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Entretien avec Siro

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Siro © DR
« Mon premier critère reste toujours une bonne histoire. »

Dessinateur autodidacte, influencé par les classiques de la BD franco-belge comme par les comics américains, Stéphane Brangier a publié sous le pseudonyme de Siro une dizaine d’albums, essentiellement en science-fiction comme la série Polka écrite par Didier Convard (5 tomes, Dargaud) ou sa reprise d'Aquablue de Thierry Cailleteau (Delcourt).

Il a aussi signé le scénario du superbe diptyque le Marteau des Sorcières dessiné par Jean-Christophe Thibert et paru dans la collection la Loge Noire chez Glénat. Il se retrouve aux côtés de Pierre Boisserie et Éric Stalner sur la Croix de Cazenac depuis le T9. Il signera également le 10e épisode de la grande saga Voyageur.

Rencontre avec un auteur éclectique, modeste et, surtout, fort talentueux.


Siro, quel est votre cursus scolaire ?
Un bac littéraire classique agrémenté de cours d’arts plastiques et d’histoire de l’art. Un passage d’un an en école d’arts appliqués  et un peu de fac. J'ai tenté les arts déco aussi. Enfin, j'ai tâtonné pas mal avant de laisser tomber les études.

D’où vous vient votre goût pour la BD, et notamment pour les comics ?
Au départ, j'ai lu ce qui était le plus facilement accessible. Tout Tintin, tout Astérix, un peu de Lucky Luke, du Gaston, une pincée de Boule et Bill. Et puis vers 11 ans, les comics. Je suis passé à côté de Spirou et du Journal de Tintin pour me jeter sur Iron Man, Spiderman, les Fantastiques… Mais ce n'était pas des comics Marvel à l'époque. C'étaient les publications Lug, Strange, Nova qu'on achetait en maison de la presse. Les VF, en somme. Il y a eu aussi Gotlib, la Rubrique-à-brac découverte dans quelque vieux Pilote de mon père, et puis Gai-Luron.

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la Croix de Cazenac T10 : la Dernière Croix, extrait de la planche 1, crayonné d'Éric Stalner
© Stalner - Boisserie / Dargaud

Quels sont vos dessinateurs et scénaristes référents ?
À part Franquin et Gotlib, à cette époque-là, c'était John Buscema, John Byrne, John Romita… Ils s'appelaient tous John ma parole ! Plus tard, sortant à grand peine du moule Marvel, j'ai pris une baffe avec Berni Wrightson et très vite j’ai découvert Frazetta, Liberatore, Eisner, Dave Stevens, Bisley Steve Rude et Vatine. Je vous la joue en accéléré, là !

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la Croix de Cazenac T10 : la Dernière Croix, extrait de la planche 1
encrage de Siro sur le crayonné d'Éric Stalner © Siro - Stalner - Boisserie / Dargaud

Êtes-vous totalement autodidacte ?
J'ai pioché en lisant beaucoup ceux que je viens de vous citer, en décortiquant leurs trucs, en mélangeant tout ça. Dans une approche autodidacte, autant prendre aux meilleurs, non ? Je n'ai pas appris à dessiner à l'école, à proprement parler. En revanche, j'y ai retenu deux leçons majeures de mes cours d'histoire de l'art et de mon passage à l'école Estienne à Paris, et qui m'ont toujours été très utiles. Premièrement : garder l'esprit ouvert autant que possible. Il y a tant de merveilles hors le strict cadre de la BD. Et je garde toujours un goût pour Mucha, Norman Rockwell, Frank Lloyd Wright ou les impressionnistes. Deuxièmement : ne pas avoir peur de l'effort et du travail. À Estienne, j'ai touché à tout, du dessin de lettres à la couleur en passant par le stylisme ou le design. Et à un rythme d'enfer. J'y ai vécu mes premières nuits blanches de boulot.

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la Croix de Cazenac T9 : l'Ennemi
extrait de la planche 2
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Siro - Stalner - Boisserie / Dargaud
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la Croix de Cazenac T9 : l'Ennemi
© Siro - Stalner - Boisserie / Dargaud
Pourquoi avoir choisi pour pseudo Siro ?
Siro est le nom d'un gamin crédité sur un album de Steve Vai, un guitariste rock américain. Quand j'ai débuté chez Zenda, Stan et Vince venaient de signer. La collection Poison comptait donc trois titres. Pour ne pas me démarquer, je me suis laissé convaincre de prendre un pseudo. C'est tombé là-dessus. Aujourd'hui, je garderais sans doute mon vrai nom. Mais bon, c'est un peu trop tard.

