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Vous aimez utiliser des gravures anciennes que vous détournez
de leur usage premier. D'où vient cette idée ?
Cela remonte à mes premiers dessins d'adolescent, vers
14-15 ans. A la maison, mon frère et moi réalisions
un journal mural dans les toilettes qui étaient à
l'entresol. On placardait sur les murs des dessins, des photos,
des photomontages, des collages qui mêlaient l'actualité
de la famille avec celle du moment. Les intervenants étaient
aussi bien Nixon ou le Cardinal Suenens, que mon père,
ma mère, mon frère ou moi. On découpait des
photos à qui on faisait dire autre chose. A la même
époque, il y avait dans Hara-kiri une séquence qui
me plaisais beaucoup et qui s'appelait "L'art vulgaire".
Choron et Gébé y prenaient des vieilles gravures
ou des vieux tableaux et faisaient dire aux personnages des choses
absolument monstrueuses, très vulgaires, pas du tout en
phase avec ce qu'exprimait le tableau. Vingt ans plus tard, je
m'y suis replongé avec délice.
C'est aussi perpétuer la tradition des collages des surréalistes,
de la juxtapositions d'éléments incongrus. Magritte
qui fait sortir un train d'un feu ouvert, bien que ce ne soit
pas un collage, l'idée est un peu la même, c'est
une superposition de deux images. Ma démarche est un peu
la même. Je prends une gravure dans un vieux dictionnaire,
dans une vieille encyclopédie. Je la scanne, je la bidouille
à peine. Et je la tire vers une autre réalité
qui est la mienne. Il y en a quelques-unes que je dois réarranger
pour les tordre jusqu'à exprimer ce que je veux dire. Mais
la plupart d'entre elles sont prises au pied de la lettre.
Ces images dormaient depuis 100 ans ou 120 ans dans un livre.
Elles avaient été produites à la sueur du
front de leur graveur à l'époque. Elles n'attendaient
que moi, le Prince Charmant qui allait venir leur poser un doux
baiser sur la bouche et les réveiller de ce sommeil léthargique
qui les promettait à un oubli certain. Si je n'étais
pas allé les rechercher, personne ne les aurait plus jamais
regardées.
Cela a aussi un côté rétro...
Graphiquement c'est intéressant de confronter ces illustrations
avec un dessin plutôt cartoon, bande dessinée, comme
Le Chat. Cela donne dans le livre une alternance et un rythme
qui sont agréables, je crois.
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Le fait d'alterner ce genre de choses permet de rompre
la monotonie, dans la lecture, mais aussi dans votre recherche
de gags...
Bien sûr. D'une part, j'essaie de faire feu de tout bois.
Et d'autre part, j'ai besoin de me distraire d'une certaine régularité
en faisant des mauvais coups à gauche et à droite.
Plus généralement, je me distrais de mon métier
de dessinateur en étant aussi chroniqueur radio et télé,
en écrivant... Au sein même de mon travail graphique,
j'essaie de m'offrir une variété la plus grande
possible. Il y a les gravures, mais aussi les dessins uniques,
les dessins sans Le Chat, etc. Ils me permettent de ne pas tourner
en rond. Quelqu'un de mal intentionné pourrait dire que
Le Chat est toujours dans la même position, qu'il
lève de temps en temps le doigt et dit des jeux de mots.
Ce n'est pas vrai, si on regarde, il y a une grande variété
graphique. Là il fait du ski sur des rails de train, là
il est en voiture... Ce n'est pas une chose aussi simpliste que
certaines mauvaises langues pourraient le dire. C'est simple,
c'est de la simplicité, mais pas du simplisme.
Extrait du Fils du Chat - T1: Le portrait
de Papa
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Est-ce aussi pour amener de la variété dans
votre travail que vous avez créé le Fils du
Chat, qui est destiné aux enfants.
C'était plus difficile à introduire dans Le Chat
lui-même, bien que le fils est présent depuis très
longtemps. Effectivement, c'était une manière de
partir vers autre chose, de s'essayer à un autre exercice
aussi. La bande dessinée est de ces métiers qui
offrent la possibilité de tenter des choses nouvelles.
Parfois avec du bonheur, parfois avec moins de bonheur. C'est
le risque de l'artiste. Le patineur qui tente une figure, ne la
réussit pas à tous les coups. Il en va de même
pour moi. Si ça loupe, je retombe sur la glace, je fais
une pirouette et je repars dans un autre sens. Mais au moins j'aurai
essayé. Et c'est ça qui est magique dans ce métier.
L'exercice de s'adresser à un public beaucoup plus
jeune n'est-il pas plus compliqué ?
Je dois sortir de mes sentiers battus. Bien que je ne devrais
pas dire "sentiers battus" car chaque nouvelle idée
est l'aboutissement d'une vraie recherche. Ce qui est intéressant
dans la démarche de s'adresser à des plus jeunes,
c'est effectivement de remettre les compteurs à zéro,
de conquérir un autre public. Pour ce faire, je me suis
donné deux armes : un graphisme très différent
de celui du cartoon et une narration totalement à l'opposé
de celle du Chat. Elle joue sur une scène de comédie
entre des personnages, alors que Le Chat fait plutôt un
monologue face à un public imaginaire. Dans le Fils
du Chat, il y a des dialogues entre les personnages et on
sent le regard de l'un sur l'autre. C'est un mélange de
tendresse et d'humour tendre. J'ai aussi introduit des éléments
inhabituels dans le domaine des livres pour enfant. Il y a parfois
du second degré. J'ai l'impression de ne pas tomber dans
la narration classique pour enfants. Cela me plaît assez
de toucher sur les vrais sentiments, sur la vraie tendresse, sur
l'amour d'un père pour son fils. Cela me détend
d'une chose de pouvoir en faire une autre.
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