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Entretien avec Didier Convard

Didier Convard

Après l’immense succès de sa saga ésotérique Le Triangle Secret et de sa suite INRI, le scénariste Didier Convard développe ses univers d’auteur et multiplie les nouvelles séries. Après Tanâtos avec Jean-Yves Delitte, Le Protocole du Tueur avec Denis Falque et un deuxième roman consacré à INRI, il nous présente ses nouvelles créations : Les Gardiens du Sang, troisième saison du Triangle Secret, L’Ange brisé avec Gilles Chaillet, Sherlock avec Jean-Louis Le Hir, Petite Mort en un acte avec Éric Adam et Paul, La Théorie du Chaos avec Jean-Christophe Thibert… sans oublier le scénario d’un thriller fantastique pour la télévision française. Confidences d’un scénariste inspiré.

LES GARDIENS DU SANG
avec Denis Falque, Patrick Jusseaume et André Juillard
tome 1 en avril 2009, Glénat

Après Le Triangle Secret et INRI, voici annoncée une troisième saison : Les Gardiens du Sang
En effet. L’histoire sera contemporaine, elle se situe - même si je ne l’écris pas - trois ans avant l’action du Triangle Secret, soit en 1998. Afin de ne pas choquer les gens, je ne montrerai pas le Pape Jean-Paul II, alors encore en vie. Toute l’histoire se déroule du côté des “méchants“, des Gardiens du Sang. Le récit se déroule essentiellement dans le milieu de la génétique, un domaine sur lequel travaillent depuis longtemps les Gardiens du Sang. Nous retrouverons le principe de flash-back. Le premier concernera Joseph Balsamo, le Comte de Cagliostro, un personnage réel évoqué par Alexandre Dumas. C’est un personnage très intéressant, l’un des fondateurs de la maçonnerie égyptienne. Certains affirment qu’il aurait presque atteint l’œuvre suprême du filtre de l’immortalité. Si on sait que c’est du pipo, ça ne l’est pas dans mon histoire ! Hormis le Cardinal Montespa, nous ne retrouverons pas les mêmes personnages…

En combien de tomes as-tu prévu cette nouvelle saison ?
La série Les Gardiens du Sang comptera quatre tomes de 54 pages, dont 44 mis en scène à chaque fois par Denis Falque. Chaque tome verra un invité qui dessinera un flash-back de 10 pages. Pour le tome 1, nous retrouverons Patrick Jusseaume. Pour les autres invités, nous devrions retrouver certains de ceux qui ont participé au Triangle, selon leurs disponibilités. Par exemple, Gilles Chaillet et Éric Stalner sont très intéressés, mais ils sont très pris… En revanche, André Juillard en fera sûrement un, en plus des dessins des quatre couvertures.

INRI T4

Tu m’avais confié, lors d’une précédente rencontre, avoir INRI en tête dès le début du Triangle Secret : est-ce la même chose avec Les Gardiens du Sang ?…
À la différence d’INRI, je ne vous cache pas qu’ici c’est une volonté de l’éditeur. Une volonté que j’ai partagé avec lui : par goût pour cet univers, et aussi parce que plusieurs dessinateurs des flash-back du Triangle Secret avait envie de poursuivre l’aventure. Je pense notamment à Patrick Jusseaume et André Juillard. J’ai donc dû écrire un nouveau scénario après avoir terminé celui d’INRI. Avec Denis Falque, nous avons réfléchi à ce qu’ils avaient pu faire précédemment, savoir qui ils étaient précédemment… On ne trichera pas avec les lecteurs : nous n’allons pas remettre Didier Mosèle en scène, nous prenons le risque de créer de nouveaux personnages, les Gardiens du Sang vont avoir une réalité propre. Je crois avoir l’honnêteté de créer de nouvelles intrigues, de nouvelles hiérarchies romanesques. Et rendons à César ce qui lui revient : c’est Henri Filippini qui m’a fait remarquer qu’il faudrait raconter l’histoire des Gardiens du Sang, soulignant également que cela faisait un excellent titre !