Dans quelles circonstances avez-vous connu Pierre Boisserie et Éric Stalner ?
Par l'intermédiaire de Marc Bourgne. Je croisais Pierre de loin en loin depuis longtemps. On s’est rapprochés d'abord sur le terrain de la musique, car il est bassiste. Je connaissais Éric depuis longtemps pour le croiser régulièrement en festival ou dans des soirées d'éditeur. Maintenant, ce sont deux vrais potes.

Comment travaillez-vous ensemble sur la Croix de Cazenac ?
Pierre et Éric ont une méthode de travail particulière, un peu comme Stan Lee et Jack Kirby le faisaient. Ils discutent du scénario ensemble travaillent le découpage ensemble aussi. Je crois qu’à ce stade, rien n'est franchement encore écrit. Pendant les séances de découpage, Éric dessine des story-board à grands traits. Et ils rectifient ensemble le tir, si besoin. Ensuite, Éric repart dessiner dans son coin les planches définitives, qui sont muettes, sans bulles. Et Pierre ajoute seulement à la fin les dialogues, en faisant lui-même le lettrage. Je me suis donc naturellement immiscé dans le processus, en récupérant les planches d'Éric au stade de crayonné. Certaines pages étant parfois moins abouties, je les ai complétées avant de les finaliser à l'encrage. Et je demandais aussi à Pierre un petit synopsis rapide pour savoir tout de même un peu ce qu'il s'y passe.

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la Croix de Cazenac T10 : la Dernière Croix, extrait de la planche 1, crayonné d'Éric Stalner et encrage de Siro
© Siro - Stalner - Boisserie / Dargaud

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la Croix de Cazenac T9 : l'Ennemi
extrait de la planche 2
© Siro - Stalner - Boisserie / Dargaud
Est-ce frustrant ou motivant de compléter le dessin d’Éric, puis de l’encrer ?
Motivant c'est certain. L’approche est complètement nouvelle et donc beaucoup de leçons à en retenir. C'est un exercice de style. Intéressant car Éric et moi n'avons pas les mêmes influences et ne venons pas forcément de la même « école ». En ce sens, travailler avec Olivier Vatine était différent, par exemple, car nous avons un vocabulaire graphique commun. Mais sur Cazenac, je ne voulais pas non plus modifier le look général de la série pour ne pas heurter les lecteurs. L'essentiel était l'identité propre à la série, pas mon style. Je me suis imposé, mais avec plaisir en fait, de m'effacer autant que possible. Et j'ai improvisé mes solutions propres au fur et à mesure que je tombais sur un os ici ou là. Par exemple, Éric et moi ne dessinons pas les rochers et cailloux de la même manière. C'est vraiment comme parler une langue différente. Si je l'avais suivi sur ce terrain, ça aurait sonné faux. Dans ce cas précis, le compromis est donc une mauvaise solution car la priorité reste la bonne tenue de l'album. Mon credo était donc : « il n'y a pas de meilleur dessinateur qu'un autre, seulement des approches différentes. » Mine de rien, c'est une sacrée leçon. Au final, je vois dans ces deux albums un style graphique à mi-chemin : du « Stalsinero » ! Mais beaucoup de gens n'ont pas remarqué que j'y avais participé ou que quelque chose avait changé, alors même que mon nom est sur la couverture. C'est un super compliment, car c'était bien le but.

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Speedway T1, crayonné
© Siro - Bollée / Dargaud
Pas trop déçu de voir la Croix de Cazenac s’arrêter au T10 ?
Ah, mais je ne sais pas moi !… C'est la fin d'un cycle, et la fin de la Croix de Cazenac. Mais il y a peut-être encore des choses à dire. Les Cazenac sont des tenaces ! Non, je plaisante… En fait, je ne sais rien du tout des intentions de Pierre et Éric… Ils vont m'en vouloir de lancer des rumeurs !

Pensez-vous que votre mode opératoire pourrait servir d’exemple ?
Je ne sais pas. Il faut une vraie complicité pour cela, beaucoup de confiance. On n'apprend du travail des autres que par petites touches. Des détails pratiques qu'on peut reprendre à son compte. Du matériel, des meilleurs horaires pour bosser, le format des planches, des choses comme ça. Dans les grandes lignes, chacun a son propre mode de fonctionnement, chacun invente son métier. Je me garderais bien d'aller prêcher. D'ici un an environ, je vais démarrer le 10e épisode de Voyageur avec Pierre et Éric, cette fois seul au dessin. Je ne suis pas certain de fonctionner avec eux comme ils le font sur leurs propres albums, alors vous voyez… Ce sera sans doute plus traditionnel.
 
