Auracan » Interviews » Entretien avec Laurent Galandon

Entretien avec Laurent Galandon

galandon
Laurent Galandon
© Manuel F. Picaud / Auracan.com
« Mes histoires se répondent... »

Né en 1970, Laurent Galandon s’est hissé en l’espace de 5 ans parmi les scénaristes qui comptent. Avec une écriture sensible et engagée, un sens du découpage et de la narration, cet auteur éclectique a décidé d’en faire son métier à temps complet.

galandon
© Nicaise - Galandon
Bamboo - Grand Angle
Lancé par Bamboo avec son premier diptyque l’Envolée sauvage réalisé avec un autre jeune talent Arno Monin, il a influencé un élargissement des sujets traités portés sur une certaine réflexion et un devoir de mémoire dans la collection Grand Angle.

Après une belle année 2009, où il signe notamment Quand souffle le Vent dans la collection Long Courrier chez Dargaud, et s’attaque au terrorisme islamique avec Shahidas et aborde la Guerre d’Algérie avec Tahya El-Djazaïr, l’année 2010 s’annonce encore plus animée.

Autant dire qu’à l’occasion de la sortie du T1 de son nouveau diptyque le Cahier à fleurs, Auracan.com voulait lui rouvrir ses colonnes. Rencontre avec un auteur que nous soutenons depuis ses débuts à l’occasion d’un passage à Paris en mars 2010...


Qu’est-ce que le Cahier à fleurs ?
À l’instar de l’Envolée sauvage, c’est l’histoire d’une famille qui, réduite à deux enfants, va se trouver confrontée au premier génocide du XXe siècle : le génocide arménien.

Quel a été le déclic pour vous lancer dans ce nouveau travail de mémoire sur ce génocide ?
Au fur et à mesure de mes albums, je me rends compte que mes histoires se répondent. Pour écrire un scénario, je suis amené à me documenter. Parfois de petites étincelles s’allument et déclenchent d’autres curiosités. Toutes ne débouchent pas sur de nouvelles histoires. Mais là ce fut le cas. Je ne connaissais pas très bien ce génocide arménien et j’étais à peine capable de le dater précisément. En travaillant sur l’Envolée sauvage, je suis tombé sur la phrase d’Hitler prononcée à son entourage au moment de décider de lancer la solution finale : « En 1915, les Turcs ont massacré les Arméniens et personne n’a rien dit ». Autrement dit, ce génocide a pu justifier la Shoah. J’ai attendu que cette « idée » mûrisse puis j’ai écrit le Cahier à fleurs.

galandon
le Cahier à fleurs, extrait du T2 en exclusivité sur Auracan.com
© Nicaise - Galandon / Bamboo - Grand Angle

Est-ce un sujet qui vous révolte ?
Oui, et cela reste toujours incompréhensible pour moi ! Le principe du génocide est d’être un massacre organisé, planifié, méticuleusement décidé à l’encontre d’un groupe ethnique. En écrivant ce type d’histoire, j’essaye de trouver des réponses. Mais je ne comprends toujours pas au final. L’extermination d’une population pour des raisons religieuses, territoriales, politiques reste un mystère pour moi...

nicaise
le Cahier à fleurs, extrait du T2 en exclusivité sur Auracan.com
© Nicaise - Galandon / Bamboo - Grand Angle

Quelles sont pour vous les causes de ce génocide et de ce nettoyage ethnique ?
Les Turcs l’ont notamment justifié en raison de la désertion des Arméniens sur le Front russe. Il est vrai que des Arméniens ont rejoint l’armée russe parce qu’ils étaient mal considérés dans l’armée turque, affectés aux missions les plus dangereuses et aux basses œuvres… Mais il s’agissait là d’une justification fallacieuse. Les raisons sont multiples. D’abord la Turquie avait des velléités expansionnistes notamment sur l’Arménie. Ensuite, les Arméniens subissaient depuis des années des discriminations : ils payaient plus d’impôts et n’avaient pas accès à tous les métiers… Des Arméniens se sont organisés en résistance en partie armée contre ce régime. Peut-être les Turcs ont profité de cette période de la Première Guerre mondiale où tous les pays étaient occupés sur d’autres « fronts ». C’est sans doute un ensemble de conjonctions ancestrales. En fait, il y a déjà eu d’autres massacres vers 1895, ou en 1909 à Adana.

nicaise
le Cahier à fleurs, extrait du T2 en exclusivité sur Auracan.com
© Nicaise - Galandon / Bamboo - Grand Angle

C’est difficile de comprendre que les victimes d’une telle barbarie n’aient pas vu ce qui se préparait contre eux.
Ce génocide a été orchestré par le nouveau gouvernement de « Jeunes Turcs » dirigé par Enver Pacha. Ce gouvernement a accédé au pouvoir accompagné par l’intelligentsia arménienne de l’époque. Les Arméniens n’avaient donc aucune raison de penser que ce pouvoir allait lancer un tel processus. Moins encore qu’avec la montée du nazisme.