Avant de passer à tes autres et nombreuses actualités, évoquons le roman consacré à INRI, après le succès du roman Le Triangle Secret
Ce deuxième roman correspond à INRI dans une version extrêmement romancée. Si le premier roman [co-édition Glénat-Mazarine, plus de 10.000 exemplaires vendus, ndlr] était une novélisation du Triangle Secret, ici j’ai plus romancé. Il reprend le thème d’INRI - sans la partie contemporaine de la résurrection du Christ - mais avec de nouveaux personnages, des narrations traitées différemment, des événements inédits. L’ensemble est plus historique aussi : cela se passe au 12e siècle à l’époque du premier voyage d’Hugues de Payns à Jérusalem, il s’agit d’une grande épopée. Avec le premier roman, il est amusant de voir que j’ai touché de nouveaux lecteurs qui n’avaient pas lu la bande dessinée.

TANÂTOS
avec Jean-Yves Delitte
tome 2 en février 2008, Glénat
Extrait de Tanatos T2
Extrait de Tanâtos T2

Avec Tanâtos, Jean-Yves Delitte et toi rendez un bel hommage à la littérature populaire, dans la lignée de récits tels Fantômas
Tout à fait, c’est l’hommage que je rêvais de faire depuis une éternité aux romans-feuilletons que je lisais quand j’étais môme. J’ai appris à aimer la lecture avec les Rouletabille, les Fantômas, Arsène Lupin, Le parfum de la Dame en noir, Le Mystère de la chambre jaune, Sherlock Holmes, Les Mystères de Paris… Je voulais aussi inventer un nouveau personnage qui soit méchant. J’en avais assez de ces personnages gentils et me suis dit que ce qui avait marché dans les romans-feuilletons ne pouvait plus fonctionner aujourd’hui : c’est devenu trop kitsch. J’ai donc imaginé le plus méchant des méchants, créer l’incarnation même du Mal. Ce nom de Tanâtos s’imposait tout comme l’époque abordée : que ce soit lui qui déclenche la Première Guerre mondiale pour ses intérêts personnels.

Une fois encore, tu joues avec l’Histoire en la réécrivant…
Certes, je voulais réutiliser l’Histoire, écrire une uchronie. Je ne savais même pas que cela s’appellait ainsi, je faisais de l’uchronie comme de la prose sans le savoir ! C’est très à la mode ce terme-là actuellement ! J’ai donc imaginé une histoire en utilisant l’Histoire, en mettant en scène des personnages historiques comme Jean Jaurès, en reprenant jusqu’à ces propres propos dans certaines cases…

Extrait de Tanatos T2
Extrait de Tanâtos T2

Et pourquoi le choix de Jean-Yves Delitte ?
Nous nous entendons bien, nous avions envie de travailler ensemble depuis des années, et Jean-Yves me poussait à lui écrire une histoire. J’aime son dessin, j’aime sa façon de travailler, de concevoir la bande dessinée. Tout comme avec Denis Falque, je partage avec Jean-Yves cette façon de donner, avec modestie, des lettres de noblesse à un art populaire. Comme il dessine plus vite que son ombre, il a rapidement été disponible. De plus, il est très fort pour dessiner des vaisseaux futuristes de 1900, ce qui convient très bien à l’univers de Tanâtos.

Tanâtos est une série construite en diptyques…
En effet, chaque histoire est constituée de deux albums de 54 pages, c’est un format que j’apprécie. Je suis actuellement en train d’écrire la deuxième histoire de la série qui verra Tanâtos responsable du naufrage du Lusitania, ce navire qui avait été coulé par les Allemands  selon l’histoire officielle…

À t’entendre, on vous sent prêts tous les deux à créer de nombreuses histoires…
Tout à fait, si la série marche, nous avons envie de revisiter toute l’histoire de la période allant de 1914 à 1940. On voudrait montrer Tanâtos prendre la place de Raspoutine, ou raconter comment il provoque le Krach boursier de 1929… Bref, toute une série de scandales énormes où Tanâtos serait évidemment derrière ! [rires]

Pourquoi disséminer discrètement dans le tome 1 de Tanâtos des coupures de presse où apparaissent de petits règlements compte avec un certain magazine d’infos BD et un célèbre éditeur indépendant ?
Il existe en effet deux règlements de compte. Pour être honnête avec vous, ils sont de Jean-Yves Delitte, mais je les assume complètement puisque je les ai laissé passer. Comme me l’a dit Jean-Yves : « à partir du moment où Manu Larcenet est capable d’attaquer et se moquer des dessinateurs classiques, on peut aussi se foutre de sa gueule. Après tout, ce n’est pas méchant, ce n’est que de la provocation ». Et pour BoDoï, Jean-Yves n’avait pas apprécié que ce magazine m’égratigne dans une critique du dernier INRI. Je m’étais dit qu’ils n’avaient rien compris à ma conclusion… Cela est arrangé avec eux, ils en ont même fait une brève dans un récent numéro. Dans Tanâtos, il y a de nombreuses autres allusions sur d’autres personnages, sur des amis… C’est amusant. Jean-Yves a raison de provoquer un peu !