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la Croix de Cazenac T10 : la Dernière Croix, en librairie le 7 novembre 2008
© Siro - Stalner - Boisserie / Dargaud
Justement, avec Voyageur, vous poursuivez votre collaboration avec le duo Boisserie - Stalner. Qu’est qui vous a plu dans ce vaste projet ?
Je trouve qu'il faut avoir de l'ambition pour pousser un concept dans ses derniers retranchements quand on se frotte au thème du voyage dans le temps. Il n'y a que comme ça que ça marche, à mon sens. Ici la forme et le fond se complètent, chaque période a son style et son dessinateur. Une certaine cohérence est rendue par le coloriste unique. Avec 13 albums, ce sera une vraie saga. En plus, la période que je vais traiter me botte vraiment. Et le scénario est redoutable !

Pourquoi avez-vous choisi la période de l’Occupation ?
Les cartes ont été redistribuées plusieurs fois entre tout le monde, mais au final j'ai pu choisir. Cette période est un thème fort en soi, et il y a moyen de dramatiser graphiquement. Ce serait un défi si on considère qu'un dessinateur reste scotché à un genre, une série, et n'en sorte pas. J'ai donné beaucoup dans la SF, c'est vrai, car j'adore ça, mais ce n'est pas un but en soi. Le premier critère reste toujours une bonne histoire, quel que soit le thème ou le genre. On ne sort pas de là. J'adorerais faire une série d'humour genre sitcom si j'avais un scénario en béton armé avec des dialogues aux petits oignons par exemple.

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la Croix de Cazenac T9 : l'Ennemi, extrait de la planche 2
© Siro - Stalner - Boisserie / Dargaud
Avez-vous commencé à mettre en images le T10 de Voyageur ?
Non, je travaille sur le T2 de Speedway avec Laurent-Frédéric Bollée, et je n'ai prévu de démarrer Voyageur que dans un an. Je n'ai que le concept global du scénario. Mais on a le temps, et je commence à amasser de la documentation.

Suivez-vous parallèlement ce qui est dessiné par les autres auteurs ?
Je vais m'imprégner de tous les détails pour m'éviter d'être hors sujet et être cohérent en termes de ressemblance des personnages. Mais rien de plus. La lecture des autres albums sera, autrement, juste pour le plaisir.

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Speedway T1, crayonné
© Siro - Bollée / Dargaud
Quel enseignement tirez-vous de cette collaboration avec Pierre et Éric ?
Humilité, bonne humeur, confiance en la fiabilité de mes co-auteurs. Et puis c'était rigolo de m'immiscer dans leur processus et je les ai vus bosser ensemble une fois, c'est un spectacle ! J'ai testé des techniques nouvelles d'encrage. Techniquement parlant, j'ai expérimenté des solutions pour préserver les dessins originaux d'Éric tout en ayant la possibilité de redessiner par dessus. Je m'en resservirai sans doute pour mes propres planches.

Vous avez encore la musique et le cinéma comme hobbies communs…
En effet. Comme Éric vit maintenant à Toulouse, je le vois forcément moins. Mais avec Pierre on se voit régulièrement, ne serait-ce que pour Slumberland, le groupe de rock que nous avons avec Juanjo Guarnido, Pierre le batteur et Agnès d'Attakus au chant. En général, on n'y parle que rarement de boulot. Nous écumons les festivals, les scènes prestigieuses. Bientôt le Stade de France !…

Où en est le projet Speedway développé avec Laurent-Frédéric Bollée ?
Le premier tome est entièrement dessiné. Il est entre les mains des coloristes avec qui j'ai déjà travaillé sur Aquablue T11. Nous démarrons Speedway T2 pas plus tard que… tout de suite ! Laurent a bien avancé. Je l'ai commencé début septembre, après un peu de vacances en famille. Les deux couvertures seront conçues en même temps, pour une sortie des deux albums à peu de mois d'écart.

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Speedway T1, crayonné © Siro - Bollée / Dargaud

D’autres projets ?
Oui, mais là je suis bien « booké » jusqu'au printemps 2010 au moins, alors j'ai le temps !

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en août 2008
Propos présentés et introduits par Brieg F. Haslé et Manuel F. Picaud
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© Manuel F. Picaud / Auracan.com

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Manuel F. Picaud
03/11/2008