Quelles ont été vos sources d’information et d’inspiration ?
Beaucoup par Internet. Il existe en effet une diaspora arménienne importante dans le monde et en France qui a créé des sites très bien faits comme netarmenie.com ou imprescriptible.fr et d’autres. J’y ai trouvé des documents d’époque facilement téléchargeables. Il y a aussi deux ou trois romans et quelques rares films comme Ararat d'Atom Egoyan ou le Mas des Alouettes des frères Taviani. Et enfin quelques documentaires qui sont passés sur Arte.

TahyaElDjazair
Tahya El-Djazair, extrait du T2 en exclusivité sur Auracan.com
© A.Dan - Galandon / Bamboo - Grand Angle

Comment avez-vous convaincu Viviane Nicaise de réaliser ce diptyque ?
En fait, je ne l’ai toujours pas rencontrée. Elle habite en Grèce et j’espère que mon éditeur lui donnera l’occasion de venir en France. Un jour, elle a passé une petite annonce sur adabd.com, site que je consulte régulièrement. J’envoie – un peu sans illusion – mon scénario pensant qu’elle a un réseau professionnel tel qu’elle croule sous les propositions. Effectivement, elle a reçu une quarantaine de scénarios. J’ai eu la chance que le scénario qui la touche le plus fut le Cahier à fleurs ! Nous travaillons depuis par MSN et par mail, un peu par téléphone et cela fonctionne parfaitement. Viviane est une vraie professionnelle avec de la régularité, une bonne écoute et des échanges fructueux. C’est vraiment une collaboration intéressante et riche.

Le T2 est-il déjà bien avancé ?

Déjà un quart de l’album est encré. Et Viviane a réalisé le crayonné de six planches de plus. Elle avance vraiment très bien. J’ai même suggéré à Hervé Richez, mon directeur de collection, une sortie du second volet dans la même année puisqu’elle aura fini vers fin juillet. Si le coloriste suit derrière cela pourrait être prêt pour la fin de l’année. Mais je ne peux rien promettre car il y a des contingences éditoriales qui m’échappent.

anlor
les Innocents coupables, extrait du T1 en exclusivité sur Auracan.com
© AnLor - Galandon / Bamboo - Grand Angle

Sinon, vous préparez toujours de nombreux projets. Notamment un nouveau diptyque : Pour un peu de bonheur...
C’est en effet un nouveau projet accepté par Bamboo ! L’histoire d’une « gueule cassée », un homme défiguré par les années de tranchées au cours de la Première Guerre mondiale qui revient dans son petit village dans les Pyrénées. L’album, plus porté sur l’ambiance, traite des difficultés du retour à la vie civile et intime de ce gars qui a perdu « la face » : comment un gars totalement défiguré se retrouve dans son village où les gens peinent à le reconnaître ? Comment retrouve-t-il sa femme et son fils qu’il n’a pas vu grandir ? Très probablement, cette nouvelle histoire sera-t-elle dessinée par mon ami et compère A.Dan.

anlor
les Innocents coupables, extrait du T1 en exclusivité sur Auracan.com
© AnLor - Galandon / Bamboo - Grand Angle

kas
la Reine Apache
recherche de personnage
en exclusivité sur Auracan.com
© Kas - Galandon / Le Lombard
kas
la Reine Apache
recherche de personnage
en exclusivité sur Auracan.com
© Kas - Galandon / Le Lombard
Sinon, exception à votre règle, vous avez écrit le triptyque les Innocents coupables pour AnLor...
Le premier tome intitulé la Fuite va sortir en octobre ou novembre 2010. Cette trilogie évoquera les bagnes d’enfants à la veille de la Première Guerre mondiale...

Quelles sont les autres prochaines sorties chez Bamboo ?
En mai, le T2 de Tahya El-Djazaïr avec A.Dan. Normalement au dernier trimestre le T2 de Shahidas avec Frederic Volante. Ensuite pour 2011, il y aura les suites des projets engagés comme le T2 du Cahier à fleurs s’il n’est pas sorti en 2010, le T2 des Innocents coupables et le T1 de Pour un peu de bonheur. Le T2 de l’Enfant maudit devrait arriver au premier semestre 2011...

Et quels sont vos autres projets chez d’autres éditeurs ?
Ensuite, il y a effectivement mes infidélités « salvatrices ». D’abord le T1 de la Reine Apache courant du premier semestre 2011. Ce diptyque de 124 planches est dessiné par Kas et édité par Le Lombard dans la collection Signé. Je me fais vraiment plaisir en prenant le temps pour faire exister les personnages. C’est une histoire différente par rapport à mon registre habituel ; le sujet est moins ancré dans l’Histoire. Il s’agit d’un fait divers dans le milieu de la prostitution du début du XXe siècle. Enfin, un autre projet vient d’être accepté par Dargaud Benelux, un nouveau diptyque intitulé la Vénus du Dahomey et dessiné par Stefano Casini dont j’apprécie particulièrement le travail. Notre collaboration se passe très bien.

casini
la Vénus du Dahomey, extrait du T1 en exclusivité sur Auracan.com
© Casini - Galandon / Dargaud

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en mars 2010
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
Coordination rédactionnelle : Brieg F. Haslé
© Manuel F. Picaud / Auracan.com
Remerciements à Ariane Danézis

Laurent Galandon sur Auracan.com :

Voir aussi : le blog de Laurent Galandon

Partager sur FacebookPartager
Manuel F. Picaud
18/04/2010