Une aventure de Blake et Mortimer

Le dernier pharaon

Scénario : J. Van Dormael, T. Gunzig, F.Schuiten
Dessins : François Schuiten
Couleurs : Laurent Durieux

Blake et Mortimer

La nuit de Bruxelles

Par Horus, demeure ! Le souvenir de la Grande Pyramide hante à nouveau Mortimer. Ses cauchemars commencent le jour où il étudie d'étranges radiations qui s'échappent du Palais de Justice de Bruxelles : un puissant champ magnétique provoque des aurores boréales, des pannes dans les circuits électroniques et d'épouvantables hallucinations chez ceux qui y sont exposés. La ville est aussitôt évacuée et enceinte d'un haut mur. Pour venir à bout du rayonnement, l'armée a conçu un plan qui met en péril l'avenir du monde. Pour Blake et Mortimer, malgré leurs vieilles querelles, malgré leur âge, il va s'agir de repartir à l'aventure, vers une Bruxelles abandonnée pour tenter encore une fois de sauver le monde. Et s'apercevoir que la zone interdite n'est pas si abandonnée que cela. Ce qu'ils trouveront là est en lien avec leur aventure passée, celle qui les avait menés au temps de leur jeunesse, vers les mystères de la grande pyramide.

Si la sortie d'un Blake et Mortimer constitue toujours un événement, abondamment teasé par l'éditeur, celle du Dernier Pharaon revêt un aspect tout particulier. En effet, dans un style se détachant très nettement de la ligne claire pratiquée par le créateur de la série Edgar P. Jacobs, l'album est coscénarisé et dessiné par François Schuiten. Autres coscénaristes : le réalisateur Jaco Van Dormael et l'écrivain Thomas Gunzig. Laurent Durieux complète l'équipe aux couleurs pour une aventure qui, comme son titre ne l'indique pas, se déroule essentiellement à Bruxelles.

On découvre ainsi un album totalement respectueux de l'oeuvre de Jacobs, qui s'y raccroche habilement en constituant une sorte de suite, ou de spin-off du Mystère de la grande pyramide, mais au traitement nettement moins classique, tant dans la narration que dans le dessin. L'histoire qui nous est proposée est complexe, relevant tant de l'anticipation que d'une aventure ésotérique. Menée à bon train, elle laisse peu de place à l'ennui, ménage un solide suspense et se rapproche en cela du thriller. Les dialogues sont concis, les narratifs ne sont en rien redondants et n'alourdissent pas le récit. Les scénaristes se rattachent habilement à la deuxième aventure de Blake et Mortimer, mais leur approche est incontestablement originale et met discrètement l'accent sur certaines problématiques bien de notre temps.

Les amoureux de la capitale belge se régaleront du dessin de François Schuiten. Fidèle à son style, ce dernier met à l'honneur certaines architectures bruxelloises, particulièrement celle du Palais de Justice. L'édifice est, dans la réalité, bardé d'échafaudages depuis de années, échafaudages qui, pour les besoins du récit, se voient transformés en une cage de Faraday géante, seul dispositif capable de contenir le mystérieux rayonnement qui émane du bâtiment. L'album comporte aussi quelques clins d'oeils à d'autres BD de Schuiten, comme La douce, et même à la scénographie qu'il a réalisée pour le Train world, toujours à Bruxelles. Le dernier pharaon a demandé quatre ans de travail au dessinateur et tout indique qu'il pourrait s'agir de son ultime BD, François Schuiten désirant dorénavant se consacrer à d'autres projets.

Le dernier pharaon est, en tous cas, à la hauteur du volet événementiel qu'il génère. Il serait même étonnant que les puristes s'offusquent des libertés de forme prises par ses auteurs. Ce tome, tout en conservant un type de classicisme, procure une belle cure de jouvence au mythe. Le scénario est prenant de la première à la dernière page alors que, graphiquement, chacune des planches invite le lecteur à s'y attarder. On tient là un excellent Blake et Mortimer et peut-être, finalement, une belle et actuelle porte d'accès à l'oeuvre d'Edgar P. Jacobs. Remarquable !