
Lulu femme nue
Tome 1
Scénario, dessins et couleurs : Étienne Davodeau
Futuropolis
Quand une femme de 40 ans se réveille
Étienne Davodeau n’est décidément pas en peine quand il s’agit d’ajouter quelque pierre à son édifice d’observateur des relations sociales. Quelques semaines après Jeanne de la Zone (avec Frédérique Jacquet), il aborde les questionnements de la quarantaine dans Lulu femme nue. Lulu a 40 ans. Ou à peu près. Surtout, elle est mariée avec Tanguy, dont elle a sans doute été amoureuse il y a longtemps, mais le temps est passé par là, la naissance des enfants, les kilos en trop et les désillusions de toutes sortes : les rêves qui n’aboutissent pas, les contingences familiales, la réalité quotidienne, sociale, économique. Lulu est aussi femme au foyer. Oh, certes, elle essaie de retrouver du travail, mais cela fait si longtemps, son mari ne l’encourage pas, la période n’est pas propice. La faute à la crise…
Bref, un décor tout ce qu’il y a de plus banal, ne manque que l’occasion de « déraper ». Celle-ci se présente sous la forme d’une VRP et de quelques verres, un soir d’hôtel, après un enième entretien d’embauche infructueux. L’invitation à profiter d’un trajet en voiture pour voir la mer est bien tentante. Un p’tit côté le Voyage à Paimpol de Dorothée Letessier, une « escapade » pour souffler. La comparaison s’arrête (presque) là : près de trente années séparent les deux œuvres, des siècles en matière de société, de réalité économique.
Lulu se retrouve donc non à Paimpol, mais à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, abandonnant mari et enfants à leur sort. Tiens, Saint-Gilles, vieille station balnéaire, populaire, en comparaison de La Baule, un peu plus au nord, ou des Sables-d’Olonne, un peu plus au sud, ô combien plus clinquantes. Saint-Gilles, donc, hors saison, (presque) vide. De l’espace à revendre pour respirer l’air marin et faire le vide. Faire des rencontres, aussi, qui bouleversent une vie, se sentir redevenir une femme, aimée, aimante. Et ce qui n’aurait dû rester qu’une petite escapade sans lendemain devient, par la force des choses et par le goût d’un hasard farceur, une vraie rupture.
Étienne Davodeau raconte cette histoire à plusieurs voix, par l’entremise de Lulu, bien sûr, mais aussi par celle de ses amis, qui s’interrogent sur cette rupture, qui cherchent à comprendre pourquoi, un soir, sur la terrasse de sa maison, ils se retrouvent à chercher ce qu’ils n’ont pas vu ou pas compris de leur amie, ou comment intervenir sans s’immiscer.
Étienne Davodeau raconte les chaînes du quotidien, que chacun(e) s’impose, tel le téléphone portable, et des moyens de s’en libérer. Son dessin est toujours aussi incisif, les personnages ont des visages très expressifs, le tout dans des couleurs d’automne donnant une note sépia à cette histoire, sauf quand il s’agit de la mer, bleue, porteuse d’espoir. L’auteur réussit à montrer un récit sous plusieurs angles en même temps, plusieurs facettes d’un même prisme, avec tendresse et sensibilité, et instille une densité humaine très forte. Le tout complété par des dialogues qui font mouche. La fin de ce premier volet – que nous ne dévoilerons pas, tant le plaisir de la découverte serait gâché – laisse un étrange goût amer, vivement le second.