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Assez rapidement, on voit paraître vos premiers récits courts avec des auteurs comme Christian Lamquet, Thierry Robin et Eric Maltaite. Il s'agissait certes là de travaux commandés mais la rédaction semblait ainsi vous faire de plus en plus confiance…

(c) Dupuis
Récit court illustré par Maltaite

Du fait de ma régularité et de ma relative rapidité, la rédac' me faisait "tourner" en me demandant des histoires pour les numéros spéciaux du type : la rentrée scolaire, les bébés, Halloween, Noël, etc. Et c'est de là qu'est né Green Manor. Au départ, c'était juste une histoire courte, il n'était pas du tout prévu d'en faire une série. J'avais proposé d'un coup plusieurs histoires et celle qui fut choisie s'appelait Délicieux Frissons. Elle m'avait été inspirée à la lecture d'un livre de Stephen King faisant partie d'un recueil de nouvelles parues sous le titre Différentes saisons. L'histoire était celle d'un club où les gens se racontaient des choses horribles. J'aimais bien l'horreur dans laquelle baignait cet endroit très select à l'ambiance feutrée. Paradoxalement, ça n'était pas la meilleure nouvelle du livre puisque toutes les autres avaient connu un destin cinématographique dont le plus célèbre reste : Les Evadés avec Tim Robbins et Morgan Freeman. Je suis ainsi parti sur l'idée impossible d'un meurtre sans meurtrier et sans victime. Ayant lu un autre livre sur les poisons, j'ai fait la découverte du poison de Borgia, un poison qui ne tue pas tout de suite. J'ai trouvé l'idée marrante et j'ai travaillé sur cette base. J'ai ensuite envoyé le tout à Spirou.

(c) Dupuis
Extrait de Green Manor T1

Plus tard j'ai appris que Benoît Fripiat, l'assistant de Tinlot, avait filé l'histoire à Bodart. Après ce premier essai réussi, tout le monde était content du résultat. Du coup, Denis Bodart a proposé de continuer. De ce fait, j'étais confronté à quelques difficultés : je n'avais pas prévu de suite et il allait falloir que mes prochaines histoires soient à la hauteur. J'ai envoyé à Denis plusieurs histoires avec pour dénominateur commun des meurtres impossibles et pour toile de fond ce club dont le nom m'est venu mais vraiment de façon très conne. Simplement parce qu'il y avait un truc vert sur mon bureau !

(c) Dupuis
Extrait de Green Manor T1

C'est déjà mieux que si vous aviez trouvé quelque chose de rose sur votre bureau…
(Voix d'outre-tombe)
Pink Manor !… Au bout de la sixième histoire, nous avons trouvé qu'il y avait matière à faire un album. Nous avons proposé l'idée à Dupuis qui a tout de suite été d'accord. L'album a bénéficié d'un très bon accueil critique comme public, et le deuxième tome est prévu pour février 2002. Il n'y aura probablement pas de troisième album parce qu'à trop tirer sur les ficelles de l'intrigue, arrive un moment où ça casse. Rien ne nous empêchera, par contre, de faire une histoire de temps en temps quand l'idée sera bonne. Et puis, s'il y a assez d'histoires….

Un récit court est à signaler à votre actif, dans une période située entre Green Manor et le futur Lendemains sans nuage, un récit dessiné par René Follet…
Lune bleue était au départ une comédie musicale qui se jouait en Belgique. A l'époque du Far West, on découvrait une lune qui tous les treize ans devenait bleue. Elle était annonciatrice de grands événements. La rédaction m'avait confié la tâche de l'adapter en BD.

(c) Dupuis
« Lune bleue » illustré par Follet

Comme la livraison de mon travail coïncidait avec le premier avril, j'avais décidé de faire deux versions de l'adaptation. La version gag condensait toute l'histoire en deux pages. La première page commençait normalement : on voyait une grand-mère raconter une histoire à des enfants et puis, d'un coup, dans la deuxième page, des personnages étaient pris d'une frénésie et n'arrêtaient pas de répéter que la lune était bleue. Plus on avançait dans la lecture, plus les dialogues s'éloignaient de l'époque pour être de plus en plus contemporains. L'un des personnages disait même à la fin : "Sur la vie de ma mère, j'te jure qu'la lune est bleue !" Quelques jours plus tard, je reçois un coup de fil de Thierry, qui n'avait lu que le synopsis, pour me dire qu'une adaptation en deux pages, il trouvait ça un peu court. Je feignais la surprise en lui disant que pourtant les dialogues étaient vachement soignés ! Ce n'est qu'après quelques instants de silence où il lut la fameuse suite que j'entendis un gros juron… Je l'avais bien eu. Bref, l'histoire fut magnifiquement illustrée par Follet, un auteur que je respecte profondément. Lui-même m'a envoyé un mot pour me féliciter de mon travail sur l'adaptation… la vraie, bien sûr !

On arrive à Des lendemains sans nuage…
Quelques temps après le poisson d'avril fait à la rédaction, je reçois un coup de fil de Bruno Gazzotti qui me dit avoir aimé Green Manor, et souhaiterait m'associer à un projet qu'il avait avec Ralph Meyer. Mon premier réflexe fut de penser à une vengeance de Tinlot pour le coup que je lui avais fait. C'est donc le cœur serré par l'émotion de rencontrer les dessinateurs de Soda et Berceuse Assassine que je me rendis au rendez-vous fixé à Paris pour les rencontrer. Après avoir pris connaissance de leur projet, j'ai pris le temps de la réflexion. Je sentais que je ne pouvais pas leur apporter ce qu'ils attendaient de moi sur leur histoire. Je leur ai alors proposé un autre récit qui est celui des Lendemains sans nuage.