L’ANGE BRISÉ
avec Gilles Chaillet, secondé par Marc Jailloux
tome 1 en avril 2008, Glénat

Évoquons ton grand projet avec Gilles Chaillet : L’Ange brisé.
Il s’agit d’un projet que nous avions en tête depuis très longtemps Gilles et moi. Cela faisait des années, bien avant les projets de La Loge noire [collection dirigée par Convard où Chaillet signe seul La Dernière Prophétie, ndlr], que j’avais écrit les bases de ce récit. Ce type de projet demande du temps pour être développé. C’est un travail extrêmement personnel à tous les niveaux, c’est un investissement inouï de la part de Gilles au niveau de la reconstitution de la Renaissance. Ses planches sont magnifiques, d’une grande beauté. De plus, il est secondé par un encreur extraordinaire, Marc Jailloux, qui remédie à ses problèmes d’encrage dû à ses soucis à la main. Vous verrez, les pages sont admirables…

Extrait de l'Ange Brisé
Extrait de L'Ange Brisé T1

Il s’agit d’un diptyque rendant un atypique hommage au génial Léonard de Vinci…
De mon côté, j’ai essayé de ciseler un scénario extrêmement compliqué, très complexe, mais qui se lit avec une extrême facilité. J’ai voulu une écriture très littéraire : tous les personnages ne pensent pas de la même manière, ne parlent pas de la même façon. Ils ont tous leurs langages, et il y a beaucoup de non-dits. Je rends un hommage ému et humble à Vinci, je visite son mythe, et en même temps, j’en fais un psychopathe ! J’en fais certes un génie, mais selon moi, tous les génies ont des problèmes psychiatriques. Sans cela, ils ne seraient pas géniaux. Vinci a vraiment quelque chose à assumer qui est très difficile…

Sommes-nous dans les codes du thriller avec L’Ange brisé ?
Effectivement, j’utilise tous les codes du thriller : un thriller à la Renaissance, un thriller où Léonard de Vinci est le suspect. Des meurtres immondes, épouvantables, sont commis dans chaque ville où Vinci se rend. À chaque fois, un notable - on verra pourquoi - est démembré, le visage arraché…

Mais pourquoi rendre hommage à Vinci tout en le montrant comme un monstre ?
C’est la plus belle histoire d’amour que je n’ai jamais écrite. Vinci est l’homme qui a aimé comme personne n’a aimé. C’est pour cela qu’il agit ainsi, par amour. Quelques pistes : Vinci est l’homme qui a mis dix ans à trouver le visage de son Judas peint dans le réfectoire du monastère de Santa Maria delle Grazie, Vinci est celui qui a créé le si célèbre et énigmatique sourire de la Joconde… Et c’est ce même homme qui arrache le visage de ses victimes. Pourquoi ?… L’Ange brisé est une histoire de vengeance et une histoire d’amour.

Pour l’anecdote, Gilles Chaillet t’as entraîné en repérages en Italie…
J’ai fait un voyage magnifique. Si j’étais déjà allé en Italie à plusieurs reprises, je n’avais jamais eu un guide aussi admirable que Gilles. Il m’a fait passer une semaine vraiment épuisante - je n’ai jamais vu un marcheur pareil -, mais c’était vraiment formidable.

Extrait de Sherlock T1
Extrait de Sherlock T1
SHERLOCK
avec Éric Adam et Jean-Louis Le Hir
tome 1 en janvier 2008, Glénat

Autre nouveauté : Sherlock
J’ai imaginé un personnage qui s’appelle Sherlock Matthiews, un jeune homme de 17 ans. Si de nombreux éléments nous font penser à Sherlock Holmes, j’ai imaginé l’histoire de ce Sherlock avant que Conan Dyle ne prenne la plume, avant que Sherlock Matthiews ne s’appelle Holmes ! Je raconte l’histoire effroyable de la famille Matthiews : celle de Sherlock, de son frère Mycroft, de leur mère. Cette femme, violoniste renommée, s’était fait remarquée par l’interprétation des musiques composées par Augusta Holmes. C’est pour cela que Sherlock et son frère Mycroft ont choisi ce nom après l’assassinat de leur mère, origine de leur traumatisme…

Avec qui réalises-tu cette nouvelle histoire ?
J’écris cette histoire avec Éric Adam pour Jean-Louis Le Hir. Son dessin est vraiment superbe. Si la série marche, nous raconterons quelques histoires de la jeunesse de Sherlock Holmes.

