de l’image. Trouver le moment fort de chaque évasion.

Avez-vous d’autres projets ?
Ma priorité pour le moment est à la série Il était une fois en France. Je souhaite en faire un par an – soit 54 planches, voire 56 pages comme dans le T2 car on a rajouté deux planches pour améliorer la narration. Je me concentre avant tout sur cela. J’ai ensuite d’autres choses sous le pied, mais on en parlera le moment venu.

Et qu’en est-il de Gil St-André, la série qui vous a fait connaître, et dont on attend un éventuel troisième cycle ?
C’est en stand-by pour le moment. Je dois discuter de l’avenir de la série avec Jean-Charles Kraehn. Je me rends compte que je dois dégager du temps pour redémarrer...

Propos recueillis à Paris par Manuel F. Picaud en septembre 2008
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
© Manuel F. Picaud / Auracan.com

Sylvain Vallée sur Auracan.com :

À voir aussi :

AURACAN.COM est partenaire officiel de la série Il était une fois en France

Partager sur FacebookPartager
Manuel F. Picaud
06/10/2008