(c) Lombard
"Je leur ai proposé de travailler sur une autre idée…"

Sur cette base, on a commencé à réaliser une succession d'histoires courtes pour voir si ça marchait. Je faxais les scripts puis Gazzotti et Meyer faisaient à tour de rôle un crayonné détaillé et l'encrage final de l'histoire.

(c) Lombard
« Gazzo : C'est moi qui fait les crayonnés !
Meyer : Non, c'est moi ! »


Ma préférée reste Big Flush dont l'idée m'est venue à la lecture d'un journal où l'on apprenait que pendant la pause publicitaire du Super Bowl des millions de mètres cubes d'eaux envahissaient les égouts. Une fois que le nombre d'histoires réunies pouvait former un album, le projet a été pris dans la collection Signé au Lombard.

(c) Lombard
Le Lombard fait des propositions qu'on ne peut refuser !

C'est un one-shot, il n'y aura donc pas de suite. Je ne dis pas que c'est un chef-d'œuvre mais c'est une bd honnête dont je suis fier. Et contrairement à ce que l'on pourrait croire en la lisant, j'ai foi en l'être humain. Je pense que chacun à un bon fond, on n'est pas foncièrement méchant mais juste un peu égoïste ce qui nous amène à faire des conneries. Dans ma vision du futur ou de la société, je ne veux pas que l'on voit en moi un coté cynique, je voudrais juste qu'on dise de mon œuvre qu'elle est empreinte d'humanisme.

On retrouve cet humanisme dans Samedi et Dimanche, un conte résolument philosophique que vous signez avec Gwen…
Il est né de la rencontre avec Gwen à l'atelier des Vosges (où l'on peut aussi croiser Christophe Blain, Marjane Satrapi, Nicolas de Crécy, Alain Ayroles, Joann Sfar…). L'univers et les personnages existaient déjà. Ensemble, nous avons voulu traiter, sur cette base, les grandes questions de la vie avec une pointe d'humour.

(c) Dargaud
Extrait de Samedi & Dimanche - T1

Si on vous demandait de faire le bilan aujourd'hui ? Que diriez-vous ?
Je me rends surtout compte de la chance qui a jalonné mon parcours : tout ce temps, j'avais une cuillère d'argent dans la bouche. Il y a cinq ans encore, je n'étais que lecteur et maintenant je dédicace mes propres bandes dessinées. Des auteurs comme Dodier, Franz, Tome ou Ayroles les ont même lues et m'ont fait savoir qu'ils aimaient, c'est génial !

Quels sont vos projets, aujourd'hui?
Dans l'immédiat, le second tome de Green Manor paraît en février 2002, le deuxième Samedi et Dimanche en juin 2002.

(c) Dupuis
Couverture de Green Manor, T2

Puis suivra, chez Dargaud, Le Marquis d'Anaon (dessin de Matthieu Bonhomme) qui sera une sorte d'enquête policière dans le même esprit que Sleepy Hollow. On pourra y suivre les aventures d'un précepteur chargé de s'occuper d'un enfant habitant une île où il se passe des choses pour les moins étranges… Il y a aussi en préparation I.A.N avec Ralph Meyer, une série S.F. sur l'intelligence artificielle, mélange de Soda et Valérian, qui devrait paraître pour Noël 2002. Pour beaucoup plus tard, j'ai également un projet avec Gazzotti qui racontera l'histoire d'un groupe d'enfants livré à lui-même dans une situation un peu impossible. L'univers sera plutôt fantastique. La parution est prévue fin 2003.

 

Mini questionnaire d'AURACAN et mini réponses de Fabien VEHLMANN :

Plat préféré ?
Carottes râpées avec de l'ail arrosé de jus de citron ou la purée de marron

Série télé ?
OZ, une série qui passe sur le câble et qui décrit l'univers violent d'un pénitencier américain.

Film préféré ?
La nuit du chasseur de Charles Laughton qui est un chef-d'œuvre avec cette scène mythique où l'on voit Robert Mitchum en habit de prêtre avec écrit sur ses phalanges les mots hate et love.

Votre héros dans la vie ?
Jésus pour le courage de faire ce qu'il a fait dans le contexte de l'époque.

De fiction ?
Harrison Ford pour son rôle d'anti-héros dans Blade Runner.

Livre préféré ?
La Bible, on va me taxer de mystique mais j'aime ce livre pour ce qu'il m'aide à chercher et à trouver au fond de moi. J'apprécie aussi Les Contes Cruels de Villiers de l'Isle adam.

BD préférée ?
Guerre éternelle de Marvano chez Dupuis.

Musique préférée ?
J'écoute un peu de tout, surtout de la variété anglaise, style Radiohead, pour que je ne sois pas déconcentré pendant le boulot, et de la musique classique avec un faible pour La Création d'Haydn.

Boisson préférée ?
Jus d'orange fraîchement pressé

Activité préférée ?
L'écriture bien entendu mais en particulier la rêverie précédent la création.

Phrase ou devise préférée ?
Aimer ici et maintenant.


 
Propos recueillis par Illies Dzanouni en janvier 2002
avec la complicité de Brieg F. Haslé pour les relectures
 

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