Ici encore Convard se réapproprie un grand mythe !
Ce doit être l’âge qui veut cela. Vous avez raison… vous me le faites remarquer, je vieillis ! [rires]

PETITE MORT EN UN ACTE
avec Éric Adam et Paul
à paraître début 2009, Glénat

Scénariste prolifique, est-il vrai que tu développes un nouveau récit pour Paul avec qui tu avais signé, il y a quelques années, La Nuit du Président ?
Absolument. Toujours avec Éric Adam comme coscénariste, je prépare Petite Mort en un acte pour Paul [fils de Convard, coloriste du Triangle Secret, INRI, Le Protocole du Tueur, ndlr]. C’est quelque chose de tout à fait différent de ce que j’écris habituellement. C’est une histoire comique, une pièce de théâtre, avec unité de lieu, de personnages et de temps. C’est une pièce anglaise. À l’origine, on m’avait demandé une pièce de théâtre que j’avais commencée à écrire avec Éric Adam. Comme finalement, cela ne s’est pas fait, nous avons eu envie d’en achever l’écriture en l’adaptant pour le support bande dessinée. C’est vraiment marrant, c’est un peu Le Limier en comique [pièce britannique d’Anthony Shaffer rendue célèbre par l’adaptation cinéma de Mankiewicz, ndlr] !

Extrait de La Petite Mort
Extrait de La Petite Mort en Un Acte

Paul dessine-t-il dans le même style que celui vu dans La Nuit du Président ?
Oui, mais en plus abouti. Paul a fait beaucoup de progrès depuis, il était tout jeune alors, à peine 25 ans. Son travail de peintre se ressent dans ses planches. C’est intéressant, même si ce n’est pas un truc à 50.000 exemplaires.

LA THÉORIE DU CHAOS
avec Jean-Christophe Thibert
en préparation, Glénat

As-tu d’autres projets en cours d’élaboration dans tes cartons ?
J’ai écrit une histoire pour Jean-Christophe Thibert. Il a dessiné 12 pages qui sont de véritables chefs d’œuvre. Jean-Christophe Thibert a un talent fou, notamment sur cette histoire qui se passe dans les années 1950 pour laquelle il a développé un dessin réaliste. J’ai eu l’idée d’une sorte de Blake & Mortimer à la française : ce que aurait pu être des Blake & Mortimer français, enquêteurs au Deuxième Bureau dans les années 1950… Ici aussi, je revisite l’histoire, mais il s’agit dans le cas présent d’espionnage. J’ai prévu une histoire complète pour chaque tome.

Où en est l’avancement du premier tome ?
Malheureusement Jean-Christophe fait un blocage. Lui, qui a un talent monstre, se remet en cause alors qu’il est l’un des meilleurs actuellement. Comme il doute, il ne travaille plus ses planches. Il réalise certes des illustrations, des publicités… mais quasi plus de BD. Cela est vraiment dommage car ce qu’il fait est vraiment admirable. Depuis six mois, tout est bloqué… Mais j’espère que cela va changer, je garde confiance.

Propos recueillis par Brieg F. Haslé et Manuel F. Picaud en octobre 2007 et janvier 2008
© Brieg F. Haslé - Manuel F. Picaud / Auracan.com
photos de Didier Convard © Brieg F. Haslé / Auracan.com
visuels © Didier Convard - Denis Falque - Jean-Yves Delitte - Gilles Chaillet - Jean-Louis Le Hir - Paul - Jean-Christophe Thibert / Glénat
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
Remerciements à Élise Brun et Cécile Bergeret

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Quelques critiques d’albums signés Convard :

Sherlock T1 Neige T13 Tanâtos T1 INRI T4 Hertz
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Brieg F. Haslé et Manuel F. Picaud
07/02/2008